Ile Maurice: Remake de la Prosecution Commission

L'heure est grave. Alors que le commissaire de police, au mépris de la Constitution, tente de s'émanciper du Directeur des poursuites publiques (DPP), par rapport à deux graves affaires de drogue, les liens incestueux entre certains avocats du privé et leurs clients qui font l'objet d'enquêtes policières vont immanquablement remonter à la surface. Pour semer encore plus le doute, et augmenter la peur par rapport à la Law and Order.

Posons alors la question : qui va surveiller nos policiers, si le DPP, garant du respect des textes de loi, se retrouve écarté par Anil Kumar Dip (dont le fils est lui-même sous le coup de plusieurs charges du bureau du DPP) ?

N'est-ce pas un dangereux remake de la dangereuse tentative de mettre le DPP sous bol par le biais d'une Prosecution Commission qui n'a, heureusement, pas vu le jour (voir plus bas) - grâce à la demission du PMSD de l'Alliance Lepep en décembre 2016.

Qui va fliquer nos flics ? Le Complaints Bureau de la police ? L'ICAC ? La Commission des droits humains ? Ces trois institutions ont démontré leurs limites et leur impuissance dans plusieurs cas de dérapage des forces de l'ordre.

Il nous faut pourtant une plate-forme, hors des Casernes centrales, pour signaler les infractions commises par des policiers. D'autant plus que de nos jours, avec nos smartphones et Internet, il est facile de mettre à nu les comportements inacceptables de bien des policiers-ripoux. Comportements qui nuisent à la majorité des agents qui font toujours honneur à leur profession.

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Une éventuelle Police des polices, qui existe ailleurs, ne devrait pas pour autant être un défouloir pour ceux tentés de faire des déclarations délibérément malveillantes sur nos autorités policières, mais un outil pour une veille citoyenne de la law and order.

L'Espagne demeure un cas d'école. Ce pays est doté d'une police ayant le respect du public. Contrairement à la police française qui n'inspire pas totalement confiance, son homologue espagnole connaît, elle, une immense popularité sur Twitter, avec plus d'un demi-million de «followers». Chaque jour, le compte @Policia diffuse des messages qui s'adressent directement aux citoyens, en commentant aussi bien ses opérations exceptionnelles que les actions plus anecdotiques, souvent avec moult détails. Elle n'hésite pas à publier des messages humoristiques, à commenter ce que publient les internautes ou à retweeter les messages du public. Un véritable échange !

La police espagnole réussit sur Twitter parce qu'elle agit comme un utilisateur parmi les autres, en effaçant la distance, mais pas le nécessaire respect des forces de l'ordre. Les Casernes centrales pourraient s'en inspirer pour refaire leur image, rétablir la confiance, instaurer le dialogue et dissiper la peur.

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Il est utile de rappeler le contexte dans lequel la Prosecution Commission a été évoquée deux ans après la prise de pouvoir de l'Alliance Lepep. En cette fin d'année 2016, le pays vit une période charnière pour l'avenir de sa démocratie, avec en toile de fond le passage imminent de témoin du Premier ministre à son fils. Cette transition à la tête du gouvernement surchauffe les esprits aussi bien à l'intérieur de l'alliance gouvernementale qu'à l'extérieur (opposition, société civile, presse).

Le débat autour de la Prosecution Commission tend alors à s'enliser dans la mare politicienne, où chacun crache sa vérité en fonction de ses intérêts partisans et personnels.

L'opinion s'enflamme. Parce qu'on touche à la Constitution pour assouvir des ambitions pouvoiristes (et absolutistes ?) de l'Alliance Lepep, qui abuse clairement de sa majorité au Parlement. Les desseins politiciens semblent partiellement inavoués et sombres pour notre bien commun. Comme beaucoup d'avocats, y compris ceux au sein du Bar Council, ont aussi une carrière ou une visée politique, leurs arguments sont souvent teintés de couleurs partisanes. D'où l'impression que le débat s'enlise dans un bassin aux teintes multiples, où les pro-Jugnauth pataugent avec les anti-Jugnauth dans un gigantesque ballet aux accents propagandistes, en écrasant les quelques voix neutres et sincères.

La séparation des pouvoirs se retrouve menacée. La Prosecution Commission n'est pas une émanation du judiciaire, malgré les apparences qu'on tente de lui donner en évoquant la nomination de trois ex-juges de la Cour suprême et la Judicial and Legal Services Commission. C'est clairement une construction de l'alliance Lepep qui veut contrôler les pouvoirs du DPP - un poste constitutionnel au coeur de notre système judiciaire. La séparation des pouvoirs, explicitée par Locke et Montesquieu, ambitionne d'empêcher la concentration du pouvoir entre les mains d'un seul homme ou d'un parti politique ou d'une famille. «Il faut en effet préserver les hommes de toute tentative de tyrannie du souverain et protéger leur liberté, et ce, en limitant le pouvoir par un autre pouvoir.»

Tout comme la Constitution, la séparation des pouvoirs peut évoluer, au gré de l'évolution sociétale et dans le temps, après un débat citoyen. Mais cela doit se faire avec modération, pas dans l'urgence. Le pouvoir législatif ne doit pas abuser d'une majorité parlementaire pour permettre la cumulation de deux pouvoirs dans les mains d'un seul. Et à Maurice, nous avons déjà un Premier ministre hyperpuissant qui écrase l'exécutif et le législatif. Tous les ministres de la République doivent se courber devant leur Premier ministre s'ils veulent conserver leur maroquin ministériel.

Le principe d'accountability ne doit pas être sélectif. Quelqu'un aurait raison de questionner : pourquoi le DPP seulement et pas le commissaire de police, par exemple. Ce qui est bon pour Me Rashid Amine doit être bon pour Anil Kumar Dip, non ? À moins que l'un soit considéré comme un esprit indépendant et l'autre, comme un paillasson ou une marionnette...

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