Ile Maurice: Kunal Naïk - «La légalisation du cannabis, seule solution pour faire reculer la synthétique»

interview

Au cours d'une conférence récente sur les changements qui se mettent en place dans le monde pour lutter contre le trafic de drogue, organisée par l'Institut Cardinal Jean Margéot, le psychologue-addictologue Kunal Naïk avait proposé la légalisation du cannabis comme seule solution pour faire chuter la consommation de la drogue synthétique à Maurice, en particulier auprès des jeunes. Quel modèle de légalisation conviendrait mieux à notre pays ? On fait le point avec Kunal Naïk.

Pourquoi avez-vous dit que l'addiction n'est pas un choix ?

Trois C définissent l'addiction : la perte de Contrôle par rapport à un comportement, la Compulsivité, soit l'incapacité d'une personne à s'arrêter de consommer, et même si les conséquences sont négatives pour elle, elle va Continuer à s'engager dans ce comportement nocif. Si une personne pouvait contrôler son comportement nocif, elle l'aurait fait. C'est pour cela que je dis que l'addiction en elle-même n'est pas un choix.

Pourquoi dites-vous que la répression n'a pas marché ?

Vous n'avez qu'à voir les derniers chiffres figurant dans le World Drug Report. Ce rapport annuellement publié par le United Nations Office on Drugs and Crime indique encore une augmentation dans la consommation de drogues. Et c'est pareil chaque année. Donc, si le système répressif fonctionnait, on n'en serait pas là.

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Est-ce qu'une drogue particulière est plus consommée qu'une autre ?

Non, c'est un mélange de drogues mais la drogue la plus consommée dans le monde est le cannabis. Il y a aussi une grosse utilisation d'opiacés comme l'héroïne et aussi la cocaïne, la méthamphétamine, plus connue comme la cristal meth, qui occasionne beaucoup de dégâts. Je le répète, si le système répressif fonctionnait, déjà à l'international, on aurait dû voir une diminution dans la consommation. Or, c'est le contraire. Le nombre de vols augmente, le nombre de personnes allant en thérapie explose, l'incarcération par rapport à la consommation de drogue est en hausse aussi. Donc, c'est clair que ce système ne fonctionne pas.

Quelle est la situation actuelle à Maurice ?

Les premières études menées à Maurice par le ministère de la Santé se concentraient sur la consommation d'héroïne. Après que Danny Philippe, Nicholas Ritter et moi avons milité pour qu'il y ait des études sur la prévalence des drogues à Maurice, le ministère de la Santé et le Prime Minister's Office ont consenti à faire un Drug Use Survey. La méthodologie employée a été le Respondent Driven Sampling. L'échantillonnage comprenait à peu près 602 personnes, toutes des usagères de drogue. Les résultats publiés en 2022 montrent une moyenne de 28 000 à 111 500 consommateurs hors héroïne, soit des consommateurs de cannabis et de synthétique. Ces chiffres me semblent très bas car peu de personnes viendront de l'avant pour se dire consommatrices. D'après moi, c'est le double. Et malgré le système de répression mis en place depuis 50 ans à Maurice, malgré les saisies de drogue hebdomadaires par les autorités, on voit qu'il y a encore beaucoup de consommateurs. Le vrai problème n'est pas traité, les enjeux économiques, sociaux et de santé ne sont pas considérés. La répression a totalement sa place mais pour les trafiquants, pas pour les personnes qui ont une addiction causée par des traumatismes et pas pour celles qui vivent des conditions socioéconomiques difficiles.

Quelle est la part du traumatisme et celle des facteurs socioéconomiques dans la consommation de drogues ?

