Le Rwanda est devenu un acteur essentiel en République centrafricaine. Il aide le gouvernement à lutter contre les rebelles, appuie les réformes de l'État et investit dans de nombreuses entreprises. Cet engagement s'avère bénéfique mais s'accompagne de certains risques. Bangui et Kigali devraient agir rapidement pour minimiser ces derniers.
Que se passe-t-il ? Le Rwanda est devenu un partenaire très influent de la République centrafricaine (RCA). Principal pourvoyeur de Casques bleus de la Minusca, Kigali a également envoyé des troupes dans le cadre d'un accord bilatéral. Le pays contribue au renforcement des institutions centrafricaines, tout en acquérant des concessions minières et en investissant dans des projets agricoles.
En quoi est-ce significatif ? Ce partenariat produit des effets positifs, mais comporte aussi des risques. Les Centrafricains apprécient la présence des troupes rwandaises mais considèrent les activités commerciales de Kigali comme une concurrence déloyale. Le Rwanda pourrait également se retrouver en porte-à-faux avec le groupe russe Wagner, l'autre partenaire sécuritaire majeur de la RCA.
Comment agir ? La RCA et le Rwanda gagneraient à apporter plus de transparence aux accords qui sous-tendent leur partenariat. Kigali devrait redoubler d'efforts pour relancer le processus de paix au point mort entre le gouvernement de la RCA et les rebelles. Bangui devrait chercher à désamorcer les tensions entre Kigali et Wagner.
I. Synthèse
Le Rwanda est devenu en quelques années un acteur incontournable en République centrafricaine (RCA). Déjà principal contributeur de Casques bleus de la Minusca, la mission de l'ONU dans le pays, Kigali a déployé des troupes supplémentaires à la demande de Bangui pour aider le gouvernement à repousser une rébellion lors de la campagne pour l'élection présidentielle de 2020. Les deux pays ont signé divers accords promettant des investissements rwandais et un soutien aux réformes institutionnelles en RCA. Cependant, certains scénarios comportent des risques qui pourraient, à terme, entacher les relations entre les deux pays. Les opérateurs économiques centrafricains redoutent une concurrence déloyale de la part de leurs homologues rwandais, qui bénéficient d'avantages pour leurs projets, dont la protection par des soldats rwandais. Parallèlement, le Rwanda - comme beaucoup d'autres gouvernements - se méfie de l'autre partenaire sécuritaire de la RCA, le groupe Wagner, la société privée russe qui a mené une mutinerie contre le Kremlin, le 24 juin. Bangui et Kigali devraient agir dès maintenant pour empêcher que ces problèmes ne se transforment en menaces supplémentaires qui ne feraient que renforcer l'instabilité dans laquelle le pays est déjà plongé.
L'influence du Rwanda en RCA se renforce alors que Bangui est confronté à de graves difficultés, notamment à plusieurs rébellions. Bangui a lancé une contre-offensive début 2021, forçant les groupes rebelles à se retirer des grandes villes, mais pas des zones rurales où ils restent très présents. Depuis la fin de l'année 2022, les rebelles ont multiplié les attaques dans tout le pays. Les rébellions, bien enracinées, rendent improbable une résolution militaire du conflit. En outre, les partenaires sécuritaires engagés par la RCA, notamment Wagner, semblent tout aussi déterminés à extraire les ressources naturelles qu'à combattre les rebelles. L'arène politique est d'autant plus polarisée que le président Faustin-Archange Touadéra cherche à amender la constitution pour pouvoir briguer un troisième mandat. Les tensions pourraient s'aggraver au moment du référendum constitutionnel prévu pour le mois de juillet. Pour ne rien arranger, les caisses de l'État se vident rapidement, les bailleurs de fonds ayant gelé leur aide budgétaire en raison des liens que le gouvernement entretient avec Wagner.
Dans ces circonstances, un partenariat élargi avec le Rwanda pourrait être un moyen pour les autorités centrafricaines d'atténuer le risque d'une crise généralisée. Les troupes rwandaises bien entraînées améliorent la sécurité dans plusieurs régions du pays. Kigali a également joué un rôle dans les accords de paix avec les groupes armés, notamment grâce à la nomination de ressortissants rwandais à des postes clés au sein d'organisations internationales - l'ONU et la Banque mondiale - en RCA. Les accords Bangui-Kigali comprennent des mesures visant à renforcer l'État centrafricain - modernisation de la fonction publique et réforme du secteur de la sécurité - ainsi que la promotion des investissements pour maintenir à flot une économie durement touchée par l'inflation des prix des produits de base au cours des dernières années.
L'intervention du Rwanda contribue également à améliorer son positionnement diplomatique sur le continent.
L'intervention du Rwanda contribue également à améliorer son positionnement diplomatique sur le continent. En apportant un soutien militaire à la RCA, Kigali a l'occasion de redorer son blason en tant que garant de la stabilité, sous la bannière des « solutions africaines aux problèmes africains », un slogan cher au président rwandais Paul Kagame, que les capitales occidentales soutiennent souvent comme une solution alternative à des missions internationales de maintien de la paix à grande échelle. Les efforts déployés par Kigali jusqu'à présent en RCA et au Mozambique où les forces rwandaises ont contribué à contenir une insurrection jihadiste, ont permis au pays de gagner en réputation. Les interventions de Kigali lui permettent également de disposer d'arguments pour répondre à la colère grandissante vis-à-vis de son soutien à la rébellion du M23 à l'est de la République démocratique du Congo (RDC).
La diplomatie militaire du Rwanda en RCA a également porté ses fruits sur le plan financier. Kigali a signé des accords économiques avec Bangui, profitant de la propension de ce dernier, depuis l'époque coloniale, à laisser les puissances étrangères exploiter les ressources naturelles du pays - notamment l'or, les diamants et le bois. L'aspect économique joue un rôle central dans le partenariat avec Bangui, à tel point qu'une partie non négligeable des troupes rwandaises en RCA sont souvent employées pour accompagner des opérateurs économiques et pour garder des mines au lieu de patrouiller dans les zones les plus touchées par le conflit.
Le double objectif de la présence rwandaise en RCA - assurer la sécurité tout en recherchant le profit - pourrait causer des problèmes. Les Centrafricains craignent une prédation organisée de la part des investisseurs rwandais, qui sont considérés comme bénéficiant d'avantages déloyaux accordés par le gouvernement centrafricain. Cette inquiétude, renforcée par le secret qui entoure les opérations économiques de Kigali, pourrait conduire à des pillages et à des violences à l'encontre des Rwandais. Les intérêts miniers du Rwanda l'opposent aussi directement à Wagner. Cette rivalité émergente, combinée aux rumeurs selon lesquelles Washington envisagerait de soutenir Kigali pour contrer l'influence de Wagner en RCA, pourrait conduire à des affrontements entre soldats rwandais et mercenaires russes.
Réduire ces risques bénéficierait à la fois à la RCA et au Rwanda. Le premier pourrait s'appuyer sur les succès du partenariat pour rétablir progressivement la paix dans le pays, tandis que le second pourrait se forger une réputation de force stabilisatrice en Afrique (malgré ses actions controversées en RDC). Idéalement, Bangui et Kigali devraient divulguer le contenu de leurs accords bilatéraux et les soumettre à l'examen de l'Assemblée nationale centrafricaine - conformément à ses prérogatives constitutionnelles - afin de lever le voile qui pèse sur le partenariat et d'apaiser les inquiétudes qui en découlent. Le Rwanda devrait contribuer à la reprise du dialogue entre le gouvernement et les rebelles. Il devrait également lier son soutien militaire en RCA à la réforme de l'armée. Quant aux investisseurs rwandais, ils devraient contribuer à la construction de l'économie formelle. Ils pourraient également améliorer la perception qu'ont les Centrafricains de leurs activités en s'impliquant directement auprès des autorités locales et des communautés rurales. Enfin, le Rwanda devrait éviter de se laisser entraîner dans la guerre d'influence que se livrent les pays occidentaux et la Russie en Afrique. Kigali devrait veiller à ce que son intervention en RCA ne crée pas de problèmes supplémentaires pour la RCA, le pays qu'elle tente d'aider.
II. L'engagement du Rwanda en RCA
Au cours des dernières décennies, les dirigeants africains se sont de plus en plus ralliés au slogan « solutions africaines aux problèmes africains » - à savoir, une action continentale autonome, en particulier dans le domaine de la paix et de la sécurité. L'objectif étant notamment de libérer l'Afrique de sa dépendance à l'égard des missions internationales longues et coûteuses. Les Nations unies et les pays occidentaux soutiennent également ce concept. Le président Kagame est un fervent partisan de cette idée. Lorsqu'il a occupé la présidence tournante de l'Union africaine (UA) en 2018, Kagame a énergiquement poussé à des réformes visant à renforcer l'indépendance financière de l'institution et le préparer au mieux pour s'attaquer aux questions de sécurité sur le continent.[1] Le Rwanda aspire à jouer un rôle de premier plan dans la recherche de « solutions africaines ». La République centrafricaine est un des pays dans lequel le Rwanda a été le plus actif ; Kigali y a investi des capitaux militaires, économiques et politiques considérables. En mai 2022, Kigali a ouvert une ambassade à Bangui, symbole manifeste du renforcement de la coopération entre les deux pays.[2]
[1] Voir le commentaire de Crisis Group, « Huit priorités pour l'Union africaine en 2019 », 6 février 2019.
[2] L'ambassadeur du Rwanda à Bangui, Olivier Kayumba, était auparavant secrétaire permanent du ministre de la Gestion des urgences. Au moment de la rédaction de ce rapport, le personnel de l'ambassade n'était pas au complet.
