Un conflit foncier oppose, depuis plus d'une vingtaine d'années, les populations des communes voisines de Orodara, dans la province du Kénédougou, région des Hauts-Bassins, et de Moussodougou, dans la Comoé (région des Cascades). Cette crise foncière ayant longtemps impacté le vivre-ensemble est en passe d'être résolue, non seulement grâce à la parenté à plaisanterie, mécanisme endogène de règlement des crises, mais aussi et surtout, la volonté des chefs coutumiers de Orodara et de Moussodougou. En ce mois de mai 2023, les deux communes nourrissent l'espoir d'enterrer définitivement la hache de guerre.
Jeudi 11 mai 2023. La matinée est particulièrement ensoleillée et le ciel, dégagé au-dessus de la ville de Orodara, région des Hauts-Bassins. Les populations vaquent paisiblement à leurs occupations. Rien d'inhabituel jusqu'aux environs de 11 heures, où le train-train quotidien a été estompé par un bruit de foule. En effet, des jeunes, des femmes et même des personnes du troisième âge, à pied, à vélo, à motocyclette ou en voiture, aux sons des sifflets et des klaxons d'engins, manifestent leur joie dans les artères du secteur 4, non loin de la résidence du chef du village. Gagnées par la curiosité, des populations riveraines observent la scène avec mille et une interrogations. Renseignement pris, il ressort que cette liesse populaire est un accueil du chef du village de Moussodougou (province de la Comoé, région des Cascades), Dogobiè Djila Sourabié, à la tête d'une délégation ayant parcouru environ 35 kilomètres pour venir rendre une visite de courtoisie à son homologue de la cité du Verger, Massa Traoré.
A la place « Dièlo Kroi », (ndlr, lieu de rencontre), l'ambiance est aussi festive. Toute la crème de la chefferie coutumière des deux localités y est. « Cette visite s'inscrit dans le cadre du raffermissement des liens séculaires d'amitié et de fraternité qu'entretenaient, jadis, les deux communautés ». Tels sont les premiers mots du chef de Moussodougou, enveloppé dans une tenue traditionnelle, Faso Danfani et assis dans le même fauteuil que son hôte du jour. Dogobiè Djila Sourabié, dit aussi être venu rendre la politesse à « son frère aîné » qui lui avait rendu visite en décembre 2022, afin de lui exprimer « de vive voix » sa gratitude et sa reconnaissance. Son souhait, fait-il savoir ensuite, est l'entente, la paix et la cohésion sociale entre les deux communautés.
Une visite historique
Du côté du chef du village de Orodara, Massa Traoré, c'est aussi la joie et la satisfaction d'accueillir un frère. Convaincu que rien ne peut se faire sans l'entente et la paix, il confie que si Orodara et Moussodougou parlent aujourd'hui le même langage et regardent dans la même direction, cela va dans l'intérêt de leurs populations. « Les divergences qui ont émaillé nos rapports de voisinage depuis une certaine époque relèvent désormais du passé », soutient-il. Comme le chef de Moussodougou, celui de Orodara a également émis le souhait que les deux localités reprennent leurs relations d'antan. Cette visite, au même titre que celle de décembre 2022 à Moussodougou, est historique, parce qu'il y a une vingtaine d'années de cela que, l'on ne pouvait imaginer ou même envisager une telle civilité entre les deux communes. Et pour cause, un conflit foncier au sujet d'un lopin de terre agricole les oppose sur fond de tension à Dou, un hameau de culture à cheval entre les deux communes.
Ce conflit a dégénéré en affrontements faisant une victime et d'importants dégâts matériels en octobre 2000. Selon Amadou Sourabié, ancien président du Conseil villageois de développement (CVD) de Moussodougou, cette situation a compromis les activités agricoles à Dou, dans la zone litigieuse et a même impacté le quotidien des populations riveraines. Ce 12 mai 2023, Daouda Traoré, un exploitant agricole dans la localité se souvient encore de ces moments sombres de leur histoire commune. Ce sexagénaire confie que dans le passé, Orodara et Moussodougou entretenaient de très bons rapports de voisinage, mais le conflit a négativement impacté le vivre-ensemble des populations. « Nous formions une même communauté et nous faisions presque tout, ensemble. Mais l'avènement de ce conflit a contribué à détériorer les relations. Chacun était réservé de son côté », explique-t-il.
La marque de la parenté à plaisanterie
Lassina Hébié, un autre exploitant agricole à Dou, indique que c'était un coup dur. Les fréquentations entre les populations n'étaient plus constantes comme auparavant. Il affirme que le conflit a déchiré le tissu social. Aux dires du porte-parole des coutumiers auprès de l'administration publique, Yacouba Coulibaly dit « Vieux père choc », les tentatives de médiations d'alors pour concilier les deux parties conflictuelles étaient difficiles. Pour désamorcer la « bombe », de nombreux mécanismes endogènes de règlement des crises ont été mis en branle.
