Sénégal: Consolidation institutionnelle

4 Juillet 2023
opinion

Ce n'est plus Barack Obama et son « l'Afrique n'a pas besoin d'hommes forts mais d'institutions fortes » qui fait désormais référence, du moins pour nous Sénégalais, dans les discours sur les processus démocratiques sur le continent, mais le Président Macky Sall et son historique « ma décision longuement et mûrement réfléchie est de ne pas être candidat à la prochaine élection du 25 février 2024 ».

C'est l'épilogue de près de cinq ans de conjectures sur la validité de notre modèle car, en réalité, l'enjeu était de savoir si malgré l'âpreté des contradictions et le poids des enjeux dans un nouvel environnement pétro-gazier, après deux alternances au sommet de l'Etat, le Sénégal pouvait prétendre à « une consolidation institutionnelle » de sa démocratie, s'il pouvait rester cette « exception » d'un Etat africain postcolonial démocratique, sans coup d'état, et où les urnes sont le déterminant pour désigner à qui ses ressortissants confient leurs mandats selon des règles acceptées par tous.

Notre quatrième Président de la République vient de lui faire franchir un véritable seuil qualitatif. Il devient après Léopold Sédar Senghor, le seul de nos « monstres sacrés » à renoncer à briguer un nouveau mandat.

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L'ampleur de sa décision est proportionnelle au volume sonore et numérique du procès d'intention qui lui a été intenté des années durant, entretenu par des réquisitoires univoques sur son intention de rompre le contrat moral conclu lors du référendum de 2016, quand il avait demandé à ses compatriotes de voter « Oui » à un référendum pour, entre autres innovations, « verrouiller » les mandats présidentiels définitivement limités à deux ; et même avant, en 2011, quand il se lançait pour la première fois dans la course à la magistrature suprême et que justement l'éventuel troisième mandat de son prédécesseur, le Président Abdoulaye Wade, suscitait la répulsion des démocrates.

Le débat a fait florès d'autant que par des conjonctions inédites, et par son fait certainement, les principaux challengers qui lui ont fait face plus tard ont eu maille à partir avec la justice, ce qui les rendait inéligibles. Une vulgate alors bien partagée a présenté Macky Sall comme un assoiffé de pouvoir, écartant ses adversaires grâce à l'appareil judiciaire, obnubilé par un troisième mandat, parti pour faire régresser le processus.

De longs développements -dont certains très affirmatifs- ont ainsi assis l'idée qu'il suivait les traces des Erdogan (Turquie), Paul Kagamé (Rwanda), ou encore celles de Alassane Ouattara (Côte d'Ivoire) avec le postulat que nos populations avaient besoin de performances économiques et moins de démocratie ; bref, qu'il était « comme les autres », imparable conclusion d'une faconde qui, on le comprend mieux maintenant, illustrait plus l'impuissance devant un style de gouvernance que des certitudes bâties sur des faits.

On le comprend mieux encore maintenant, car jusqu'au bout, Macky Sall va contrôler son agenda, un point qui l'a mis en désaccord avec de larges franges de l'opinion, surtout quand l'amalgame a été fait entre le respect de ses propres engagements sur les mandats et l'affaire « Sweet beauty ».

Ses adversaires politiques lui ont reproché la non prise en compte de toutes les conclusions des Assises nationales, alors que lui a préféré une révision constitutionnelle en 2016 ; certains ont brandi l'argument que le système de parrainages pour réguler la pléthore de candidats aux élections présidentielle et législatives était anti-démocratique (jugements de la Cour de justice de la Cedeao à l'appui), les affaires Karim Wade et Khalifa Sall...

Aujourd'hui, toute une arrière-scène se découvre qui montre que l'agitation des premiers rangs a perdu face à la hauteur de ceux installés au balcon. Ce que Macky Sall a fait est simplement le respect d'une tradition bien ancrée chez nous, à savoir que nous trouvons toujours en nous-mêmes, et par la bonne intelligence des situations, les ressources pour dépasser nos différences et perpétuer nos legs.

Ces huit prochains mois qui nous séparent de la présidentielle seront des moments inédits où l'on devrait assister au déploiement d'une légitimité renforcée par les indéniables gains de popularité engrangés depuis que le spectre du troisième mandat s'est éteint. Dans la même dynamique, c'est tout le casting des prétendants au fauteuil présidentiel qui s'en trouve bouleversé. Le candidat qu'il désignera sera un sérieux prétendant surtout s'il bat campagne en sa faveur.

Ses incessants appels à l'unité de sa coalition « Benno Bokk Yakaar » comme récemment à Paris ou avec les maires qui le poussaient à la candidature le week-end dernier, trouvent maintenant leur explication. Il a donné le ton au sujet des suites judiciaires qui seront accordées aux émeutes et pillages ayant suivi le verdict de l'affaire Adji Sarr Vs Ousmane Sonko. Et on voit mal le parquet ne pas exécuter la décision de justice rendant inéligible le leader de Pastef....

Depuis quelques heures, les Cassandre d'ici et d'ailleurs qui annonçaient la fin de notre modèle (à l'instar de ce chanteur ivoirien qui disait percevoir au Sénégal ce qu'il avait vu dans son pays lors de la crise politique, à savoir 3000 morts ; ce député européen de nationalité Tchèque qui a voulu raconter les rêves d'un Futaanké du Sine ; ou l'avocat-mustélidé Julian Branco) doivent changer de perspective. C'est un nouvel alizé qui vient souffler sur notre démocratie.

Mais l'ouvrage reste toujours sur le métier. Comme il l'a dit, il nous faudra plus de solidarité, plus de résilience face aux défis qui se posent à notre collectivité, à notre Etat. En annonçant son départ en 2024, Macky Sall confirme son rang et la stature de notre pays.

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