A. Un laboratoire pour la diplomatie militaire rwandaise
La stratégie du Rwanda en RCA s'inscrit dans le cadre plus large de sa diplomatie militaire qui, depuis 2005, a permis à Kigali de forger des partenariats économiques avec les pays où elle maintient des troupes et qui disposent des ressources naturelles dont manque le pays.[1] Cette politique a commencé à se dessiner au moment du génocide de 1994 au Rwanda, qui a révélé, selon Kigali, que les pays africains ne pouvaient pas compter sur les interventions internationales et devaient développer eux-mêmes de plus solides capacités. Les contributions aux missions de l'ONU et de l'UA ont permis à Kigali de faire du maintien de la paix un outil de politique étrangère, en l'intégrant dans le mandat officiel de la Force de défense du Rwanda et en créant en 2013 l'Académie rwandaise pour la paix afin de former des officiers à ce rôle.[2] Les interventions bilatérales en RCA et au Mozambique (une autre est prévue au Bénin) ont renforcé la réputation du Rwanda en tant qu'alternative africaine crédible aux opérations multilatérales, qui se sont souvent avérées inefficaces.[3] Ses missions tendent à remplir des fonctions plutôt contre-insurrectionnelles que de maintien de la paix traditionnel, conformément à la demande accrue sur le continent d'une action militaire plus ferme contre les militants jihadistes et d'autres groupes armés.
[1] Federico Donelli, «Rwanda's Military Diplomacy: Kigali's Political Use of the Military Means to Increase Prestige and Influence in Africa and Beyond», Institut français des relations internationales, avril 2022.
[2] « Les bonnes affaires de la diplomatie militaire du Rwanda », Le Monde, 1er avril 2022. Depuis 2006, le Rwanda est l'un des principaux fournisseurs de Casques bleus pour les missions de l'ONU. En décembre 2022, les dix premiers contributeurs de troupes étaient : le Rwanda (1 660), le Bangladesh (1 333), le Pakistan (1 275), l'Égypte (989), la Zambie (910), le Népal (769), le Maroc (750), le Cameroun (750), le Burundi (747) et la Mauritanie (450).
[3] L'intervention rwandaise au Mozambique est également motivée par des préoccupations de sécurité nationale. « Avec son intervention militaire au Mozambique, le Rwanda élargit sa zone d'influence », Le Monde Afrique, 29 septembre 2021. « Le Rwanda promet son aide au Bénin face à la menace terroriste », Jeune Afrique, 16 avril 2023.
Le rôle [du Rwanda] a été renforcé à un rythme soutenu au sein de la MINUSCA [...] en 2022, il a fourni plus de 2 000 soldats et policiers.
Au fil des années, le Rwanda est devenu le premier pourvoyeur de soldats de la paix en RCA. Kigali est impliqué dans la crise centrafricaine depuis 2013. Cette année-là, le coup d'État perpétré par la Séléka, une coalition rebelle majoritairement musulmane, a chassé le président François Bozizé et plongé le pays dans la guerre civile, alors qu'une partie de la population constituait des milices, connues sous le nom de groupes anti-balaka, qui attaquaient non seulement les combattants de la Séléka mais aussi les civils musulmans. L'engagement du Rwanda a commencé par le déploiement de 850 soldats dans le cadre de la mission initialement dirigée par l'UA.[1] Son rôle s'est renforcé à un rythme soutenu au sein de la Minusca, qui a pris le relais en 2014. En 2022, sa contribution s'élevait à plus de 2 000 soldats et policiers.[2] Les Casques bleus rwandais de la Minusca sont majoritairement déployés dans trois zones géographiques : à Bangui, la capitale, au centre du pays et le long de la frontière avec la RDC.[3] À Bangui, les forces rwandaises assurent, depuis 2015 la protection des personnalités politiques clés de la République, y compris le chef de l'État.[4] Le contingent rwandais de la Minusca est l'un des rares à avoir la discipline et le professionnalisme requis pour se voir confier des missions très sensibles ou nécessitant des combats.
Le déploiement bilatéral de troupes rwandaises en RCA fait également partie de la diplomatie militaire de Kigali. En 2016, le président Touadéra a commencé à rechercher activement une plus grande assistance sécuritaire après le retrait de la mission française Sangaris et les échecs répétés de la Minusca à contenir la douzaine de groupes armés qui a émergé de la crise de 2013.[5] Il souhaitait également attirer des investissements privés pour relancer les plans de développement de la RCA.[6] Ces facteurs, conjugués à l'abondance des ressources naturelles à l'intérieur du pays, ont fait de la RCA un partenaire très intéressant pour Kigali. En octobre 2019, après une visite du président Kagame à Bangui, les deux pays ont signé un accord de coopération militaire, dont les détails ont été tenus secrets.[7]
En décembre 2020, Kigali a envoyé, en urgence, près d'un millier de soldats en RCA à la demande de Touadéra.[8] La situation était particulièrement tendue dans le pays. L'élection présidentielle était imminente. L'ancien président Bozizé avait créé un nouveau groupe rebelle, la Coalition des patriotes pour le changement (CPC), pour empêcher le vote après l'annulation de sa candidature par la Cour constitutionnelle. La CPC rassemblait les six groupes armés les plus puissants du pays, une coalition hétéroclite de groupes de l'ex-Séléka et d'anti-balaka.[9] Lorsque les soldats rwandais sont arrivés, la CPC s'était rapprochée des villes autour de Bangui, comme Damara et Boali, et menaçait de marcher sur la capitale.
Kigali a invoqué l'apparente faiblesse de la Minusca pour justifier ce nouveau déploiement. À l'époque, le ministre rwandais de la Défense avait déclaré que les troupes étaient des renforts pour les Casques bleus rwandais ciblés par les rebelles.[10] Quelques mois plus tard, Kagame a affirmé que la force de l'ONU était « pieds et poings liés, comme en 1994 au Rwanda ».[11] C'est la raison que Kagame a invoquée quand Bangui et Kigali ont conclu un accord bilatéral, alors même que Kigali n'avait pas envoyé d'autres contingents de manière bilatérale vers des pays dans lesquels elle avait des troupes sous les auspices de l'ONU et qui étaient confrontées à des difficultés similaires.[12]
Quoi qu'il en soit, entre janvier et juin 2021, ce nouvel effectif rwandais, non limité par les règles d'engagement de l'ONU, a contribué à repousser la CPC aux côtés d'une force menée par l'armée centrafricaine et les paramilitaires de Wagner. L'opération a permis de libérer les principales villes du pays mais n'a pas réussi à éradiquer la rébellion.[13] Les soldats centrafricains et leurs alliés russes ont continué à combattre les rebelles dans le nord-ouest et le nord-est du pays. À la demande de Touadéra, néanmoins, les Rwandais ont joué un rôle de protection et non d'offensive et se sont installés loin des zones de combat, de sorte que la CPC ne les considère plus comme une menace.[14] La plupart sont restés à Bangui et dans les deux préfectures les plus proches de la capitale, Ombella-M'poko et Lobaye. Ils ont établi deux bases, à Damara, non loin de la résidence secondaire du chef de l'État, et à Bokoko, à une quarantaine de kilomètres de la base de Berengo utilisée par Wagner. L'emplacement de ces bases a probablement été en partie déterminé par des intérêts économiques. Ces secteurs sont proches des zones d'investissement du Rwanda, mais loin des régions nécessitant des réponses militaires urgentes.[15]
[1] L'UA a créé la Mission internationale de soutien à la Centrafrique en juillet 2013, à la suite du coup d'État qui a renversé le président Bozizé. Cette mission de maintien de la paix fait désormais partie de la Minusca. « Centrafrique : 850 soldats rwandais en renfort », Le Monde, 16 janvier 2014.
[2] Au 30 juin 2022, le Rwanda fournissait 1 660 soldats, 507 policiers et 30 officiers d'état-major - soit 20 pour cent des soldats et 15 pour cent des policiers - à la Minusca. Conseil de sécurité des Nations unies, « République centrafricaine : Rapport du Secrétaire général », 16 juin 2022, p. 19-20.
[3] Les troupes rwandaises sont déployées à Kaga-Bandoro (préfecture de Nana-Gribizi), Bria (Haute-Kotto), Bangassou et Rafaï (Haut-Mbomou).
[4] Les soldats rwandais protègent également le président de l'Assemblée nationale, le Premier ministre et de nombreux membres du cabinet centrafricain. « Centrafrique : pour la sécurité de Catherine Samba-Panza, des Rwandais pour boucliers », Jeune Afrique, 23 novembre 2015.
[5] « Centrafrique : la France met officiellement fin à l'opération Sangaris », Le Monde, 31 octobre 2016.
[6] Entretien téléphonique de Crisis Group, diplomate, septembre 2022.
[7] « Rwanda : première visite officielle de Kagamé en Centrafrique », RFI, 15 octobre 2019.
[8] Entretiens de Crisis Group, responsables des forces de défense rwandaises, février 2023.
[9] « Centrafrique : signature d'un accord de fin des hostilités à Nairobi », RFI, 28 janvier 2015.
[10] « Centrafrique : pour la première fois, les rebelles de la CPC attaquent la capitale », RFI, 14 janvier 2021. « Centrafrique : le gouvernement annonce que le Rwanda et la Russie ont envoyé des soldats », TV5 Monde/AFP, 21 décembre 2020.
[11] « Paul Kagamé : Non, le Rwanda n'est pas une monarchie », Jeune Afrique, juin 2021.