C'est un mélange. L'addiction vient d'une panoplie de situations qui peuvent inciter les gens à consommer. Mais je considère que le traumatisme est un facteur plus prévalent car quand une personne vit un traumatisme, il y a une sorte de déconnexion qui se produit en elle et elle passe sa vie à chercher à ravoir un sens de normalité. Beaucoup de personnes, qui ne font pas de thérapie, qui ne font pas un travail sur elles, développent des problèmes car elles vivent une dysrégulation emotionnelle. Elles ne peuvent contrôler leurs émotions et ont un comportement très négatif. Et en consommant de la drogue, elles pallient à la souffrance qu'elles éprouvent. Elles se droguent parce qu'elles souffrent et ont besoin de fuir le moment présent, de se relaxer. Et quand elles ont un comportement négatif qui peut leur apporter des problèmes, elles ne regardent pas si ce qu'elles consomment est illégal ou pas. Elles ont besoin de quelque chose pour soulager leur souffrance. Cela revient à dire que l'addiction n'est pas un choix. Il faut faire une différence entre la consommation récréative et celle problématique entraînant l'addiction. Certaines personnes peuvent consommer pendant quelques temps et on le voit surtout chez des adolescents. Dès qu'ils vont à l'université et commencent à avoir des responsabilités, un travail ou une famille, ils ne vont pas continuer à consommer. L'Organisation mondiale de la santé a même avancé un chiffre à ce sujet et a dit que 90 % des personnes qui consomment des drogues n'auront pas de problèmes d'addiction et que seules 10 % développeront des problèmes graves. Et ce pourcentage correspond aux statistiques mauriciennes. Il y a à peu près 6 000 à 8 000 personnes à Maurice qui consomment de l'héroïne et 7 800 personnes actuellement sur méthadone. Quand on regarde ces chiffres, ça fait à peu près 10 % de la population mauricienne qui a une consommation problématique. Mais il ne faut pas croire que toutes les personnes qui sont sur méthadone sont mal en point. Environ 75 % d'entre elles travaillent, contribuent à la société, subviennent aux besoins de leurs proches mais malheureusement 15 à 20 % sont laissées pour compte car elles ont d'importants traumatismes à régler. Elles ont peut-être fait de la prison, ont possiblement un certificat de caractère chargé ou encore n'ont pas de qualifications et beaucoup ont des soucis de santé. Je vais plus loin pour dire qu'il se peut que certains souffrent de troubles mentaux non-détectés comme la dépression, l'anxiété et ils font de l'automédication, c'est-à-dire qu'ils pallient à leurs problèmes en prenant des substances illégales comme médicaments. Cela va se manifester différemment chez l'homme et la femme. L'homme dépressif aura des accès de colère, sera violent tandis que la femme dépressive sera plus émotive. Ce qui est dommage c'est qu'il n'y a pas d'études sur cette population précise.

Pourquoi dites-vous que la légalisation a fonctionné à l'étranger ?

Prenons l'exemple de l'Uruguay, qui a été le premier pays à décriminaliser l'usage de drogues et le premier pays à légaliser le cannabis. Au début, les gens pouvaient s'enregistrer et acheter du cannabis dans les pharmacies et des lieux spécifiques, contrôlés par le gouvernement. Quelque temps après, le gouvernement a autorisé la population à planter du cannabis à domicile. Le quota était de dix grammes de cannabis par mois acheté en pharmacie ou autrement, les gens pouvaient avoir six plants à domicile. Cette consommation récréative était destinée aux personnes de 18 ans. Quand cette mesure a été appliquée, il y a eu une légère hausse dans la consommation générale du fait de la légalisation mais le nombre de jeunes consommateurs n'a pas augmenté. C'est pour cette raison que j'ai proposé un système de légalisation du cannabis pour Maurice pour contrer la drogue synthétique.

Vu que vous connaissez le contexte mauricien, quel serait le modèle de légalisation le plus efficace pour Maurice ?

