Afrique: Mission ethnographique Dakar-Djibouti - 90 ans après, la contre-enquête des experts au quai Branly

Hugues Heumen, le directeur du musée national du Cameroun, était en résidence au musée du quai Branly à Paris de début juin à début juillet pour travailler sur les collections camerounaises de la mission Dakar-Djibouti. Plus de 90 ans après, le musée du quai Branly a décidé de réexaminer l'histoire de cette mission en associant universités et musées africains.

L'expédition scientifique Dakar-Djibouti, menée par l'ethnologue Marcel Griaule, avait traversé le continent d'ouest en est entre 1931 et 1933. La mission a rapporté à Paris plus de 3 000 objets : des manuscrits et des amulettes, des photographies et des enregistrements sonores.

Dans une des salles de la muséothèque, Hugues Heumen nous présente en cet après-midi de juillet, 3 des 229 objets rapportés du Cameroun par la mission. Il y a là une calebasse de Garoua. « Dans cette pyrogravure, ce dessin, cette tortue qui est dessinée, et même le dessin à l'intérieur de la calebasse, cette beauté, c'est très rare », décrit-il le directeur du musée national du Cameroun. À côté, un bouclier pris à Mora : « Il est fait en peau de girafe, en matière végétale et en cuir », pointe-t-il.

Un peu plus loin, une longue pipe en cuivre et bois avec dent et os de singe en provenance de Yaoundé. Des objets que Hugues Heumen a étudiés durant sa résidence et sur lesquels il va désormais enquêter dans les localités d'origine, en allant questionner notamment chefs de communauté et griots : « Quand nous avons des doutes sur un objet, l'objet ne bouge pas, mais nous le prenons en photo, nous nous rendons dans la localité, nous posons des questions : est-ce que vous avez connaissance de cet objet ? À qui appartenait cet objet ? Comment utiliser cet objet ? Est-ce que vous pensez que l'on pouvait vendre cet objet ? Est-ce que vous pensez que l'on peut faire cadeau de cet objet ? »

Une enquête pour ensuite des demandes de restitutions

Car malgré les sources à disposition, le doute subsiste souvent sur la façon dont ces objets ont été pris. Certains ont pu être volés. Cette contre-enquête devrait ainsi déboucher à terme sur des demandes de restitutions. « Ce qui est sûr, déjà, c'est que tout ce qui est objet rituel, ça ne se négocie pas. Ça doit rentrer parce que [les chefs de communautés, ndlr] ne pensent pas que l'on puisse faire cadeau à quelqu'un de sa brosse à dents ou d'un "slip". Ça ne se fait pas, c'est très personnel. »

Le comité interministériel chargé du rapatriement des biens culturels illégalement exportés, projette justement de se rendre en France pour commencer à travailler sur le sujet.

D'autres partenaires participent à cette contre-enquête, dont les universités d'Abomey-Calavi au Bénin et les musées nationaux du Mali et du Tchad. À l'origine, les concepteurs du projet voulaient comprendre les circonstances dans lesquelles les plus de 3 000 objets, photographies et enregistrements sonores ont été collectés par l'ethnologue Marcel Griaule et son équipe. « Le projet s'est concrétisé en 2020, rappelle Gaëlle Beaujean, responsable des collections Afrique au musée du quai Branly. L'équipe s'est constituée depuis trois ans autour de ça. C'est vrai que ça suit aussi toutes les annonces autour des questions de retour des biens culturels. C'est ce qui nous a réuni aussi : questionner, interroger des acquisitions d'une mission ethnographique, en plus emblématique et bien documentée. Donc je dirais que c'est le premier niveau et ce qui motive l'équipe au départ. »

Redécouverte de savoirs-faire disparus

Mais la contre-enquête va aussi plus loin que la question des restitutions et de la mission ethnographique, elle permet aussi de s'intéresser à l'évolution des savoirs faire traditionnels. « Au fil du temps, j'ai pu m'apercevoir que nos interlocuteurs vont se poser des questions qui vont être sur des savoir-faire techniques, des disparitions - des disparitions plutôt de gestes techniques, explique Gaëlle Beaujean. L'approche diachronique est très importante dans la deuxième phase de questionnement. Et puis, la question de rendre davantage visible des acteurs qui ont été invisibilisés. Là, en fait, notre contre-enquête, c'est d'essayer d'avoir une vision depuis l'Afrique. »

Ce projet, intitulé « Dakar-Djibouti : contre-enquêtes », donnera lieu à une exposition au musée du quai Branly à Paris en avril 2025. Exposition qui pourrait ensuite être visible sur le continent. L'idée est à l'étude.

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