Le Pr Souleymane Bachir Diagne a invité, dans sa leçon inaugurale tenue jeudi 06 juillet 2023 lors du Colloque sur les 10 ans du Cheds, une « lecture et mobilisation contemporaines des ressources que portent les traditions culturelles, intellectuelles et spirituelles de la région » pour se départir du sentiment d'insécurité ». Il a aussi indiqué la nécessité d'envisager la paix et la sécurité d'abord sur le plan international.
« L'urgence des menaces qui ont pour noms terrorisme, djihadistes, trafic illicite transnational de drogue ou de personnes, impose des réponses sécuritaires, donc militaires pour l'essentiel », a esquissé le Pr Souleymane Bachir Diagne, dans sa leçon inaugurale prononcée, jeudi 06 juillet 2023, à Dakar, à l'occasion de l'anniversaire des dix ans d'existence du Centre des hautes études de défense et de sécurité (Cheds). Cette réponse parcellaire colle au libellé de son thème « Contre le sentiment d'insécurité dans le monde et dans l'ouest africain : construire une culture de la paix ». Tout naturellement, il a fait remarquer que la « nature des choses demande qu'un travail d'éducation soit mené et qui installe et consolide une culture civique sur laquelle seule repose le nécessaire respect des institutions et des normes démocratiques et, au-delà, une culture de paix ».
Faisant référence aux défenses de la paix, mises en exergue par la devise de l'Unesco, le Pr Souleymane Bachir Diagne a exhorté à les « édifier plus solidement qu'elles établiront leurs fondations dans les ressources culturelles et spirituelles qu'offre la région » ouest-africaine. Cela d'autant plus qu'elles mettent en exergue des « leçons de tolérance, de pluralisme et de pacifisme que portent des traditions et des textes, écrits et oraux, issus de toutes les régions de la terre et qui appellent l'humain à sa propre humanité » comme il l'écrit dans un ouvrage collectif. Alors, l'alternative pour la sécurité collective en Afrique de l'ouest, champ de délimitation du thème du colloque international, l'établissement d'une culture de paix devra se faire sur une « lecture et mobilisation contemporaines des ressources que portent les traditions culturelles, intellectuelles et spirituelles de la région ».
« Éduquer au pluralisme »
Il n'est dès lors pas étonnant que l'universitaire, qui fait de l'Islam un matériau dans sa quête philosophique, convoque la « tradition islamique ouest africaine de tolérance religieuse fondée sur le pluralisme ». « Il est important de la rappeler et de la vivifier (cette tradition) par l'éducation pour faire pièce à des interprétations exclusivistes que si elles ne prônent pas la violence peuvent la favoriser chez certains comme un prolongement naturel du geste de frapper d'anathème toute forme de pluralisme religieux. Nous aimons accroire que notre islam confrérique nous immunise contre les extrémismes. Sans doute, elles constituent des défenses pour la paix, mais le Nord Nigéria connaissait aussi une culture confrérique florissante lorsque la prédication du mouvement Izala y a fait le lit de la violence de Boko Haram », a rappelé le Pr Diagne.
N'empêche qu'il soit, pour lui, primordial d'« éduquer au pluralisme comme étant le sens du message coranique, mais aussi de l'histoire de l'islamisation de l'Ouest africain et de l'opposer à l'exclusivisme ». L'espoir est donc permis en Afrique de l'ouest pour inhiber le sentiment d'insécurité quand on sait que l'histoire de l'islam dans cette partie est une « tradition d'érudition et d'enseignement, une histoire intellectuelle et spirituelle qui a donné à la religion musulmane en Afrique pour l'essentiel, mais pas pour toujours, un visage de pacifisme, de pluralisme et de tolérance ».
Ce résultat étant le « fruit du travail de savants musulmans qui ont cultivé une philosophie pacifiste persuadés qu'ils étaient que la fureur des guerres saintes réalisera toujours infiniment moins que la patience des éducateurs ». Il rappellera également l'apport des Jakhanke qui ont créé dans la région des centres d'enseignement islamique. « La conviction des leaders des confréries soufies, sous la colonisation, est restée que le vrai combat était celui de l'éducation contre la dépersonnalisation », a révélé le Pr Diagne. L'enseignant de la Columbia University a ainsi appelé à perpétuer cette « philosophie qui a donné à l'Islam en Afrique ses traits essentiels ».
L'humain au banc des accusés
Mais au-delà, l'universitaire avait d'emblée insisté sur « l'importance de penser la paix et la sécurité sur le plan international » indépendamment des « particularités » eu égard au fait qu'il est « crucial que l'intelligence africaine soit présente ». La perspective de réfléchir sur la paix et la sécurité au plan international est « essentielle pour comprendre les traditions régionales, locales que cette question peut connaître ». Surtout que le philosophe a invité, dans un « monde fracturé », à mener une « cosmopolitique de paix et sécurité ».
Ce sentiment d'insécurité sera lu par le philosophe sous l'éclairage des crises environnementale et sanitaire eu égard au fait qu'elles « partagent des phénomènes cosmiques et commandent une réponse cosmopolitique ».
C'est pourtant l'humain qu'il mettra au banc des accusés puisqu'« agent de sa propre insécurité ». Il centrera le sentiment d'insécurité sur les jeunes qui ont « peur de l'avenir au point d'hésiter à avoir des enfants, de les mettre au monde selon l'expression consacrée quand ce monde s'avère si incertain ». Posant qu'il s'agit là d'une « anxiété qui anticipe et qui peut donc empêcher le mouvement de se projeter vers l'avenir que les individus et les sociétés ont besoin de vivre ». Il met en avant une étude menée en 2021 par une équipe internationale de chercheurs dans dix pays dont le Nigéria (seul État ouest-africain concerné par l'étude). Selon cette étude, 83 % de l'ensemble des jeunes estiment que l'on a échoué à prendre soin de la planète (76 % de Nigérians). Tout comme 75 % de ces jeunes ont déclaré que l'avenir fait peur (75 % de Nigérians). Et sur ces défis climatiques, la condamnation de l'humanité est perçue par 56 % de ces jeunes (42 % de Nigérians).
« Le sentiment d'insécurité est aussi bien la cause et la conséquence tout à la fois de la perception que nous avons de vivre dans un monde profondément fracturé sur les plans géopolitique, politique et culturel », a révélé le Pr Diagne. Il est également largement revenu sur le « recul de la démocratie dans un monde où l'attachement à l'idéal qu'elle représente apparaît s'être distendu ». Faisant sienne la thèse de Cynthia Fleury, il dira que la plus « grande menace aujourd'hui contre la démocratie est ce qui la corrode de l'intérieur ».
Le Pr Diagne a mis également l'accent sur un « phénomène amplificateur » de la violence et qui est une « caractéristique de notre temps et qui est la manipulation ». Semblant regretter que les « réseaux sociaux soient le lieu de tous les tribalismes et de toutes les manipulations médiatiques qui posent des problèmes de sécurité sans précédent ». Il assimile l'internet à la « meilleure et la pire des choses ».