Il s'agit notamment de l'approche de l'alliance à plaisanterie engagée par les ressortissants de la région du Sud-Ouest (Lobi, Dagara, Birifor, Djan, Pougouli, Gan ...) résidant à Banfora et à Orodara ayant pour parents à plaisanterie, les populations des deux communautés en conflit, en l'occurrence, les Siamou (Oradara) et les Turka (Moussodougou). Cette valeur ancestrale a été mise à contribution pour rapprocher les populations en conflit, selon le président de l'Association Rameau Lobi de Orodara, Sié Romaric Midjour.
Le Rameau Lobi, détaille-t-il, regroupe l'ensemble des peuples de la région du Sud-Ouest (Gaoua) qui sont des parents à plaisanterie avec les communautés vivant dans la région des Cascades et dans la province du Kénédougou. L'association, souligne M. Midjour, a pris la relève de l'initiative du Rameau Lobi de Banfora et a travaillé avec un collège de sages mis en place de part et d'autre à cet effet. « Dans la résolution, nous avons discuté avec ces deux groupes de manière séparée. Quand nous avons senti l'apaisement, on s'est tous rencontré à Dou où la crise s'est produite. Nous avons juré sur les ancêtres, avant de partager une calebasse d'eau pour dire que celui qui va enfreindre à la loi sera confié aux ancêtres », ajoute-t-il. Pour le président du Rameau Lobi de Orodara, il importait de tenir un langage de vérité et de solidarité pour la préservation de la paix et du vivre-ensemble. « Les deux populations sont imbriquées.
De part et d'autre, il y a des mariages et des beaux parents, des cousinages et des amis. Nous avons pu faire cela grâce à la bonne foi des uns et des autres », reconnait-il. Cette intervention, a permis, aux dires de M. Midjour, de désamorcer la crise. « On ne pouvait pas ne pas entamer la médiation. Ce sont nos parents. Nous sommes aussi bien concernés qu'eux. On ne pouvait pas faire la sourde oreille alors que nos parents à plaisanterie s'entredéchiraient. On ne pouvait donc pas rester insensible », estime le président de l'association.
Des engagements pris
C'est dans cette dynamique d'apaisement que le chef de Orodara, Massa Traoré, conduisant une forte délégation de coutumiers, s'est rendu chez son homologue et « petit frère » de Moussodougou, en décembre 2022, afin de trouver les voies et moyens pour mettre une croix sur ce passé douloureux. Le voisinage, soutient le représentant du chef de canton de Orodara, Montageran Traoré, est très important dans la communauté. « Nous sommes des frères. Quand il y a un problème dans une famille, les premières personnes à vous porter secours, ce sont les voisins. Mais quand on vit en chien de faïence avec ses voisins, la cohabitation devient difficile », dit-il. Les pourparlers, foi de M. Traoré ont porté fruit. A l'issue de la rencontre de Moussodougou, les deux chefs ont convenu que les populations riveraines ayant leurs sites d'exploitation dans la partie litigieuse, de Dou à Samogohiri en passant par Fè, puissent créer en leur sein une cellule de gestion de conflits. En cas de problème, cette structure sera chargée de rechercher les auteurs afin de situer les responsabilités. Au cas échéant, le problème sera porté devant les chefs de village et de terre. Les différentes autorités religieuses se sont également engagées à mener des campagnes de sensibilisation de paix et de cohésion sociale dans leurs lieux de culte. Enfin, elles ont invité leurs populations respectives au strict respect des engagements pris.
L'espoir d'un dénouement heureux
Ces engagements des premiers responsables coutumiers des deux localités à cultiver la paix et la cohésion sociale suscite des espoirs d'une fin heureuse du triste épisode entre ces populations soeurs. Banguiramounala Hébié, la trentaine environ, est le secrétaire à l'organisation de l'Association pour le développement économique, social et culturel de Moussodougou (ADESMO). Il affirme que ces rencontres entre les deux chefs sont une surprise et une grande joie pour lui. « Je n'ai jamais imaginé voir un jour les deux hommes ensemble. C'est vraiment une joie immense pour moi car, la page sombre semble être tournée », a-t-il dit. Pour le représentant du chef de canton de Orodara, Montageran Traoré, ces rencontres entre les deux chefs de village sont bénéfiques pour les populations aussi bien de Orodara que de Moussodougou. Dramane Sourabié, est un leader de la jeunesse de Moussodougou. Il laisse entendre que l'initiative est louable à juste titre. « Nous les jeunes, nous n'attendions que cela », affirme M. Sourabié. Pour sa part, le vice-président de l'ADESCO, Karim Barro dit docteur, traduit sa reconnaissance aux deux chefs qui se sont engagés pour un retour de la paix et propose que chacun travaille à instaurer la paix dans les deux localités.