[12] Plusieurs Casques bleus rwandais ont été tués au Soudan et au Soudan du Sud depuis 2009. « Ban deplores deadly consecutive attacks against blue helmets in Darfur», ONU, 8 décembre 2009 ; « Three blue helmets serving with UN-African force killed in ambush in Darfur », ONU, 21 juin 2010 ; « South Sudanese diplomat expresses his condolences over peacekeepers killings », Africanews, 12 juillet 2016.
[13] Voir le commentaire de Crisis Group, « Centrafrique : éviter une nouvelle désintégration de l'armée », 10 mai 2022.
[14] Entretiens téléphoniques de Crisis Group, dirigeants de la CPC, février 2023.
[15] Ombella-M'poko et Lobaye, deux préfectures qui ont été majoritairement épargnées par les combats contre les rebelles, abritent plusieurs projets d'investisseurs rwandais dans l'exploitation minière et l'agriculture.
[La réforme du secteur de la sécurité au Rwanda en RCA] consiste à équiper, former et déployer des unités de l'armée et des forces de sécurité centrafricaines.
Le Rwanda, en plus d'avoir contribué à repousser la CPC en dehors des centres urbains, soutient aussi la réforme du secteur de la sécurité, une initiative également accompagnée par la Minusca.[1] Cette réforme, lancée en août 2021, est une priorité pour Kigali et une condition préalable à la fin de son assistance militaire bilatérale.[2] Elle consiste à équiper, former et déployer des unités de l'armée et des forces de sécurité centrafricaines. Le programme de formation débutera dès que la RCA mettra à disposition les installations nécessaires. Mais il mettra le Rwanda en concurrence directe avec Wagner. Depuis novembre 2021, date à laquelle l'Union européenne (UE) a suspendu sa mission de formation en raison de l'ingérence de Wagner, les mercenaires russes sont les seuls à former les soldats centrafricains.[3]
Dans l'ensemble, les soldats rwandais en RCA, qu'il s'agisse des Casques bleus ou des troupes déployées dans le cadre de l'accord bilatéral (couramment désignée comme les « troupes bilatérales rwandaises »), ont une bonne réputation auprès des autorités et de la population centrafricaines.[4] Nombreux sont les habitants de Bangui qui expriment leur gratitude pour l'aide apportée par les forces rwandaises pour repousser la CPC, ainsi que pour l'ouverture de la route Bangui-Beloko, l'artère principale reliant la capitale au Cameroun.[5] Certes, des incidents ont terni leur image. En avril 2018, par exemple, des Casques bleus rwandais ont participé à une opération de la Minusca visant à désarmer une milice dans le troisième arrondissement de Bangui. L'opération a échoué et des dizaines de civils ont été tués.[6] En octobre 2022, trois soldats rwandais des détachements bilatéraux ont été accusés de tentative de viol près de Mbaïki, dans le sud-ouest.[7] Mais ces incidents, bien que graves, sont peu nombreux comparés à ceux impliquant d'autres forces de l'ONU opérant en RCA et aux graves violations des droits humains perpétrées par les paramilitaires de Wagner, qui ont tous deux inclus des cas d'abus et d'exploitation sexuels.[8] Dans l'ensemble, les forces rwandaises sont respectées et très appréciées dans le pays.
[1] En août 2021, les deux pays ont signé un accord dans lequel le Rwanda s'engage à fournir cette assistance. « Le Rwanda projette d'élargir son appui à l'armée centrafricaine », Agence Anadolu, 27 octobre 2022.
[2] Entretiens de Crisis Group, responsables des forces de défense rwandaises, février 2023.
[3] « RCA : l'Europe "suspend" sa mission de formation militaire à cause des mercenaires russes de Wagner », Le Monde, 15 décembre 2021.
[4] Entretiens téléphoniques de Crisis Group, diplomates occidentaux, février 2023.
[5] « Deux attaques rebelles repoussées à l'entrée de Bangui, capitale de la Centrafrique », Le Monde/AFP, 13 janvier 2021. « Centrafrique : face aux rebelles qui veulent asphyxier Bangui, Touadéra privilégie la force », Jeune Afrique, 8 février 2021.
[6] « Crainte de bavure autour de 27 morts à Bangui », VOA/AFP, 24 avril 2019. « Le gouvernement et la Minusca dénonce l'instrumentalisation de l'opération militaire au Km5 », ONU, 18 avril 2018.
[7] L'incident a été signalé lors d'une réunion entre les commandants rwandais et les autorités locales en octobre 2022. Les autorités rwandaises ont ouvert une enquête. « Compte rendu de réunion du 20 octobre 2022 à Mbaïki », préfecture de Lobaye, octobre 2022. Entretien de Crisis Group, Mbaïki, novembre 2022.
[8] « Centrafrique : des Casques bleus congolais vont partir en raison d'allégations d'exploitation et d'abus sexuels », ONU, 21 juin 2017. « Centrafrique : enquête de l'ONU sur un Casque bleu soupçonné de trafic de munitions », Jeune Afrique/AFP, 15 avril 2018. « RCA : Le groupe russe Wagner harcèle et intimide les civils - experts de l'ONU », Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l'homme, 27 octobre 2021.
B. Un soft power en pleine expansion
Depuis 2021, le Rwanda est également étroitement impliqué dans les tentatives de relance du processus de paix en RCA, en partenariat avec l'Angola. Le Front patriotique rwandais (FPR), qui a pris le pouvoir après le génocide de 1994 au Rwanda, a fait valoir qu'il avait dirigé les efforts de réconciliation au Rwanda et déclare vouloir partager son expertise avec la RCA, un pays que les États-Unis, la France et l'ONU ont décrit en 2013 comme étant dans une situation « pré-génocidaire ».[1]
Le processus de paix était pour le moins précaire. Lancées par l'UA en 2017, les négociations ont été dynamisées l'année suivante après la facilitation initiée par la Russie entre Touadéra et les chefs rebelles. En février 2019, le gouvernement a signé un accord de paix avec quatorze groupes armés, sans aucun doute l'accord le plus poussé jamais conclu dans le pays, mais il n'a jamais vraiment été respecté en raison de la réticence de Touadéra à s'engager dans des réformes substantielles et des hésitations des rebelles à abandonner le contrôle de secteurs économiques clés, tels que l'exploitation minière et l'élevage.[2] En 2020, à la suite de l'offensive de la CPC et de son repli successif, Touadéra a mis fin au dialogue avec les rebelles, misant plutôt sur une victoire militaire, annulant de fait l'accord.[3]
La diplomatie rwandaise a ensuite maintenu en vie un processus de paix foncièrement affaibli. Début 2021, sous la pression internationale pour reprendre les négociations avec la CPC, Touadéra a contacté le Rwanda, ainsi que l'Angola, pour servir de facilitateurs.[4] Il avait auparavant rejeté les offres d'intervention diplomatique de la République du Congo et du Tchad, sceptique quant à leur neutralité. Sous l'égide de la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs, dont l'Angola, la RCA et le Rwanda sont membres, le gouvernement centrafricain et les groupes armés se sont mis d'accord sur une feuille de route pour résoudre la crise, signée à Luanda, la capitale angolaise, en septembre 2021. Ce plan prévoyait l'exil des chefs rebelles dans les pays voisins, leur accordant ainsi de facto une immunité, ainsi que le cantonnement et le désarmement des combattants.[5] Mais, deux ans plus tard, les avancées restent limitées du fait du climat de méfiance réciproque. La recrudescence de la violence depuis 2022 pourrait justifier aujourd'hui la reprise des efforts.
Kigali a réussi à faire nommer plusieurs Rwandais à des postes clés dans les institutions de l'ONU. En juin 2021, le Commissaire rwandais de la police, Christophe Bizimungu, a pris le commandement de la police de la Minusca.[6] Un autre exemple est Valentine Rugwabisa, nommée au poste de représentante spéciale du secrétaire général auprès de la Minusca - de facto, chef de la mission - en février 2022.[7] Elle a contribué à normaliser les relations entre la Minusca et le gouvernement centrafricain, qui étaient tendues en raison de la présence de Wagner et des frictions entre les Casques bleus et l'armée nationale.[8] Un autre Rwandais, Vedaste Kalima, dirige le bureau centrafricain du Bureau des Nations unies pour la coordination des affaires humanitaires qui aide à acheminer l'aide d'urgence aux 56 pour cent de la population qui en ont besoin. [9]
[1] En avril 2022, lors d'une commémoration à Bangui du génocide de 1994, Kayumba, chef de la mission diplomatique du Rwanda en RCA, a exprimé le souhait de son pays d'ériger un monument en mémoire des événements dans la capitale de la RCA pour les Rwandais qui y vivent. « La Centrafrique est-elle au bord du génocide ? », RFI, 21 novembre 2013.
[2] Voir le rapport Afrique de Crisis Group No277, Dernier accord de paix en RCA : les conditions du succès, 18 juin 2019.
[3] « Centrafrique : un accord de paix jamais consolidé », Deutsche Welle, 8 janvier 2021.
[4] Entretiens de Crisis Group, diplomate, Bangui, février 2021.
[5] Grâce au cantonnement, les combattants doivent se rassembler dans des lieux donnés, ce qui facilite le suivi du nombre de combattants désarmés. « Rapport final du groupe d'experts sur la République centrafricaine élargi conformément à la résolution 2588 (2021) du Conseil de sécurité », Conseil de sécurité des Nations unies, 29 juin 2022.
[6] Ce spécialiste du droit pénal, commandant de la police rwandaise, était auparavant membre du conseil d'administration de l'École nationale de police à Kigali.
[7] Avant d'être nommée à ce poste, Valentine Rugwabisa a dirigé le Rwanda Development Board, un organisme gouvernemental créé pour attirer les investissements étrangers. Elle a également représenté le Rwanda à des postes diplomatiques clés, notamment en tant qu'ambassadrice du pays auprès de l'ONU.
