Cameroun: Les atrocités récurrentes commises dans les régions anglophones doivent être stoppées et faire l'objet d'enquêtes

communiqué de presse
  • La population est prise en étau entre les différentes parties qui s'affrontent
  • Les forces de sécurité, les milices et les séparatistes armés sont responsables d'homicides, de viols et d'incendies d'habitations
  • Les Peuls Mbororos parmi les personnes ciblées par les groupes armés séparatistes
  • Les personnes qui dénoncent ouvertement ces atrocités sont menacées et arrêtées de façon arbitraire

Les autorités camerounaises doivent faire le nécessaire pour stopper les violences commises contre la population et mener des enquêtes approfondies sur les homicides, les actes de torture, les viols, les incendies d'habitations et les autres atrocités commises dans les régions anglophones, a déclaré Amnesty International le 4 juillet dans un nouveau rapport accablant exposant de façon détaillée les violations des droits humains et les autres crimes relevant du droit national commis de façon généralisée par diverses parties dans les régions anglophones du Cameroun.

Nous demandons aux autorités camerounaises d'enquêter sur les allégations d'atteintes aux droits humains et d'autres crimes relevant du droit national commis dans le contexte de la violence armée dans les régions anglophonesSamira Daoud, directrice régionale pour l'Afrique de l'Ouest et du Centre à Amnesty International

Ce rapport, intitulé Avec ou contre nous. La population prise en étau entre l'armée, les séparatistes armés et les milices dans la région du Nord-Ouest du Cameroun, expose les crimes commis, principalement depuis 2020, par des séparatistes armés, des milices et des membres des forces de défense et de sécurité dans la région du Nord-Ouest. Il souligne également que les personnes qui dénoncent les atrocités infligées à la population doivent de toute urgence être protégées.

« Nous demandons aux autorités camerounaises d'enquêter sur les allégations d'atteintes aux droits humains et d'autres crimes relevant du droit national commis dans le contexte de la violence armée dans les régions anglophones, et de poursuivre en justice et juger les responsables de ces actes, dans le cadre de procès équitables menés devant des tribunaux indépendants, impartiaux et compétents. Les victimes de ces crimes et violations ont droit à la justice et à réparation, a déclaré Samira Daoud, directrice régionale pour l'Afrique de l'Ouest et du Centre à Amnesty International.

La crise anglophone résulte de la répression des manifestations largement pacifiques qui ont eu lieu en 2016 et 2017 et qui demandaient la fin de la marginalisation de la minorité anglophone. Elle s'est intensifiée au point d'atteindre le stade de violence armée dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, la population se retrouvant alors prise en étau dans les affrontements entre les différentes parties. À présent, des personnes endurent de terribles souffrances et perdent la vie.

Amnesty International a effectué deux visites au Cameroun entre novembre 2022 et mars 2023. L'organisation a rencontré plus de 100 victimes, représentant·e·s d'ONG, journalistes et commissaires de la Commission des droits de l'homme du Cameroun (CDHC). Les demandes de rendez-vous avec des ministres du gouvernement sont restées sans réponse.

« Ils ont abattu ma femme avant de la brûler avec mes deux enfants »

Le rapport d'Amnesty International présente des informations détaillées sur les graves crimes commis par des séparatistes armés contre la population, en portant une attention particulière à ceux qui ont été commis contre les Peuls Mbororos, dans la région du Nord-Ouest.

Par exemple, dans la nuit du 28 mars 2022, des séparatistes armés ont attaqué une communauté peule mbororo dans le village de Mbokop-Tanyi. Amnesty International a rencontré le mari et père des trois victimes. Il a déclaré : « Les Ambas [terme générique désignant les séparatistes armés] ont incendié ma maison, avec deux de mes enfants et ma femme à l'intérieur. Ils ont abattu ma femme avant de la brûler avec mes deux enfants, âgés de sept ans et six mois, qui dormaient dans la maison. »

Des propos discriminatoires et provocateurs visant les Peuls Mbororos ont fait leur apparition sur les réseaux sociaux. Dans une interview publiée par un réseau séparatiste sur Facebook, un dirigeant séparatiste a déclaré : « Si un Ambazonien tue un Mbororo qui est un agresseur, où est le problème ? Il est venu d'un autre pays pour s'installer en Ambazonie, sur notre territoire. Et vous [les Mbororos] attaquez notre peuple et vous [les Mbororos] nous tuez, incendiez nos maisons et détruisez nos exploitations agricoles. Si nous avons la possibilité de les tuer tous, nous les tuerons tous, sans regret. »

Des milices peules mbororos ont également participé à des homicides et à la destruction d'habitations dans la région du Nord-Ouest, dans certains cas avec au moins l'aide ou la complaisance de soldats camerounais. Un groupe d'environ 45 personnes armées décrites comme étant des Peuls, des Haoussas et des Akus, accompagnées de militaires camerounais, a tué au moins cinq villageois·e·s et détruit au moins 13 habitations dans le village de Gheidze le 18 octobre 2021, selon quatre personnes interrogées par Amnesty International. Ces miliciens étaient armés de machettes, de bâtons, de lances et de couteaux, et les militaires avaient des armes à feu. Ils ont incendié les maisons pendant que les soldats tiraient en l'air et montaient la garde dans le secteur.

