Ile Maurice: «Occupation permit» réduit à Rs 30 000 - Les répercussions sur la main-d'oeuvre locale

Le seuil du salaire mensuel pour qu'un professionnel se qualifie pour un «occupation permit» passe de Rs 60 000 à Rs 30 000, selon le Budget 2023-24. Cette mesure visant à faciliter le recrutement d'étrangers ne risque-t-elle pas de décourager, voire dévaloriser, nos ressources humaines locales et les pousser davantage à aller voir ailleurs ? Tour d'horizon.

Alors que les employeurs peinent à recruter localement dans une diversité de domaines, plusieurs plaidoyers pour le recrutement international, depuis des mois, auront trouvé une oreille attentive car le ministre des Finances, dans son discours du Budget, le 2 juin, est venu avec la mesure que la rémunération mensuelle pour obtenir un occupation permit pour un professionnel étranger baisse de Rs 60 000 à Rs 30 000. Cela va-t-il forcément favoriser l'emploi d'étrangers au détriment d'effectifs locaux ?

Pour Adilla Mosafeer, directrice de Talent Lab, avec l'ouverture du marché du travail vers l'international, la main-d'oeuvre locale devra définitivement regarder d'un nouvel oeil les opportunités d'emplois. La concurrence, avec l'intégration de la compétence étrangère, s'installera mais cela ne doit pas nécessairement être perçu de nature négative. «En effet, cette ouverture viendra combler un manque apparent dans de nombreux secteurs, dont l'informatique, les services financiers et l'externalisation, par exemple», déclare-t-elle.

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Depuis très longtemps, poursuit-elle, la main-d'oeuvre locale a causé sa propre dévalorisation par un manque d'enthousiasme et une attitude trop sélective (et souvent des attentes irréalistes) face aux offres d'emploi. La rotation d'employés a sensiblement augmenté les frais de gestion et les charges patronales. La chute de plusieurs entreprises n'est pas étrangère à ces pressions exercées durant des années, confie-t-elle. L'État a résisté à l'ouverture aux expatriés pendant longtemps. Malheureusement, cela s'est fait au détriment des initiatives entrepreneuriales et ne justifiait plus la création d'entreprises, et par extension la croissance du Produit intérieur brut (PIB).

Pour sa part, l'économiste et expertcomptable, Bhavish Jugurnath, déclare que les travailleurs étrangers contribuent une large part à l'emploi mauricien. L'embauche de travailleurs étrangers n'est pas une approche simple, par opposition à celle d'employés mauriciens. Mais certains secteurs comme la boulangerie et la construction dépendent fortement des travailleurs étrangers car il n'y a pas d'employés mauriciens voulant exercer ces métiers pour diverses raisons, comme les longues heures de travail, le peu de congés et la santé. Inversement, les étrangers n'ont pas d'inconvénients à y travailler, génèrent moins de frais et sont très productifs. Désormais, dit-il, ce recrutement s'ouvrira à plus de secteurs. «Définitivement, ce sera un désavantage pour les Mauriciens. C'est important que les décideurs cherchent à améliorer la productivité et le coût des travailleurs locaux.»

Préserver les métiers où les Mauriciens sont en nombre

Jennifer Webb de Commarmond, directrice générale de Proactive Talent Solutions, soutient pour sa part que la période post-Covid-19 a témoigné d'un changement considérable dans le paysage du recrutement de la main-d'oeuvre mauricienne. «Il devient de plus en plus difficile de recruter pour les métiers col-bleu. Certaines entreprises, du secteur manufacturier par exemple, n'arrivent pas à soutenir la demande par manque de main-d'oeuvre. Donc, cette mesure aidera surtout ces entreprises», constate-t-elle.

Cependant, il est nécessaire de valoriser ces métiers pour attirer les Mauriciens. Elle songe notamment aux métiers qui requièrent de la technique, mal rémunérés et mal considérés, tels que la menuiserie ou la maçonnerie. «Par ailleurs, nous devons impérativement préserver les métiers où les Mauriciens sont en nombre : managers, superviseurs, etc.» Elle estime que les professions où il existe le contact-client, devraient être majoritairement occupées par des Mauriciens. Aussi, elle est d'avis qu'il n'y aura pas un découragement pour l'introduction de la mesure budgétaire, mais il faut être vigilant et garder cet équilibre entre la préservation de l'emploi pour les Mauriciens et la pression sur la production dans certains secteurs.

De son côté, Preetam Bhuglooa, président de l'Hotels and Restaurant Employees Union, affirme que le recrutement d'étrangers ne présente pas un risque pour l'emploi des Mauriciens. «Aujourd'hui, nous n'avons pas de jeunes Mauriciens intéressés à travailler dans l'hôtellerie. Beaucoup ne veulent pas travailler de nuit et renoncer à une vie sociale. Parallèlement, le salaire ne les attire pas. Par contre, ces métiers sont attrayants pour les Indiens, Africains, entre autres nationalités.» Il observe que la présence d'étrangers à ces postes est de plus en plus perceptible.

«Les professions où il existe le contact-client, devraient être majoritairement occupées par des mauriciens.»

À côté, les Mauriciens bifurquent plus sur les emplois internationaux, notamment à bord de bateaux de croisière. Pourquoi voit-il d'un bon oeil la baisse de l'occupation permit au salaire de Rs 30 000 ? Preetam Bhuglooa soutient que la main-d'oeuvre étrangère est polyvalente en accomplissant plusieurs tâches à la fois. A contrario, pour accomplir ces mêmes responsabilités, l'embauche de divers travailleurs locaux sera nécessaire.