[8] Des membres de la garde présidentielle ont tiré sur des Casques bleus égyptiens en novembre 2021, blessant dix d'entre eux. « RCA : dix Casques bleus égyptiens blessés par balles par des éléments de la garde présidentielle », ONU, 2 novembre 2021.
[9] « République centrafricaine, rapport de situation », Bureau du coordinateur des affaires humanitaires des Nations unies, 10 mars 2023.
Les responsables rwandais affirment que leur objectif est de contribuer au renforcement des institutions nationales et de préparer le terrain pour une stabilité durable en RCA.
Kigali contribue également à renforcer les institutions étatiques de la RCA.[1] Depuis 2019, Le Rwanda fournit des conseils techniques aux institutions centrafricaines parallèlement à son assistance militaire. Il a proposé d'aider l'ONU à organiser les élections locales, qui devaient avoir lieu en juillet, mais ont été reportées pour une durée indéterminée.[2] Les responsables rwandais affirment que leur objectif est de contribuer au renforcement des institutions nationales et de préparer le terrain pour une stabilité durable en RCA.[3] (Le Rwanda a tout à gagner à la stabilité de la RCA qui lui permettrait de mieux protéger ses investissements.) Le partenariat avec Kigali a facilité la mise en place de réformes structurelles en RCA, notamment dans le domaine de la fonction et des finances publiques. En avril 2022, Bangui a signé un accord avec Rwanda Cooperation, une agence que Kigali qualifie d'entité de collaboration « sud-sud », qui a ensuite envoyé ses experts en RCA.[4] Le même partenariat avait déjà aidé le gouvernement centrafricain à déployer un système de gestion des ressources humaines informatisé en 2020, permettant à la fonction publique de mieux suivre le personnel, de supprimer les employés fantômes de la liste des salariés et de corriger d'autres irrégularités qui auraient représenté un coût pour le gouvernement d'environ un million de dollars par an.[5]
Ce soutien rwandais intervient à un moment où les relations entre la RCA et les bailleurs de fonds occidentaux sont tendues. La Banque mondiale a retiré son aide budgétaire au pays en mai 2022, invoquant le manque de transparence des finances publiques.[6] La France et l'Union européenne ont également gelé leurs contributions, s'opposant à l'utilisation par Bangui des fonds publics pour payer Wagner, qu'elles accusent notamment de diffuser de la propagande anti-occidentale.[7] L'aide étrangère représentant 50 pour cent des recettes de l'État, ces décisions ont déclenché une crise budgétaire en RCA.[8] Bangui estime que la France et d'autres pays occidentaux mènent une guerre économique contre la RCA pour la punir de ses liens avec la Russie.[9] La situation pourrait s'améliorer bientôt. L'arrivée en juin 2022 de l'économiste rwandais Guido Rurangwa comme nouveau représentant de la Banque mondiale en Centrafrique pourrait ouvrir la voie à un apaisement des relations entre cette institution et le gouvernement centrafricain, comme cela a déjà été le cas après la nomination de Valentine Rugwabisa à la tête de la Minusca.[10]
[1] Entretiens de Crisis Group, fonctionnaires rwandais, Kigali, février 2023.
[2] « Réunion productive avec S.E. le ministre des Affaires étrangères du Rwanda pour discuter du soutien aux élections locales en RCA ainsi que des possibilités de renforcer le partenariat sur la stabilisation et d'autres priorités de développement en RCA ». Tweet par Jean-Luc Stalon, représentant du PNUD à Bangui, @JLStalon, 10:05, 8 mars 2023. Les élections locales ont été reportées en mai, après que Touadéra a donné la priorité au référendum constitutionnel. L'autorité électorale nationale de la RCA a déclaré qu'elle ne disposait pas de suffisamment d'argent pour organiser des élections locales. « Centrafrique, le référendum constitutionnel, porte ouverte vers un troisième mandat du président Touadéra ? », RFI, 31 mai 2023.
[3] Entretiens de Crisis Group, fonctionnaires rwandais, Kigali, février 2023.
[4] L'accord entre la RCA, le Programme des Nations unies pour le développement et la Rwanda Cooperation prévoit une coopération pour la modernisation de la fonction publique et des programmes de protection sociale, ainsi que pour la réforme des finances publiques et la supervision du processus de désarmement, de démobilisation, de réintégration et de rapatriement. Rwanda Cooperation, selon son site web, est un « centre d'apprentissage qui promeut l'échange de connaissances sur le développement grâce à la coopération sud-sud et à la coopération triangulaire ».
[5] Entretiens de Crisis Group, responsables centrafricains, Bangui, septembre 2022.
[6] « La Banque mondiale exhorte le gouvernement centrafricain à la réforme », RFI, 13 mai 2022.
[7] « Centrafrique : la France gèle son aide budgétaire et suspend sa coopération militaire », TV5 Monde, 7 juin 2021.
[8] « La Centrafrique, un État sous perfusion de l'aide internationale », Le Monde, 16 décembre 2020.
[9] « C'est le lieu de dénoncer les pressions que subissent les bailleurs de la part de certaines puissances, faisant du financement du développement un levier de manipulation géopolitique et prenant ainsi en otage nos populations », a déclaré Touadéra. « Sommet de Dakar 2 sur l'agriculture et la souveraineté alimentaire, discours du président Touadéra à l'occasion de la présentation du pacte national pour l'alimentation et l'agriculture aux partenaires internationaux », aBangui.com, 26 janvier 2023.
[10] Guido Rurangwa, fonctionnaire de la Banque mondiale depuis 2001, a travaillé au ministère rwandais des Finances et de la Planification économique et à la Banque centrale du Rwanda, en tant que spécialiste de la relance économique et des réformes fiscales et budgétaires.
C. Une influence économique croissante
Kigali a également signé des accords économiques avec Bangui, qui servent deux objectifs importants pour le Rwanda. L'investissement dans l'extraction des richesses minières de la RCA en particulier aide à compenser le manque de ressources naturelles du Rwanda.[1] Il permet également de couvrir les coûts de l'intervention militaire en RCA.[2] Kigali utilise en général des sociétés comme Crystal Ventures, une holding détenue par le parti au pouvoir, pour gérer ses activités commerciales en RCA et l'armée rwandaise pour les protéger.[3]
Les Rwandais ont réalisé des investissements tous azimuts en RCA. En 2022, les Rwandais avaient créé plus d'entreprises en RCA que tous les autres ressortissants étrangers, à l'exception des Camerounais.[4] La tendance se poursuit : plus d'une centaine d'entreprises rwandaises sont enregistrées dans le pays aujourd'hui, contre une vingtaine en 2019.[5] Ces entreprises ont des intérêts divers : elles produisent des biens de consommation tels que l'eau minérale et le yaourt, et détiennent des participations dans des affaires de transport, de logistique, de restauration, d'hôtellerie, d'immobilier et d'infrastructures publiques.[6] Pour faire entrer et sortir des marchandises de la RCA, les investisseurs rwandais utilisent aussi beaucoup Rwandair, la compagnie aérienne nationale qui a commencé à assurer des vols deux fois par semaine vers Bangui en 2021. Pour ne citer qu'un exemple, les poulets élevés au Rwanda sont désormais exportés vers Bangui.[7]
Le secteur foncier est particulièrement lucratif pour les entreprises rwandaises, notamment grâce aux facilités accordées par les autorités centrafricaines.[8] Des entrepreneurs rwandais ont acheté des terres autour de Bangui pour y installer des fermes, mais ces achats restent difficiles à quantifier.[9] Dans la Lobaye et l'Ombella-M'poko, les fermes rwandaises sont souvent gérées via des intermédiaires centrafricains, ce qui complique leur identification. Tout comme les soldats cantonnés dans leurs bases, les grands fermiers rwandais font profil bas.
Qui plus est, le Rwanda se lance dans l'industrie minière, aux côtés de la Chine et de la Russie. La RCA abrite d'importants gisements d'or, de diamants, de combustibles fossiles et d'uranium. L'exploitation minière est en grande partie artisanale et peu réglementée (voire pas du tout). Elle constitue depuis longtemps une source importante de revenus pour les habitants des zones rurales et, plus récemment, pour les groupes rebelles. Toutefois, le gouvernement accorde de plus en plus de grandes concessions minières commerciales à des investisseurs étrangers en échange d'une compensation financière ou d'autres services tels que ceux fournis par des sociétés de sécurité privées.
[1] « Examen des politiques commerciales », Organisation internationale du travail, p. 1.
[2] Aucun chiffre n'est disponible. Le Rwanda déclare dépenser 250 millions de dollars par an pour son intervention au Mozambique. Entretien de Crisis Group, officier supérieur des forces de défense rwandaises, Kigali, février 2023. Sa force en RCA est cependant moins étendue.
[3] Entretiens de Crisis Group, diplomates, Kigali, février 2023. « Au Rwanda, les discrets atouts de la diplomatie économique de Paul Kagame », Jeune Afrique, 2 mai 2023.
[4] Statistiques du ministère de l'Économie de la RCA.
[5] Ces chiffres peuvent sembler modestes, mais ils sont importants pour l'économie centrafricaine. En 2021, le PIB de la RCA était estimé à 2,52 milliards de dollars, soit l'un des plus faibles au monde. Banque mondiale, « Central Africa Republic, Overview ».
[6] Le groupe rwandais Iriba Water a ouvert une filiale à Bangui, Iriba Water Group RCA, spécialisée dans l'embouteillage d'eau minérale.
[7] Entretien de Crisis Group, haut fonctionnaire, Kigali, février 2023.
[8] « La Centrafrique souhaite la bienvenue aux investisseurs rwandais opérant dans l'agriculture et les banques », ambassade du Rwanda au Congo-Brazzaville, février 2021.