Le premier modèle est libéral comme cela a été fait au Colorado où la consommation était davantage récréative. De grosses compagnies privées ont investi et ont commencé à produire leur propre cannabis. Ces compagnies sont énormément taxées par l'État, qui obtient en contrepartie beaucoup d'argent qu'il réinvestit dans des projets de développement communautaire. Le deuxième modèle serait celui contrôlé par le gouvernement et on l'appelle la règlementation légale. C'est ce qu'a fait le Canada. Le gouvernement contrôle la production, les permis, la vente, comme il le fait pour la vente d'alcool et de tabac et il contrôle le processus de A à Z, c'est-à-dire le type de plantes importées, leur dosage en tétrahydrocannabinol, leur culture, la délivrance des permis pour la commercialisation et après bien sûr, la loi autour de tout cela. Au Canada, l'âge de consommation est 19 ans. Pour Maurice, je crois qu'au début, le gouvernement devrait contrôler le marché de A à Z et ceci pour pouvoir vendre le cannabis à un prix très bas aux jeunes de 21 ans à monter. Cela permettrait de réduire le marché de drogue synthétique. C'est au gouvernement de le faire, pas au secteur privé. Si un gramme de synthétique se vend à Rs 300, on devrait pouvoir vendre un gramme de cannabis à Rs 150 pour réduire, voire éliminer ce marché de drogue synthétique. Or, aujourd'hui, un gramme de cannabis se vend entre Rs 1 500 et Rs 3 000. C'est pour cela que les gens cherchent à fumer de la synthétique.

La corruption ne risque-t-elle pas de venir à bout des meilleures intentions du monde et les corrompus vendre du cannabis aux mineurs ?

Reformulons votre question. Qui protège ces jeunes et autres mineurs qui fument de la drogue synthétique actuellement ? Personne ne s'occupe d'eux ni ne va voir qui leur vend cette drogue. Les jeunes ont accès à ce marché illégalement et c'est un marché extrêmement dangereux. Moi, je dis mettons un système en place qui sera beaucoup moins dangereux pour la majorité des jeunes. Je dis majorité car il y a toujours une poignée qui continuera à fumer de la drogue synthétique mais ils seront minoritaires. Il faut mettre en place des systèmes pour exercer un contrôle très strict sur la vente. Cela signifie réclamer et vérifier la carte d'identité du potentiel acheteur, rendre extrêmement difficile l'accès au lieu de vente du cannabis et imposer des amendes énormes, voire l'emprisonnement en cas de vente de cannabis à un mineur ou à une personne de moins de 21 ans. Il faut un cadre légal très strict et il faut l'appliquer. Bien sûr que la corruption existe et d'autres problèmes autour mais je ne vois aucun autre modèle, pour l'instant, qui pourrait résoudre ce problème de drogue synthétique. Si nous pouvions éliminer la corruption à Maurice, ce serait fantastique mais il ne faut pas être utopique. Le système de répression actuel est trop dangereux. Nous exposons nos jeunes à des produits extrêmement dangereux, des produits qui ont des conséquences extrêmement néfastes et il n'y a aucune étude de faite par rapport à cela. Nous ignorons dans dix ans quel impact la consommation de cette drogue synthétique aura eu sur leurs cerveaux. L'alternative que je propose est vraiment pour protéger les jeunes et les gens. Ce modèle peut potentiellement apporter un changement pour sauver des vies. Je vais plus loin. En Floride, les personnes consommaient beaucoup d'opiacés et quand le cannabis médical a été légalisé, de nombreuses personnes qui consommaient des opiacés, ont commencé à se tourner vers le cannabis car ses effets sont beaucoup moins dangereux.

Vous avez parlé d'un contrôle de A à Z par le gouvernement dans un premier temps. Et dans un deuxième temps ?

Après la phase de contrôle total, le gouvernement peut ensuite faire ce que l'Uruguay a fait, c'est-à-dire autoriser les gens à avoir deux plants chez eux. Ils n'auront pas besoin d'en acheter. Pour moi, cette légalisation doit se faire par étapes. Elle doit commencer par un contrôle total du processus par le gouvernement et puis on passe à l'étape où les gens peuvent cultiver à la maison pour leur consommation personnelle. Tout cela doit s'accompagner de la responsabilisation des personnes, d'une grosse campagne d'éducation autour du cannabis pour que les gens comprennent c'est quoi et l'impact des autres drogues sur le corps et le cerveau.

Le Portugal a décriminalisé l'usage de drogues. Cela a donné quels résultats ?