Subséquemment, cela ne va-t-il pas booster l'exode des Mauriciens ? Pour Adilla Mosafeer, la main-d'oeuvre locale trouvera toujours sa place, si elle veut la prendre. L'exode ? «Il est là depuis des décennies maintenant. Beaucoup d'employés ont quitté leur employeur du jour au lendemain pour embarquer sur des bateaux de croisières. D'autre part, notre secteur financier aussi en souffre avec nos talents qui partent vers des opportunités alléchantes dans les financial hubs, tels qu'au Luxembourg, à Malte, etc. Ce ne serait pas la faute aux expatriés...»

Le problème d'exode des Mauriciens est loin d'être un phénomène nouveau, rappelle Jennifer Webb de Commarmond. «Nous nous souvenons particulièrement du départ massif de familles mauriciennes à la fin des années 1960. Il faut connaître l'objectif de ces départs. Est-ce parce qu'il n'y a plus de travail ou parce que ces Mauriciens ne voient plus un avenir rassurant pour eux et leurs enfants ? Cette réponse est cruciale car à aujourd'hui, nous ne savons pas combien de Mauriciens sont partis et combien sont en voie de quitter le pays», renchérit-elle.

Elle voit même un paradoxe car cette année, plus de 30 000 jeunes sont entrés sur le marché de l'emploi et il y a toujours une pénurie de main-d'oeuvre et, de surcroît, des familles vont grossir notre diaspora. «Pour moi, les réponses sont à chercher au niveau des aspirations de notre workforce et des stratégies des entreprises mauriciennes à retenir leurs employés», précise-t-elle.

Incitations financières aux entreprises

Au sujet de l'exode, l'économiste pense que le fait que des Mauriciens essaient d'avoir une meilleure carrière hors du pays constitue une réalité pour diverses raisons. «Dans mon domaine en tant que comptable, des pays comme le Luxembourg et Malte offrent des salaires dix fois supérieurs à ceux de Maurice, hors avantages sociaux. Naturellement, cela attirera nos talents locaux.» Un autre facteur économique, est que le coût de la vie plus élevé encourage des familles mauriciennes à chercher ailleurs, souvent pour que les enfants puissent bénéficier d'une éducation gratuite et de meilleure qualité, en particulier au niveau universitaire.

Quelles stratégies adopter pour sauver notre main-d'oeuvre locale ? Adilla Mosafeer affirme qu'il est crucial d'investir dans l'éducation et la formation pour développer un vivier de compétences locales adaptées aux besoins du marché du travail. D'après elle, le mismatch est bien réel et nécessite une analyse approfondie suivie de programmes de formation et/ou scolaires axés sur les compétences. «En retour, nous trouverons des partenariats entre formateurs et entreprises, créant un ensemble cohérent pour répondre aux exigences professionnelles.

Sauver nos ressources humaines : il n'y a même pas lieu. Ceux qui veulent travailler, travailleront... Le monde est aujourd'hui un village global, dit-on. Il est temps que tous le comprennent. Nous avons tous à un certain moment négligé l'artisan à côté de nous, pour commander moins cher en ligne, n'est-ce pas ? C'est le même principe pour l'acquisition des compétences. C'est cela le monde d'aujourd'hui», souligne-t-elle.

Selon Bhavish Jugurnath, plusieurs politiques peuvent être adoptées pour préserver les talents locaux. L'une consiste à inciter les entreprises locales à embaucher et retenir les talents mauriciens. Selon lui, cela peut être fait en offrant des allégements fiscaux ou d'autres incitations financières aux entreprises pour l'emploi et la rétention des ressources humaines locales. Une autre politique consiste à proposer des programmes de formation et d'éducation aux talents locaux pour les aider à développer les compétences nécessaires pour réussir dans leur carrière.

«Cela peut être fait en s'associant avec des écoles et universités locales pour dispenser des formations ou en offrant des bourses aux étudiants locaux», préconise-t-il. Une autre stratégie est d'établir un environnement favorable aux talents mauriciens. Cela peut être fait en instituant un réseau de mentors et de conseillers pour fournir des conseils et un soutien à ces effectifs tout au long de leur carrière. De plus, la création d'une culture d'innovation et d'entrepreneuriat peut aider à attirer et à retenir les talents locaux, suggère-t-il.

Avec la pandémie et les confinements successifs, poursuit Jennifer Webb de Commarmond, quelque chose d'inédit s'est produit à l'échelle mondiale. Les employeurs et les salariés ont dû trouver de nouvelles manières de travailler. Le work from home est entré dans l'ADN de notre rapport au travail. «Mais que se passe-t-il pour les emplois dans la production ? Il faut opérer des machines, être sur place. Il est évident qu'aujourd'hui, il faut trouver un terrain où tout le monde sorte gagnant.»

D'après elle, il existe plusieurs stratégies pour renforcer la rétention des employés et l'attraction de nouveaux talents. Par exemple, offrir un environnement de travail où les équipes sont solidaires et engagées ; privilégier un management collaboratif ; proposer la flexibilité des horaires et un work-life balance, des formations etc. «Mais pour moi, la stratégie incontournable est de faire une proposition de valeur unique, c'est-à-dire que chaque entreprise gagnerait à trouver ce qui la rend unique et démontrer que le travail qu'elle propose a un sens et contribue non seule- ment à un changement positif dans la vie de l'employé, mais aussi dans la société.»

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