[9] Ces fermes élèvent des poulets de chair et des porcs. Elles cultivent également des oignons et du riz.
Des entreprises rwandaises, contrôlées par des intérêts économiques privés ou par le parti au pouvoir, ont démarré des opérations minières en RCA.
Des entreprises rwandaises, contrôlées par des intérêts économiques privés ou par le parti au pouvoir, ont démarré des opérations minières en RCA. Crystal Ventures est active dans l'exploitation minière par l'intermédiaire de Vogueroc, une société constituée en 2021 et dirigée par Olivier Kabera, un entrepreneur rwandais de nationalité centrafricaine.[1] En octobre 2022, Vogueroc a obtenu une concession de 25 ans pour ouvrir des mines dans cinq localités en République centrafricaine.[2] Toujours en 2022, un autre citoyen rwandais a fondé Afrika Oko, à l'époque la seule société en RCA autorisée à opérer sur toute la chaîne de production minière - de la prospection à l'exportation. La société bénéficie également d'une autorisation pour vendre de l'or, des diamants et des produits pétroliers.[3] « [Au Rwanda,] nous avons une raffinerie d'or, une fonderie de tantale et de niobium donc il faut créer des filières d'approvisionnement légitime », a déclaré un responsable rwandais qui expliquait dans quelle mesure les accords économiques signés entre les pays étaient « stratégiques » pour Kigali.[4]
Ces nouvelles entreprises font de la RCA une destination de choix pour les émigrants rwandais. Ces dernières années, de plus en plus de Rwandais ont commencé à chercher de nouvelles destinations pour s'installer, comme l'explique un responsable rwandais : « L'émigration fait partie de notre ADN. Le fait que des investisseurs rwandais viennent en RCA s'explique car nos zones d'émigrations classiques, l'Ouganda et le Burundi, font face à des problèmes, et la République Démocratique du Congo n'est plus une destination prisée ».[5] Le marché du travail rwandais est saturé et cette situation pourrait être un des facteurs déclenchants : les jeunes Rwandais, particulièrement ceux issus de groupes socio-économiquement défavorisés, pourraient choisir d'émigrer en RCA à la recherche de meilleurs emplois ou d'opportunités commerciales.[6] D'autres émigrants sont d'anciens soldats rwandais qui retournent en RCA après avoir servi dans le pays.[7] Une nouvelle association de citoyens rwandais à Bangui, fondée en 2016, montre que beaucoup cherchent à s'installer dans leur pays d'adoption.[8]
La RCA pourrait néanmoins également tirer profit du partenariat avec le Rwanda, en particulier si les investisseurs privés rwandais aidaient à construire l'économie formelle et offraient des emplois permanents à tous les niveaux à des Centrafricains qualifiés. Les accords satisfont également le gouvernement centrafricain qui cherche à obtenir des investissements étrangers pour développer son économie.[9] Le Rwanda a répondu à l'appel à investir, mais il n'est pas le seul. Les pays des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) ont ouvert leur bureau pour l'Afrique centrale à Bangui et ont annoncé divers projets d'investissement.[10]
Le secret qui entoure le partenariat entre la RCA et le Rwanda pourrait malgré tout diluer les effets positifs qu'il pourrait avoir sur l'économie centrafricaine. Bangui n'a jamais publié le texte des accords qu'elle a signés avec Kigali en 2019 et 2021, malgré l'obligation constitutionnelle pour l'Assemblée nationale d'approuver tout partenariat étranger impliquant des ressources naturelles ou des entreprises publiques.[11] Les informations obtenues par Crisis Group révèlent que les accords se concentrent sur le développement et la protection des investissements privés, de l'exploitation minière et des services.[12] Depuis la signature des accords, les liens continuent de se resserrer, comme le montre la visite rwandaise de haut niveau à Bangui et la visite présidentielle centrafricaine qui s'est rendue à Kigali en juin.[13] Mais le manque d'informations relatives aux intérêts rwandais en RCA continue d'éveiller les soupçons des Centrafricains.
[1] Vogueroc est enregistrée pour les activités commerciales suivantes : « Exploitation minière, achat et vente de pierres précieuses, exportation de pierres précieuses, exportation d'anthracite extraite, exportation de lignite extraite, extraction de pétrole brut, extraction de gaz naturel, extraction de minerai de fer, extraction d'uranium et de thorium, extraction d'autres métaux non ferreux, extraction de pierres, de sable et d'argile, extraction de minéraux pour engrais chimiques, services d'appui pour d'autres mines et carrières ».
[2] Il s'agit de Dimbi dans la Basse-Kotto, Gambo et Bangassou dans le Mbomou, Bogoin dans l'Ouham et Bania dans la Mambéré Kadeï. « Vogueroc donne le top départ de l'offensive rwandaise dans les mines », Africa Intelligence, 21 octobre 2022. À Bangui, Kabera dirige également Rockstir Limited, une société enregistrée auprès du ministère du Commerce en 2021, dont les activités comprennent le commerce de pierres précieuses et de café, la sécurité et la location d'avions privés.
[3] « Rwanda/Centrafrique : Paul Kagame, business angel de Touadéra », Africa Intelligence, 7 avril 2021.
[4] Entretien de Crisis Group, officier supérieur des forces de défense rwandaises, Kigali, février 2023.
[5] Entretien de Crisis Group, responsable rwandais, Kigali, février 2023.
[6] En 2021, selon les données de la Banque mondiale, le taux de chômage au Rwanda est passé à 15,8 pour cent.
[7] Entretiens de Crisis Group, Bangui, septembre 2022.
[8] « Décision portant agrément de l'association "La diaspora rwandaise Isongo" », ministère rwandais de l'administration foncière, de la décentralisation et du développement local, 2016. Officiellement appelée Diaspora rwandaise Isongo, cette association cherche à « développer des liens de fraternité, de solidarité et d'amitié entre le peuple rwandais et la diaspora résidant en RCA » et à « renforcer les capacités de ses membres à travers les activités socioéconomiques ». Elle compte plus de 200 membres. Plusieurs chefs d'entreprise de l'association ont déclaré à Crisis Group qu'ils avaient décidé de faire venir leurs familles en RCA pour occuper des emplois dans leurs entreprises, reflétant ainsi leur intention de rester sur le long terme. Entretiens de Crisis Group, Bangui, septembre 2022.
[9] Entretien téléphonique de Crisis Group, diplomate, septembre 2022.
[10] « Centrafrique : plusieurs projets annoncés au deuxième jour de la visite de représentants des Brics », RFI, 12 avril 2023.
[11] « Rwanda : Première visite officielle de Kagame en Centrafrique », RFI, 15 octobre 2019. « Centrafrique : le président Touadéra en visite d'État au Rwanda », RFI, 5 août 2021. Les articles 60 et 80 de la Constitution consacrent cette exigence.
[12] Entretiens de Crisis Group, responsables d'Afrique centrale, Bangui, septembre 2022. Voir également « RCA/Rwanda : Bangui et Kigali signent de nouveaux accords et renforcent leurs relations bilatérales », Radio Ndeke Luka, 6 août 2021.
[13] « La Centrafrique et le Rwanda multiplient les signes de rapprochement », RFI, 10 juin 2023.
III. Risques présentés par le partenariat
La présence du Rwanda a été jusque-là très positive pour la RCA. Les Casques bleus rwandais de la Minusca sont réputés pour leur professionnalisme, notamment en matière de protection des civils. Les troupes bilatérales rwandaises sont maintenant cantonnées dans des bases, mais en 2021, elles ont aidé à chasser la CPC de Bangui et à maintenir ouvertes les principales routes reliant la ville au reste du pays. Kigali a aidé à maintenir en vie le processus de paix, du moins sur papier, grâce à sa diplomatie et en assurant la nomination de Rwandais à des postes clés de la Minusca. Le soutien rwandais au secteur de la sécurité et aux institutions centrafricaines représente une des rares avancées dans la restauration de l'autorité de l'État depuis le début de la crise dans le pays en 2013. Enfin, les investissements du secteur privé, même s'ils sont encore à un stade préliminaire, pourraient créer des emplois et contribuer à stimuler l'économie.
Mais les activités du Rwanda en RCA comportent également des risques.[1] Ces risques sont notamment liés à l'imposant voisin du sud de la RCA, la RDC. Le gouvernement congolais ne décolère pas contre le Rwanda pour avoir, entre autres, soutenu les rebelles du M23 qui font des ravages dans l'est de la RDC.[2] Les patrouilles militaires rwandaises le long de la frontière entre la RCA et la RDC provoquent de nouvelles levées de boucliers à Kinshasa. Deux mémorandums internes congolais vus par Crisis Group alertent sur un supposé encerclement rwandais du pays.[3]
[1] Voir Enrica Picco, « Dix ans après le coup d'État, la République centrafricaine confrontée à une nouvelle crise majeure ?», commentaire de Crisis Group, 22 mars 2023.
[2] Voir le commentaire de Crisis Group, « Dangereuse escalade dans les Grands Lacs », 27 janvier 2023. L'UE pourrait reconsidérer son financement de l'armée rwandaise maintenant que des rapports de l'ONU ont été publiés, citant des preuves du soutien rwandais à la rébellion du M23. « Rapport final du Groupe d'experts conformément au paragraphe 9 de la résolution 2641 (2022), Conseil de sécurité des Nations unies », 13 juin 2023. Kigali a rejeté les allégations de l'ONU.
[3] Le premier mémorandum interne a été rédigé par l'ambassade de la RDC à Bangui le 23 septembre 2022, le second mémorandum a été rédigé par l'Agence nationale du renseignement à Gemena, RDC, le 27 septembre 2022. Ces documents ont largement circulé en ligne.