La décriminalisation veut dire que ce n'est plus une offense criminelle mais cela ne veut pas dire que son utilisation est légale pour autant. En 1999, le Portugal avait de gros problèmes avec l'héroïne et le VIH. Ce pays a mis un comité en place, constitué de médecins, d'universitaires, d'économistes et même de policiers et ils ont réfléchi et fait des recommandations sur le modèle à suivre pour réduire la consommation et le VIH. La première recommandation faite en l'an 2000 a été de décriminaliser l'utilisation de toutes les drogues. Ensuite, un Drug Dissuasion Committee a été mis sur pied. C'est un panel comprenant un médecin, un psychologue et un travailleur social et parfois un éducateur de rue. Et d'après ce modèle, quand la police arrête une personne avec moins de dix jours d'approvisionnement de drogue, la personne n'est pas emprisonnée mais envoyée devant le panel. Les personnes sur ce panel sont très bienveillantes et vont l'écouter et vont la diriger soit vers un système de réduction de risque comme la méthadone, le suboxone, la buphrénorphine ou Subutex. Si elle est sans domicile fixe, elles vont l'envoyer dans un lieu de vie et si elle a des problèmes de santé, elle sera dirigée vers le système de santé approprié. Le but de ce panel n'est pas la répression. Les personnes siégeant sur ce panel savent qu'on ne peut contraindre une personne à arrêter de consommer. Cela ne fonctionne pas comme ça. Ce qu'elles font, c'est qu'elles proposent des alternatives. Si cette personne revient systématiquement devant elles, elles peuvent prendre des sanctions purement administratives comme lui infliger de petites amendes mais rien ne paraîtra sur son certificat de caractère. Il n'y a pas de limite au nombre de fois que la personne peut passer devant le comité. À Maurice, nous avons proposé ce modèle pendant dix ans, expliquant pourquoi il faut mettre ce système de décriminalisation en place car quand on voit le modèle du Portugal, il y a eu effectivement une réduction de la consommation. Un grand nombre de consommateurs ont recherché des traitements car ils savent que la décriminalisation comporte moins de stigmatisation. L'argent économisé sur la détention des consommateurs a été investi massivement dans des logements sociaux, dans un programme de lutte contre la pauvreté, dans l'éducation et dans le système de santé publique. Ce modèle a plus de 23 ans et apporte toujours des résultats positifs.

Êtes-vous pour la légalisation ou la dépénalisation des stupéfiants ?

Je suis pour les deux. Et ceci, pour que les consommateurs aient moins de problèmes avec la loi, pour qu'elles puissent continuer à travailler, pour transférer tout l'argent allant dans la répression vers les systèmes sociaux, de santé publique, vers la formation des personnes qui travaillent sur l'addiction, pour faire de la prévention.

Lors de votre intervention à l'ICJM, vous avez parlé de salle de shoot. De quoi s'agit-il ?

Je faisais référence à des salles de consommation à moindre risque et à l'héroïne médicalisée. À Maurice, 7 800 personnes, qui sont sur méthadone, sont des consommateurs d'héroïne et certains sont des consommateurs consommateurs depuis plus de dix ans. À long terme, la méthadone affecte les os, les dents.

Des usagers prennent de la méthadone et continuent à se droguer. Ces effets secondaires ne viennent-ils pas de ce mélange ?

La dose de méthadone dispensée à Maurice est faible et puis il faut réaliser que sur certaines personnes, la méthadone ne fonctionne plus. Ces personnes-là ont besoin d'héroïne médicalisée (diamorphine). C'est là qu'on a besoin d'héroin assisted therapy. La Suisse a mis cela en place. Les gens vont dans des safe injecting sites et c'est à peu près 1 700 personnes qui vont prendre leur héroïne tous les matins. L'héroïne médicalisée est pure. C'est un médicament contrôlé par le gouvernement. Ces salles de shoot sont des espaces propres où il y a un médecin ou des infirmiers. Si la personne fait une overdose, le praticien ou l'infirmier est là pour prévenir les risques. En Suisse, la salle de shoot est au rez-de-chaussée. Au premier étage, il y a la distribution de méthadone, de buprénorphine et au deuxième étage, il y a un centre de réhabilitation. Ainsi, dès qu'une personne a un déclic et manifeste un désir d'arrêter de se droguer, elle est référée au premier ou au deuxième étage. De plus, systématiquement quand une personne se présente pour la première fois dans une salle de shoot, un logement social lui est proposé. On lui donne aussi une formation pour qu'elle ait un travail. Depuis, le nombre de nouveaux utilisateurs d'héroïne en Suisse a diminué. Les décès par overdose de drogue ont chuté par 64 %, les infections au VIH ont baissé par 84 % et les vols à domicile par 98 %. De plus, il y a 75 % moins de cas de poursuites liées aux opioïdes chaque année.