Le rapport d'Amnesty International indique aussi que de graves violations des droits humains ont été perpétrées par les forces de défense et de sécurité dans le département de Bui (région de Nord-Ouest). Selon les témoignages de victimes déplacées à Bafoussam et Douala, ces crimes comprennent des exécutions extrajudiciaires, des viols et d'autres violences sexuelles infligées à des femmes.

L'une des victimes a déclaré : « Le 3 septembre 2021, ils sont venus dans le village et ont commencé à commettre des atrocités. Quand je les ai vus, j'ai tout de suite attrapé ma fille et nous sommes rentrées dans la maison. Nous avons fermé la porte, mais ils l'ont enfoncée. Ils ont commencé à fouiller la maison et ont dit à mon mari de se coucher par terre [...] Un militaire m'a violée.

Ensuite ils nous ont emmenées, ma fille et moi. Ils nous ont fait monter dans un véhicule et ont mis le feu à la maison. Ils nous ont emmenées dans leur camp. [...] Chaque jour, ils [les militaires] nous violaient l'une après l'autre Une victime

Ensuite ils nous ont emmenées, ma fille et moi. Ils nous ont fait monter dans un véhicule et ont mis le feu à la maison. Ils nous ont emmenées dans leur camp. Il y avait six autres femmes [...] La plus jeune avait 12 ans. Nous sommes restées là-bas deux mois et deux semaines. Chaque jour, ils [les militaires] nous violaient l'une après l'autre », a-t-elle ajouté.

Soupçons concernant l'utilisation par les séparatistes d'armes étrangères

Le rapport d'Amnesty International s'intéresse également à la coopération entre le Cameroun et ses partenaires internationaux, portant une attention toute particulière à la provenance et au détournement des armes. L'organisation a repéré plusieurs types d'armes dans les vidéos de propagande publiées sur les réseaux sociaux par des groupes séparatistes armés, et il semble que certaines des armes utilisées pour commettre des crimes contre la population aient été volées à l'armée camerounaise qui les a obtenues via l'assistance étrangère.

« Nous demandons aux partenaires internationaux du Cameroun, notamment aux gouvernements de la France, du Royaume-Uni, de la Belgique, de la Croatie, d'Israël, de la Russie, de la Serbie et des États-Unis, de réaliser une évaluation rigoureuse des risques en matière de droits humains avant d'envoyer d'autres armes, ainsi qu'un contrôle de l'utilisation finale pour veiller à ce que l'assistance militaire ne contribue pas à des atteintes aux droits fondamentaux, a déclaré Samira Daoud.

« Lorsque des éléments crédibles montrent que les armes sont détournées au profit de groupes armés accusés de graves crimes, l'assistance militaire doit être suspendue jusqu'à la mise en place de mesures garantissant la sécurité de tous les transferts et l'utilisation responsable de ces armes par les utilisateurs finaux autorisés. »

La réaction judiciaire arbitraire des autorités

La réaction des autorités politiques et judiciaires face à cette crise a, jusqu'à présent, engendré d'autres violations des droits humains. Au lieu d'enquêter réellement sur les crimes perpétrés par des séparatistes armés, les autorités ont accusé des personnes dénonçant des atrocités d'être elles-mêmes des séparatistes armés ou des sympathisants de ces derniers, et les ont arbitrairement arrêtées et placées en détention. Parallèlement, le manque de transparence des enquêtes sur les crimes commis par les forces armées suscite des inquiétudes quant à l'impunité.

Les mesures prises par les autorités pour restreindre la liberté d'expression et le droit de chercher des informations ont également aggravé la situation. Les défenseur·e·s des droits humains, les militant·e·s, les avocat·e·s et les médias qui dénoncent courageusement les atrocités commises par les forces de défense et de sécurité sont confrontés à des actions judiciaires, des arrestations arbitraires et des menaces. Certaines de ces personnes ont également été jugées par des tribunaux militaires alors que le droit international prévoit que ces tribunaux ne sont pas compétents pour juger des civil·e·s.

« Nous demandons aux partenaires internationaux du Cameroun, de réaliser une évaluation rigoureuse des risques en matière de droits humains avant d'envoyer d'autres armes, ainsi qu'un contrôle de l'utilisation finale pour veiller à ce que l'assistance militaire ne contribue pas à des atteintes aux droits fondamentauxSamira Daoud

Le rapport d'Amnesty International fait également état de graves préoccupations découlant du fait que les autorités camerounaises ne coopèrent pas de façon efficace avec les institutions régionales et internationales de défense des droits humains. Les demandes répétées de missions d'établissement des faits sont restées sans réponse, ce qui a entravé les initiatives visant à évaluer la situation et à appeler à la justice.

« Les autorités doivent veiller à ce que les arrestations et détentions respectent le droit international et les normes relatifs aux droits humains, et assurer la protection des journalistes, des défenseur·e·s des droits humains et des militant·e·s confrontés à des menaces », a déclaré Samira Daoud.

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