Certains membres du cercle rapproché du président Touadéra apprécient l'État fort rwandais en comparaison à l'« État fantôme » en RCA.
La plupart des risques sont néanmoins liés à la RCA elle-même. Certains membres du cercle rapproché du président Touadéra apprécient l'État fort rwandais en comparaison à l'« État fantôme » en RCA.[1] Les chefs de file de l'opposition perçoivent donc l'aide multiforme du Rwanda comme un soutien direct à Touadéra, qui est déterminé à rester au pouvoir au-delà de son mandat constitutionnel. L'annonce du référendum constitutionnel en juillet a dopé la colère des groupes armés ainsi que de l'opposition dont certains dirigeants appellent maintenant à un changement de régime par la force.[2] La dérive autoritaire de Touadéra est antérieure au partenariat avec le Rwanda mais les opposants affirment que Kigali est partie prenante de la crise centrafricaine tout en essayant de la résoudre.[3] Le Rwanda rejette les accusations, mais envoie des signaux contradictoires, notamment en participant, avec Wagner, au plan de sécurité pour le référendum constitutionnel.[4] Les critiques signalent également que les accords entre Bangui et Kigali restent plutôt opaques.[5]
Si les deux pays ne prennent pas de mesures correctives, l'image d'impartialité de Kigali dans le processus de paix pourrait en souffrir, alors que les tensions s'accumulent sur la scène politique centrafricaine. Touadéra ayant mis à l'écart les autres pays de la région, le Rwanda reste avec l'Angola le dernier partenaire qui tente de faciliter une résolution pacifique du conflit. La remise en question de l'impartialité du Rwanda pourrait porter un coup fatal à l'accord de 2019 avec les groupes armés et compromettre les relations avec les principales organisations internationales qui contribuent à la stabilisation du pays.
En outre, comme nous l'expliquerons plus tard, le partenariat pourrait finir par exacerber les conflits locaux. Deux questions sont particulièrement préoccupantes : la perception selon laquelle les investisseurs rwandais bénéficient d'un traitement de faveur et les relations que Bangui entretient avec Wagner.
[1] Entretien téléphonique de Crisis Group, diplomate, septembre 2022.
[2] Entretiens téléphoniques de Crisis Group, groupe armé et représentants de l'opposition politique, février 2023.
[3] Les détracteurs craignent également que le président Kagame ne veuille exporter son style de politique autoritaire à Bangui. Ils soupçonnent le Rwanda d'être à l'origine des projets de Touadéra visant à modifier la constitution. Ces amendements permettraient notamment à Touadéra de briguer un troisième mandat présidentiel en 2025. Le G16, une coalition d'organisations de la société civile défendant la constitution du 30 mars 2016 - dirigée depuis Paris par Jean-François Akandji-Kombé, un professeur - a accusé Kigali de financer l'initiative du référendum constitutionnel. Le Rwanda nie cette allégation. Entretiens de Crisis Group, responsables politiques de l'opposition centrafricaine, Bangui, septembre 2022.
[4] « En Centrafrique, le président Touadéra annonce un référendum pour une nouvelle constitution », Le Monde, 31 mai 2023. « La Centrafrique et le Rwanda multiplient les signes de rapprochement », RFI, 10 juin 2023.
[5] Entretiens de Crisis Group, opérateurs économiques centrafricains et figures de l'opposition, Bangui, novembre 2022 et février 2023.
A. Une impression d'invasion économique
L'afflux d'investisseurs rwandais génère chez les Centrafricains une impression d'envahissement économique, selon certains interlocuteurs à Bangui et dans la région de la Lobaye.[1] Les opérateurs économiques centrafricains suspectent les Rwandais de bénéficier de privilèges indus en raison de leur accointance avec les hautes sphères de Bangui.[2] Les Centrafricains se sentent défavorisés par rapport aux Rwandais.
Le fait que les troupes bilatérales rwandaises protègent les intérêts économiques de leur pays, en plus que leurs concitoyens, alimente la perception de concurrence déloyale. Depuis 2021, ces soldats sont souvent devenus les gardes du corps d'entrepreneurs rwandais à l'intérieur de la RCA, notamment dans les régions minières du sud, du centre et de l'est.[3] D'autres troupes bilatérales surveillent des terres agricoles appartenant à des Rwandais, comme une ferme rizicole d'une dizaine d'hectares dans un village situé à 40 kilomètres de la caserne de Damara.[4] Les habitants disent que les soldats rwandais sont eux-mêmes les propriétaires des terres.[5]
De telles pratiques ont déjà suscité des protestations. En septembre 2022, des jeunes ont manifesté contre une société rwandaise d'orpaillage à Moboma, un district de la préfecture de Lobaye, dans le sud-ouest du pays. L'entreprise aurait commencé à creuser pour trouver de l'or en dehors des limites de sa concession, dans une zone appartenant à la population locale. Touadéra a réagi rapidement, en envoyant sur le site une équipe spéciale chargée de négocier avec les résidents. En février, une deuxième manifestation a éclaté après que l'entreprise a expulsé des orpailleurs d'une zone qu'elle considère comme faisant partie de sa concession.[6]
[1] Entretiens de Crisis Group, Bangui et sur les routes vers Sibut et Mbaïki, juillet 2022-mars 2023.
[2] Entretiens de Crisis Group, Bangui, Sibut et Mbaïki, novembre 2022 et février 2023.
[3] Des soldats rwandais sont ainsi employés à Bakala dans la préfecture de Ouaka, Kembé et Dimbi dans la Basse-Kotto et Moboma et Bagandou dans la Lobaye.
[4] Entretiens de Crisis Group, opérateurs économiques centrafricains, Damara, novembre 2022.
[5] Entretiens de Crisis Group, habitants de Damara, novembre 2022.
[6] Entretiens de Crisis Group, habitant de Moboma, Bangui, mars 2023.
Un membre du parti au pouvoir en RCA affirme que des investisseurs rwandais achètent des minerais sur le marché gris.
Des rumeurs d'exploitation illégale circulent également. Un membre du parti au pouvoir en RCA affirme que des investisseurs rwandais achètent des minerais sur le marché gris, et signalent « qu'ils sont en relation directe avec le président Touadéra. Ils viennent s'installer en silence, ils achètent des diamants et repartent. Ils ne sont pas visibles. Mais ils sont là ».[1] Vogueroc, la filiale de Crystal Ventures mentionnée ci-dessus, semblerait avoir bénéficié d'un traitement très favorable lorsque l'Assemblée nationale a examiné sa demande de concession minière.[2] Alors que l'entreprise avait soumis un dossier incomplet, le bureau du président de l'Assemblée, contrôlé par le parti au pouvoir, a donné son accord pour la concession.[3] Cette affaire a alimenté le sentiment que Kigali - par l'intermédiaire de sociétés comme Crystal Ventures - poursuivait une colonisation économique organisée.[4] Diverses sources confirment que Crystal Ventures Centrafrique contrôle plusieurs entreprises privées rwandaises dans le pays.[5]
Alors que les tensions couvent, la présence rwandaise croissante pourrait provoquer des réactions violentes de la part des Centrafricains. Le pays a une longue histoire de révolte populaire contre les pratiques prédatrices des puissances étrangères opérant de concert avec les autorités nationales.[6] Même plus récemment, les Centrafricains qui se sentent abandonnés par l'État ont dirigé leur ressentiment contre les étrangers qu'ils soupçonnent de bénéficier d'un traitement préférentiel de la part des autorités. En juin 2011, des pogroms et des pillages à Bangui ont visé des Centrafricains d'origine tchadienne, qui étaient considérés comme ayant des liens avec le gouvernement qui leur accordait des avantages économiques.[7] Des mineurs chinois ont également été attaqués : en 2018, la foule a lynché trois citoyens chinois travaillant dans une mine du nord-ouest, les accusant d'être responsables de la mort d'un jeune Centrafricain.[8] Ce type de violence est plus susceptible de survenir dans les zones rurales pauvres, où l'État est largement absent et où la population est plus isolée. Dans l'arrière-pays, les habitants ont tendance à se faire justice eux-mêmes en mettant sur pied des milices d'auto-défense.[9]
[1] Entretien de Crisis Group, député parlementaire, Bangui, 10 septembre 2022.
[2]Dans un mémorandum, Evariste Ngamana, premier vice-président de l'Assemblée nationale et membre du parti au pouvoir, a déclaré que le bureau du président de l'Assemblée avait « le droit d'examiner une convention minière en vue d'autoriser le gouvernement à signer ladite convention ». No. 87/AN/VP/SG/DGSL/.21, 24 septembre 2021. Le bureau du président de l'Assemblée nationale a ratifié la convention en février 2022 malgré les réticences exprimées par un comité technique quant à la forme et le fond.
[3] Le capital de Vogueroc ne s'élève qu'à 1,5 million de francs CFA (2 500 dollars), soit beaucoup moins que le minimum prévu par le code minier, qui est de 10 millions de francs CFA (16 700 dollars). Le bureau du président de l'Assemblée nationale a, lui-même, soulevé des questions quant aux pratiques comptables de l'entreprise, aux impôts et aux paiements des redevances, ainsi qu'en ce qui concerne sa responsabilité sociale et environnementale. Entretiens de Crisis Group, personnes travaillant à l'Assemblée nationale, Bangui, septembre 2022. Le directeur général de Vogueroc, Olivier Kabera, a nié toute malversation et salué les efforts du gouvernement centrafricain pour encourager les investissements. Correspondance de Crisis Group, 30 juin 2023.
[4] « Vogueroc donne le top départ de l'offensive rwandaise dans les mines », Africa Intelligence, 21 octobre 2022.