Le Drug Users Administrative Panel a été accepté à Maurice. Ce panel sera-t-il comme celui du Portugal ?

Il sera un peu comme le Portugal. Il comprendra définitivement des experts et quand une personne sera arrêtée avec une petite quantité de drogue, quelle que soit la drogue, elle sera référée devant ce panel. Une enquête sociale sera menée et ceux qui y siègent verront si la personne est un consommateur ou un trafiquant. Si c'est un consommateur, il sera dirigé vers un centre de réhabilitation. Si c'est un trafiquant, il goûtera à la prison.

Et si cette personne n'a pas eu le déclic pour arrêter de consommer ?

J'avais proposé que l'on calque le modèle de panel local sur celui du Portugal. Mais j'ignore si ce sera fait. L'aspect positif avec la mise en place de ce panel c'est que la personne arrêtée n'aura pas de certificat de caractère. Mais il faut faire bien attention car si on oblige les gens à suivre le traitement et la réhabilitation, ce sera fichu. Cela ne marchera pas. Un autre problème qui pourrait surgir est qu'on ne fasse pas de différence entre la personne qui a une consommation récréative et celle qui a une addiction et une consommation problématique. Certaines personnes qui fument du cannabis n'ont pas besoin de réhabilitation. Et les contraindre à suivre un traitement ne servira à rien. Mon appréhension est relative à ça. Ensuite, il est extrêmement important de mettre en place une National Prevention Unit pour faire de la prévention auprès des jeunes, des moins jeunes, des adultes. Et pour cela, il faut une unité spéciale constituée de personnes indépendantes, formées, qui seraient rétribuées par le gouvernement. Et finalement, il faut accompagner cela de mesures pour lutter efficacement contre la pauvreté, contre les inégalités sociales, la désinformation par rapport à la drogue. Il y a aussi une campagne d'éducation concrète qui doit être menée.

Les pays qui ont réussi à juguler le trafic par la dépénalisation et la criminalisation

L'Uruguay a été le premier pays à soutenir cette gageure et à la réussir. Le Paraguay y exportait son cannabis et inondait l'Uruguay. L'ancien président, José Mujica, ne voulait pas que son pays devienne un Narco state. Il s'est dit que pour le protéger, pour protéger ses citoyens et faire en sorte que la paix et la sécurité règnent, il fallait opter pour la légalisation du cannabis afin de contrôler le marché et éliminer l'influence de la mafia. Et ça a été le cas. Le Canada a aussi fait un pas dans cette direction en optant, en 2016, pour la légalisation du cannabis. Son utilisation par les jeunes est alors sortie de 19 % cette année-là et a chuté à 10 % en 2019. La tendance a depuis plafonné à 10 %.

