Il suffit de faire irruption sur les plateformes des réseaux sociaux pour se rendre compte que nous sommes dans un monde de captivité, une prison sans barreaux, une camisole de force enfilée de gré à notre insu. Twitter, Facebook, WhatsApp, Snapchat, Instagram, sont devenus des dépotoirs de confort pour une génération sans remords. Il y en a qui se clochardisent dans les « égouts » de ces réseaux sociaux au point de ne plus savoir où mettre la Raison.
Que de bêtises magnifiées avec des tonnes de « likes » dénudés de tout sentiment vrai. On cliquera sur « j'aime » autant pour les noces que pour le deuil sans le moindre discernement. On brandira sa tronche hideuse à la face du monde comme pour dire : « regardez, moi aussi j'existe ! ». On exposera sa vie privée et la vie de sa famille en public et parfois de façon impudique sans la réserve qui préserve.
Il suffit d'aller sur Facebook pour savoir localiser avec précision certains et connaître les états d'âmes des autres. On fera des selfies au volant de son tacot pour dire aux « jaloux » qu'on a réussi et que le meilleur reste à venir. On dressera un portrait sur pied aux côtés de sa dulcinée pour montrer qu'on a apprivoisé l'oiseau rare au plus beau plumage de la terre. On crèvera les écrans avec les clichés de son fils comme on brandirait la coupe du monde.
Oublions le contenu des textes publiés, aucune consistance, point de sérieux. Il y en a qui s'adonnent à des directs pendant des heures, juste pour étaler leurs immondices à perte de vue. Quand je pense que ce dommage sera l'héritage de nos enfants, j'ai peur de demain. Quand je vois tous ces textes touffus de panafricanisme, ces images fortes pleines de symbolisme révolutionnaire, ces vidéos qui rivalisent de célébrité avec la vérité, je baisse la tête et j'émets un grand soupir en silence.
Sur les réseaux sociaux, ces menus fretins font les choux gras des discussions ; on accuse qui on veut d'être responsables de la tragédie africaine ; on se marre du pire et du meilleur ; on s'invective et on s'insulte à demi-mots ; des spécialistes en tout se dressent sur des tas de théories friables avec des arguments en papier froissable. Les feuilletons à l'eau de rose ne fascinent pas plus que ces vidéos qui zappent de groupe en groupe. Entre info et intox, la limite est presque imperceptible dans nos têtes. On n'a jamais vu autant de vidéos sur l'imbroglio africain.
Un continent longtemps persécuté, riche de ses ressources naturelles mais pauvre de ses hommes riches. De Sankara à Lumumba en passant par N'Kruma, la chanson est la même : « l'Afrique doit se libérer de l'impérialisme et voler de ses propres ailes ». Mais de quel impérialisme parle-t-on quand les vrais impérialistes ce sont d'abord nous-mêmes ? Contre quelle puissance coloniale nous insurgeons-nous quand les néo-colons sont nos propres frères, nos parents à la peau noire, natifs du pays mais prêts à vendre ce même pays pour satisfaire leur nombril ? Non, rien ne sert de brandir le poing en l'air et crier : « la patrie ou la mort, nous vaincrons » !
Nous ne vaincrons rien si nous ne sommes pas capables de nous élever au-dessus de nos égos perso. Vous pouvez utiliser les effigies de tous les héros panafricains et panaméricains comme photo de profil sur Facebook ou WhatsApp, ça ne changera rien au destin que nous nous sommes imposés et accepté par couardise et par manque de volonté. Si vous voulez, construisez des monuments encore plus grands ; d'autres peuples viendront les visiter en touristes mais pour s'inspirer et repartir appliquer le combat de ces héros chez eux en bons pragmatistes.
La lutte pour la libération vraie du continent africain ne sera pas un simple partage de vidéos sur les idéaux de Sankara ou de Ché Guévara. Elle passera par l'action au quotidien, par l'éducation des masses, par une gouvernance austère et vertueuse, par un engagement de chacun et de tous.
La lutte pour l'indépendance vraie ne sera pas une lutte de salon, il faudra aller au charbon et au front pour mériter ses galons. L'Afrique ne renaîtra jamais tant que l'Union africaine restera un nonchalant titan sexagénaire au pied d'argile, vautré dans les fauteuils douillets de la première classe et des salles climatisées des conférences aux discours creux et endormants. L'Afrique ne sera jamais en paix tant que chaque pays se battra seul contre les forces du mal pendant que le voisin boit son petit lait dans son cocon épargné.
L'Afrique ne sera jamais libre tant qu'on passera le temps à déshabiller pierre pour habiller Paul ; tant qu'on chassera le coq de la basse-cour pour y mettre un aigle à deux têtes. L'Afrique ne sera jamais libre tant que sa jeunesse passera son temps à se pomponner dans les réseaux sociaux, à « liker » des futilités, à prendre des vessies pour des lanternes et à remettre à demain sa part de lutte. C'est cela le mirage africain. Malheur à celui qui ne fait pas mieux que son père !