[5] Entretiens de Crisis Group, diplomates, Kigali, février 2023. Crystal Ventures n'a pas répondu aux demandes de renseignements de Crisis Group.
[6] Entre 1928 et 1933, une guerre appelée « la manche des houes » ou la rébellion Kongo-Wara a opposé le peuple Gbaya de la Nana-Mambéré aux colons français. Les Français avaient forcé les Gbaya à construire des chemins de fer et à travailler dans les mines. Furieux, les Gbaya avaient organisé un mouvement de résistance, encouragés par leur guide spirituel, Barka Ngainoumbey, dit Karnou. Jean-Pierre Tuquoi, Oubangui-Chari, le pays qui n'existait pas (Paris, 2017), p. 121-136.
[7] La rumeur de l'assassinat de deux enfants a déclenché les violences. « Centrafrique : une délégation tchadienne à Bangui en mission de pacification », RFI, 4 juin 2011. Les habitants de Bangui sont depuis longtemps hostiles aux personnes d'origine tchadienne.
[8] « Trois Chinois tués en Centrafrique », VOA Afrique, 5 octobre 2018.
[9] Une milice s'est formée dans la région du Haut-Mbomou pour défendre la population contre les éleveurs peuls soutenus par les rebelles de l'Union pour la paix en République centrafricaine, qui sont considérés localement comme des étrangers. « Le préfet du haut-Mbomou sous pression : une nouvelle milice d'autodéfense locale, Azande Ani Kpi Gbe, appelle à son départ », Corbeaux News, 12 mars 2023.
B. Une position délicate vis-à-vis de Wagner
Les tensions naissantes entre le Rwanda et le groupe Wagner, l'autre partenaire clé du gouvernement centrafricain en matière de sécurité, constituent un autre risque. Kigali entretient de bonnes relations diplomatiques avec Moscou, mais se méfie de Wagner, qu'il soupçonne de financer la propagande anti-rwandaise qui apparaît aujourd'hui dans les médias centrafricains et les réseaux sociaux.[1] Alors même que ses troupes ont combattu aux côtés des paramilitaires russes en 2021, le Rwanda s'efforce aujourd'hui de se distancer des mercenaires de Wagner, qui ont été impliqués dans de graves cas de maltraitances, tels que des violences sexuelles, à l'encontre de femmes, d'hommes et de jeunes femmes, ainsi que des tortures et des exécutions sommaires.[2] Dans le cadre de la contre-offensive contre les rebelles, Kigali a demandé aux autorités centrafricaines de séparer les zones d'opération de Wagner et du Rwanda.[3] Un officier militaire rwandais a résumé la situation : « Nous coexistons sans nous parler mais sans nous affronter ». [4]
Une incertitude considérable règne quant à l'avenir de Wagner en République centrafricaine et plus largement en Afrique après la rébellion de juin 2023 de cette société de sécurité privée en Russie.[5] Mais à supposer que les agents de Wagner restent en RCA, les frictions entre les forces russes et les troupes rwandaises pourraient augmenter, en raison de la concurrence en matière économique et de sécurité.
[1] Entretien de Crisis Group, fonctionnaire rwandais, Kigali, février 2023. « La Russie et le Rwanda s'engagent à renforcer les liens diplomatiques existants », Rwanda News, 18 juin 2023.
[2] Entretiens de Crisis Group, fonctionnaires rwandais et officiers des forces de défense rwandaises, février 2023. « République centrafricaine : Abus commis par des forces liées à la Russie », Human Rights Watch, 3 mai 2022.
[3] Entretiens de Crisis Group, officiers supérieurs des forces de défense rwandaises, février 2023.
[4] Entretien de Crisis Group, officier supérieur des forces de défense rwandaises, février 2023.
[5] Voir Alissa de Carbonnel, Oleg Ignatov, Simon Schlegel et Pauline Bax, « Assessing the Wagner Group's Aborted Run on Moscow: What Comes Next ? », commentaire de Crisis Group, 29 juin 2023.
Le risque que les soldats rwandais se heurtent aux mercenaires russes autour des sites miniers est élevé.
Les intérêts miniers rwandais pourraient entrer en conflit avec ceux de Wagner. En juillet 2022, des mercenaires russes ont érigé un barrage routier pour arrêter un convoi militaire rwandais qui escortait des mineurs rwandais près de Bambari, dans le centre du pays.[1] Un mois plus tôt, les Russes avaient chassé les troupes rwandaises d'une mine dans la même région.[2] De tels incidents pourraient se reproduire dans les endroits où Russes et Rwandais cohabitent. La Lobaye est une zone à risque : les troupes bilatérales rwandaises ont établi une base dans la ville de Bokoko, à seulement 40 kilomètres du camp de Wagner à Berengo. Le risque que les soldats rwandais se heurtent aux mercenaires russes autour des sites miniers est élevé.
La rivalité autour des richesses minières pourrait exacerber les conflits locaux. La Ouaka - une région du centre de la RCA riche en or et convoitée à la fois par les Rwandais et les Russes - est un site qui pourrait s'avérer particulièrement vulnérable. Wagner utilise des milices locales (surnommées les « Russes noirs ») pour sécuriser les terrains qu'il contrôle.[3] Si des opérateurs économiques rwandais s'installaient dans cette région, il est possible que Wagner utilise ces milices pour les attaquer tout comme les Centrafricains qui travaillent avec eux, ce qui déclencherait une série de représailles.
La position du Rwanda en tant que partenaire sécuritaire de la RCA le place également en concurrence avec Wagner notamment dans le domaine de la formation militaire, évoqué plus haut. Wagner forme l'armée depuis 2018. Le groupe jouit d'un monopole dans ce domaine depuis que l'UE a suspendu son programme en 2021. Mais aujourd'hui, les troupes bilatérales rwandaises sont supposées ouvrir également des centres de formation, ce qui pourrait créer une concurrence aux mercenaires russes - en supposant, à nouveau, que ceux-ci resteront présents dans la région. Des tensions pourraient apparaître si les deux parties ne clarifiaient pas leurs rôles respectifs - soit directement, soit par des intermédiaires au sein du gouvernement centrafricain -, allant des conditions de la formation à l'accompagnement des unités de l'armée dans les opérations.[4]
Les gouvernements occidentaux pourraient également contribuer, délibérément ou par inadvertance, à pousser les forces rwandaises à la confrontation avec Wagner. Les États-Unis, par exemple, qui apprécient les contributions du Rwanda à la Minusca et dans d'autres pays d'Afrique, pourraient commencer à le soutenir pour faire contrepoids à Wagner en RCA.[5] Ils pourraient y être encouragés par les performances des troupes rwandaises dans le nord du Mozambique, où Kigali les a envoyées en 2021. Ces troupes - qui ont par la suite été financées par l'UE - ont permis de contenir une menace jihadiste là où l'armée mozambicaine et les mercenaires russes avaient échoué.[6] En décembre 2022, les États-Unis ont impliqué le Rwanda dans des négociations secrètes avec Touadéra pour réduire l'influence de Wagner.[7] Si les troupes rwandaises sont préférables à Wagner pour leur professionnalisme, les tractations des États-Unis agacent des membres de l'entourage proche de Touadéra, fervent partisan du groupe russe : « Si les Rwandais veulent partir, qu'ils partent... mais les Russes ne partiront pas », a déclaré un conseiller présidentiel qui donnait son avis sur la volonté présumée de Washington d'utiliser le Rwanda pour expulser Wagner d'Afrique.[8]
[1] Entretiens de Crisis Group, Bangui, novembre 2022.
[2] Entretiens de Crisis Group, Bangui, septembre 2022.
[3] Les « Russes noirs » sont d'anciens combattants de groupes armés recrutés par Wagner pour l'assister dans ses opérations. Ils ne portent pas de matricule ni d'insignes distinctifs.
[4] Entretiens de Crisis Group, officiers supérieurs des forces de défense rwandaises, février 2023.
[5] Entretiens de Crisis Group, diplomates occidentaux, Kigali, février 2023.
[6] La France a persuadé d'autres États membres de l'UE de débloquer des fonds pour appuyer le déploiement du Rwanda au Mozambique, qui vise en partie à sécuriser un grand projet gazier de TotalEnergies. Entretiens de Crisis Group, responsables de l'UE, Bruxelles, juin 2023.
[7] Entretiens de Crisis Group, responsable rwandais, Kigali, février 2023. Entretien téléphonique de Crisis Group, fonctionnaire américain, mars 2023. « Les États-Unis engagent une stratégie pour évincer d'Afrique les mercenaires du groupe Wagner », Le Monde, 20 février 2023.
[8] Déclaration vidéo de Fidèle Gouandjika, conseiller spécial de Touadéra, Facebook, 4 mars 2023.
Wagner lui-même pourrait attiser sa rivalité avec le Rwanda. Kigali voit la main de Wagner dans une déclaration d'une organisation de la société civile centrafricaine qui décrit l'inefficacité des troupes rwandaises et exhorte Touadéra à revoir ses accords avec le Rwanda.[1] Le personnel de Wagner auraient également expliqué à de jeunes Centrafricains au Centre culturel russe de Bangui que les États-Unis utilisaient le Rwanda pour renforcer leur influence en RCA.[2] Le Rwanda n'a pas répondu publiquement à ces accusations, mais il craint qu'une telle propagande ne se répande.
Ces incidents montrent que Touadéra est souvent incapable de contrôler les activités de ses partenaires, ce qui a des effets délétères sur la paix et la sécurité dans le pays. Ils confirment également que, si Kigali veut consolider sa position de garant de la stabilité sur le continent, elle devrait clairement concentrer ses efforts en RCA sur la pacification plutôt que sur les intérêts économiques.