Les origines de la répression

La répression contre les drogues remonte à une centaine d'années, soit dans les années 1900. Lors de la Hague Convention en 1912, des groupes d'Anglais et d'Américains se sont réunis pour mettre en place un système afin de contrôler le marché de l'opium et cela, pour mieux booster leur produit, qui était le tabac. De ce fait, l'origine de la mise en place des politiques de répression n'a jamais été pour la santé mais bien un enjeu économique. C'est ce qu'a expliqué le psychologue-addictologue Kunal Naïk. Celui-ci va plus loin en disant que l'origine de cette guerre contre les drogues était raciste. Dans les années 1940, souligne-t-il, quand l'alcool est devenu légal après la Prohibition, Harry Anslinger, qui poursuivait les contrebandiers par rapport à l'alcool, a dû changer son fusil d'épaule, d'autant plus que le département qu'il dirigeait avait commencé à perdre de l'argent. Il a été nommé commissaire du Federal Bureau of Narcotics, précurseur du Drug Enforcement Agency. Il s'est alors mis à cibler les Noirs, les Hispaniques et les personnes de couleur, qui fumaient le cannabis et écoutaient ce qu'il a appelé la «satanic music». Il l'a dit ouvertement devant le Sénat quand il a propulsé son agenda pour criminaliser le cannabis. En parallèle, il y a eu des lobbys pour le coton et des lobbys pharmaceutiques qui se mettaient en place pour demander la criminalisation du cannabis. Mais Harry Anslinger avait un agenda bien défini dans sa tête. Il s'est mis à cibler les catégories de personnes susmentionnées et une des personnes ciblées était la chanteuse Billie Holiday, qui était une consommatrice de cannabis. Elle souffrait d'addiction car elle avait été violée à 12 ans par son beau-père, était une enfant battue et son seul salut était sa voix. Harry Anslinger s'est acharné sur elle. À l'époque, il fallait une licence pour chanter et sans cette licence, ce n'était pas possible de se produire. Il l'a systématiquement harcelée pour en faire un exemple, comme si que c'était toute la communauté noire qui consommait du cannabis et créait des problèmes. Harry Anslinger a aussi contacté une vingtaine de médecins pour leur demander d'envoyer des articles scientifiques pour criminaliser le cannabis. Dix-neuf médecins ont dit que le cannabis ne posait aucun problème. Un seul médecin a parlé d'un jeune italien, Victor Licata, âgé de 20 ans, qui avait tué ses parents. Il avait été diagnostiqué schizophrène. «Il avait peut-être consommé le cannabis une seule fois dans sa vie mais Harrry Anslinger a mis ce cas en avant pour dire que le cannabis rendait fou. 'It causes people to go crazy'. Il a ajouté que sous l'influence du cannabis, les Noirs allaient coucher avec les femmes blanches et a dit d'autres inepties encore. Quand il a commencé à criminaliser le cannabis, son département s'est mis à engranger de l'argent. Il s'est alors tourné vers la scène internationale. De nombreux pays comme la Thaïlande ou l'Indonésie avaient des lois laxistes par rapport au cannabis et lui a saisi systématiquement les Nations Unies et a fait mettre de la pression sur ces pays à travers un pouvoir d'embargo.» Ces pays qui étaient influencés par les États-Unis se sont alors mis à criminaliser l'usage du cannabis et certains ont même introduit la peine de mort.

La situation a empiré sous l'administration du président Richard Nixon. Pour devenir un président fort, il a soutenu la campagne War on Drugs dont les raisons étaient totalement fausses. Des années plus tard, au cours d'une interview, John Ehrlichman, qui était son assistant pour les affaires intérieures, a déclaré que l'administration Nixon avait menti sur les utilisateurs de drogue. Il a eu ceci à dire : «You want to know what this (war on drugs) was really about? The Nixon campaign in 1968 and the Nixon White House after that had two enemies: the antiwar left and black people. You understand what I'm saying? We knew we could not make it illegal to be either against the war or Black but by getting the public to associate the hippies with marijuana and Blacks with heroin and then criminalizing both heavily, we could disrupt these communities. We would arrest their leaders, raid their homes, break up their meetings and vilify them night after night on the evening news. Did we know we were lying about the drugs? Of course we did.» Donc, c'est clair que les origines de cette guerre contre le cannabis et les drogues étaient surtout économiques et racistes et qu'elle n'était pas menée pour protéger les personnes comme c'était stipulé dans les Conventions des Nations Unies sur la Drogue. «De gros lobbies, notamment pharmaceutiques, ont aussi voulu contrôler le cannabis. Ils continuent d'ailleurs à le faire, donnant chaque année plus de 10 millions de dollars US à Washington pour que l'on continue à criminaliser le cannabis».

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