[1] Entretien de Crisis Group, officier supérieur des forces de défense rwandaises, Kigali, mars 2023.
[2] Entretien téléphonique de Crisis Group, 13 avril 2023.
IV. Désamorcer les risques
De nombreuses pièces bougent sur l'échiquier de la RCA - les attaques rebelles qui s'intensifient, l'incertitude relative à la présence de Wagner tandis que les difficultés économiques persistent dans le pays -, mais, en dépit de nouvelles possibilités de négociation, le Rwanda pourrait être la pièce maîtresse pour Bangui.[1] La présence de ses troupes, généralement bien considérées, et de ses diplomates a certainement été utile. Cependant, Kigali et Bangui gagneraient à prendre des mesures pour prévenir les risques de conflit autour des ressources naturelles ou la guerre d'influence entre les grandes puissances en RCA.
La discrétion dont a fait preuve le Rwanda pour développer son partenariat avec la RCA pourrait s'avérer un handicap pour Kigali et ternir sa réputation sur le continent et ailleurs. Le manque de communication sur ses activités sème le doute chez les Centrafricains quant aux intentions rwandaises. La population a vu à plusieurs reprises des étrangers se comporter en prédateurs et elle a donc naturellement tendance à se méfier de tout nouvel acteur extérieur qui entre en scène. Kigali risque d'être perçu comme une énième puissance étrangère soutenant un régime autocratique pour servir ses propres intérêts.
Une plus grande transparence serait utile. Le Rwanda devrait expliquer la nature de son soutien à l'État centrafricain, en fournissant des détails sur les accords militaires et économiques signés avec Bangui et les actions entreprises à ce jour. Il devrait communiquer plus clairement sur son rôle dans le renforcement des institutions et la bonne gouvernance en RCA. La diffusion, notamment par la radio, de son appui technique aux réformes administratives et financières dans tout le pays, aiderait le Rwanda à éviter de créer des tensions avec la RCA. Kigali pourrait également faire visiter ses zones d'opération aux journalistes centrafricains et internationaux, comme elle le fait au Mozambique.[2] Le gouvernement centrafricain devrait aussi être plus ouvert sur ses accords avec le Rwanda, dont le contenu est resté secret jusqu'à présent. L'Assemblée nationale devrait pouvoir analyser ces documents. Le pouvoir exécutif devrait également respecter l'autorité législative sur les concessions minières individuelles, en particulier pour les entreprises rwandaises, afin d'encourager le développement d'un secteur minier formel.
Ces mesures aideront également le Rwanda à prévenir une nouvelle crise majeure en RCA. En échange de son précieux soutien sécuritaire, Kigali devrait faire pression sur le président Touadéra pour qu'il reprenne le dialogue avec les chefs rebelles de la CPC. L'ONU devrait aussi encourager Kigali à contribuer à entamer des pourparlers. Etant donné que les troupes bilatérales rwandaises n'ont pas été impliquées dans les combats contre la CPC depuis 2021, le Rwanda pourrait être un facilitateur crédible aux yeux des groupes armés. En coopération avec la Minusca, les troupes bilatérales rwandaises pourraient ensuite contribuer à garantir l'adhésion à tout accord conclu entre les parties au conflit, leur présence permanente sur le terrain étant dissuasive pour les éventuels fauteurs de troubles.
[1] Entretien téléphonique de Crisis Group, observateur des affaires centrafricaines, 7 février 2023.
[2] Entretien téléphonique de Crisis Group, haut responsable Rwandais, juin 2023.
Le Rwanda devrait veiller à séparer ses activités militaires et économiques en RCA.
Le Rwanda devrait veiller à séparer ses activités militaires et économiques en RCA, afin de ne pas être considéré comme un prédateur et d'exposer ainsi les entrepreneurs rwandais à la violence. Il devrait déplacer le gros de ses troupes bilatérales, qui stationnent dans des zones hébergeant ses diverses entreprises commerciales, pour les ramener là où elles sont nécessaires pour renforcer la sécurité publique. À tout le moins, les troupes bilatérales de Kigali pourraient étendre leurs escortes aux entrepreneurs non rwandais travaillant dans les mêmes zones. Kigali souhaite naturellement protéger ses ressortissants, mais en affectant la plupart de ses troupes à la garde des entreprises rwandaises et des concessions minières, elle détourne une puissance de feu qui serait mieux utilisée pour sécuriser la population centrafricaine. Alors que le Rwanda s'apprête à entamer la formation de l'armée centrafricaine, le moment est venu de clarifier les objectifs de son soutien militaire : les Centrafricains considèrent le rétablissement de l'armée comme une priorité absolue pour stabiliser le pays.
Pour aider à prévenir les conflits locaux, Kigali devrait fournir des incitations économiques, telles que des exonérations fiscales, afin d'encourager les chefs d'entreprise rwandais à investir dans des activités qui profitent à l'économie de la RCA, en particulier l'exploitation minière et l'agriculture, au lieu de s'engager dans des pratiques prédatrices. Les investisseurs rwandais pourraient s'assurer le soutien des Centrafricains en zones rurales en employant un plus grand nombre d'entre eux, en suivant les exemples du secteur agricole.[1] Les chefs d'entreprise rwandais devraient rester en contact permanent avec les autorités locales et les chefs traditionnels (chefferies), afin de s'assurer que leurs actions soient claires pour la population. Ces mesures réduiraient le risque de voir s'envenimer les griefs qui poussent les habitants à commettre des actes de violence.
Bangui peut contribuer à prévenir les conflits locaux en désamorçant les tensions entre ses deux principaux partenaires en matière de sécurité : le groupe Wagner et les troupes bilatérales rwandaises. Dans le cas où les opérations de Wagner se poursuivraient en RCA après la mutinerie en Russie, ce qui semble probable à ce jour, le président Touadéra devrait assigner à chacun de ses alliés des zones d'opération distinctes afin d'éviter les chevauchements qui pourraient conduire à des affrontements, ainsi que pour s'assurer que leurs interventions s'inscrivent bien dans le plan de défense nationale du pays.[2] Il pourrait, par exemple, déterminer un rôle spécifique pour chacun de ses partenaires dans la formation des forces de sécurité nationales. Il pourrait rencontrer des difficultés à convaincre ses partenaires d'accepter tous ces arrangements, compte tenu de leurs intérêts économiques sur le terrain, mais il devrait néanmoins essayer. Le Rwanda souhaite éviter tout contact avec Wagner et cette situation pourrait s'avérer être un élément positif.
[1] Comme décrit dans la section II. C ci-dessus, les intermédiaires centrafricains gèrent souvent des exploitations agricoles appartenant à des Rwandais.
[2] « Timeline: How Wagner Group's revolt against Russia unfolded », Al Jazeera, 24 juin 2023.
L'Occident devrait également éviter de soutenir explicitement Kigali dans toute démarche visant à réduire l'influence de Wagner.
Les partenaires occidentaux de la RCA, en particulier les États-Unis et l'Union européenne, pourraient également avoir un rôle à jouer. Dans le cas où ils décideraient d'offrir au Rwanda un soutien financier pour sa mission militaire en RCA, comme ils l'ont fait au Mozambique, ils devraient imposer des conditions strictes sur la manière dont les fonds seraient dépensés et sur les missions qui incomberaient aux soldats rwandais. La formation de l'armée centrafricaine devrait être la priorité. En s'appuyant sur le travail de l'ancienne mission de formation de l'UE, cette approche améliorerait la sécurité de la population et permettrait d'améliorer l'accès humanitaire dans les régions les plus durement touchées par le conflit. L'Occident devrait également éviter de soutenir explicitement Kigali dans toute démarche visant à réduire l'influence de Wagner. Si des tâches distinctes sont définies, comme proposé, le soutien apporté au Rwanda pour former l'armée nationale ne profiterait pas seulement à la RCA mais pourrait également contribuer à diminuer l'influence de Wagner sans pousser Kigali vers une confrontation directe avec la force russe.
Bangui et Kigali bénéficieraient de ces mesures à plus d'un titre. Des investissements rwandais réguliers pourraient accroître les recettes fiscales de la RCA. Dans le cas où le gouvernement estimerait que ces investissements dynamisent également la croissance économique, il pourrait élargir son partenariat avec Kigali. Le Rwanda, pour sa part, en tirerait un profit matériel, tout en asseyant sa réputation de fournisseur crédible de sécurité en Afrique. L'attribution de zones d'opération spécifiques aux investisseurs rwandais réduirait également les risques de conflit avec Wagner et les conflits intercommunautaires.
V. Conclusion
Les Centrafricains soutiennent largement la présence du Rwanda, qui semble globalement aider leur pays. Les troupes de Kigali participent au maintien de l'ordre dans la capitale et sur les axes stratégiques. Le Rwanda tente de renforcer les institutions de l'État centrafricain et ses entreprises pourraient créer des emplois et alimenter l'économie chancelante du pays, qui en a bien besoin. Les pièges ne manquent pas, mais Kigali et Bangui pourraient tracer une trajectoire leur permettant de les éviter. Le Rwanda devrait essayer de relancer le dialogue entre le gouvernement et les rebelles. Il devrait également être plus ouvert quant à ses ambitions économiques en RCA, afin d'éviter d'être perçu comme une force prédatrice. Bangui et Kigali devraient également améliorer la coordination pour s'assurer que les soldats rwandais et les mercenaires de Wagner ne se tirent pas dessus. Ces efforts sont indispensables pour que le partenariat Rwanda-RCA puisse contribuer à la résolution de la crise centrafricaine.
Bangui/Nairobi/Brussels, 7 juillet 2023