Afrique Centrale: Pourquoi les congolais jouent-ils contre leurs propres intérêts ?

*Lorsqu'on débarque au Congo après une longue absence, on est surpris par un sentiment de normalité qui habite les gens sur des rues pleine immondices, le marché alimentaire sur des surfaces d'une insalubrité indescriptible, les "super marche" réservés aux personnes nanties qui constituent une infime minorité. Bref, le pays est dans une insalubrité physique, politique, économique et environnementale. Tout questionnement sur cette situation est considéré comme une perturbation qu'il faut éliminer.

Au Congo, l'intelligence est devenue le contraire de la pensée. Il me semble que l'homme ou la femme congolaise n'est plus du tout le dépositaire de la conscience humaine. Une fois, j'étais convoqué pour "une séance de travail" par les services de sécurité pour avoir demandé que nous engagions une lutte contre ce qui en nous joue contre nous.

Et cela, au propre comme au figuré. Nous semblons approuver notre propre servitude et de ce fait, nous jouons contre nos propres intérêts. Bref, nous sommes aliénés, et cela se voit sur toutes les couches de la société.

De plus humbles au plus nantis. Il suffit de se mettre dans la rue pour voir défiler des visages renfrognés comme des conducteurs de corbillards. Les gens vivent des situations sur lesquelles ils n'ont aucun control. Ils sont simplement aliénés, c'est-à-dire qu'ils vivent des conditions qui ne leur appartiennent plus (Orwell 1984). Paradoxalement, on lit sur les visages des gens la crainte de perdre leurs moyens d'existence même si c'est une existence confisquée par un conditionnement dont ils ne sont pas responsables. Le thème de l'aliénation se retrouve chez Karl Marx sous l'expression de fétichisme de la marchandise.

Marx était un économiste qui a fait une analyse critique de la société capitaliste naissante du XIXème siècle.

Il était aussi et surtout un philosophe qui a proposé une vision du monde. Karl Marx s'était inspiré de Hegel, un philosophe Allemand pour qui l'histoire est le lieu de déploiement de la raison universelle. Selon Hegel, l'histoire se déroule en suivant une ligne directrice. En d'autres termes, l'histoire se déploie en suivant la raison. Pour Hegel, l'esprit conduit la matière. La matière est organisée et se déploie selon une logique rationnelle. Pour Hegel, nous sommes donc des concepteurs rationnels de notre vie matérielle. Notre conscience rationnelle donne un sens et une direction à notre histoire. Pour comprendre donc la marche de l'histoire du monde, de l'histoire congolaise, il nous suffit simplement d'identifier la direction que prend l'histoire dans notre pays. Hegel proclame ainsi la primauté de la raison, de la conscience, de l'idée sur le vécu ou sur l'histoire.

Marx va se départir de Hegel en arguant que ce n'est pas l'idée, la raison ou la conscience qui guident le monde, mais plutôt un principe matériel ; l'histoire humaine est l'histoire de la lutte des classes. Selon Marx, le conflit est à l'origine de la marche du monde. Le monde avance par le conflit et la compétition. La conscience humaine ne peut avancer que si elle est confrontée à la contradiction. C'est le conflit et non la raison qui est le moteur de l'histoire, pour Karl Marx.

Ce dernier a donc une vision éristique (conflictuelle) de l'histoire. Saint Exupéry disait que l'homme se découvrait lorsqu'il se mesurait devant un obstacle. C'est exactement ce que soutient Karl Marx, pour qu'il y ai un déroulé historique, le conflit doit avoir lieu. L'histoire est orientée par des rapports économiques dans lesquels deux acteurs principaux - les propriétaires et les prolétaires (l'Etat et le peuple Congolais) se confrontent. La lutte entre les deux classes déterminera le devenir du monde. Si le peuple congolais veut avoir un avenir (devenir) radieux, il doit gagner ce combat contre un Etat prédateur qui l'aliène. Il est donc capital de prendre tous les moyens pour vaincre ce molok, ce monstre, ce Léviathan qui écrase le peuple.

J'entends souvent dire que pour que le Congo change, il faut un changement de mentalité de l'homme congolais. Mais, justement la mentalité des Congolais est celle qui provient de leurs conditions matérielles. Nous avons la conscience de nos conditions matérielles. Pour le dire en des termes marxiens, c'est la matière qui détermine l'esprit. Le monde n'est pas la projection d'un esprit spirituel qui, à la manière d'un roi, trônerait autour de lui. La raison, la conscience ou les idées sont générées par le monde et non le contraire. Comme c'est la matière qui guide l'esprit chez Karl Marx, dans l'histoire de la lutte des classes tout changement social est tributaire du changement des niveau de vie matérielle.

C'est le matérialisme dialectique ou la dialectique matérialiste. Et tout ce qui a lieu dans la vie est le produit de cette dialectique. Marx l'exprime dans la phrase qui résume le mieux toute la dialectique matérialiste:

"Ce n'est pas la conscience des hommes qui détermine leur être, mais c'est leur être social qui détermine leur conscience." En d'autre termes, nous avons les idées ou la mentalité de notre situation matérielle, notre conscience est le produit de notre rapport au monde. Un individu qui a toujours eu trois repas par jours possède une mentalité différente de celle d'un individu qui ne mange que tous les deux jours. Pour changer la mentalité des Congolais, il faut changer leurs conditions matérielles. Si la population gagne la bataille contre ceux qui confisquent son devenir (le gouvernement actuel) et si elle met en place un gouvernement dont le but sera de rendre sa prospérité aux Congolais, alors la mentalité va changer.

La mentalité des Congolais se construit à travers des influences qu'ils reçoivent. Nos différences de mentalités sont souvent liées à nos conditions matérielles, à notre rapport concret au monde. Notre situation matérielle fait de nous ce que nous sommes. Notre situation matérielle nous conditionne à penser de telle ou telle manière. Un vécu diffèrent va induire une mentalité différente.

Notre rapport actuel au monde se vit sur un mode d'aliénation, c'est-à-dire que notre conscience est déterminée par des rapports matériels qui nous sont défavorables et que nous ne contrôlons pas. Notre intérêt réside donc dans le control de notre rapport matériel à notre pays. Continuer à vivre comme nous vivons aujourd'hui dans une insalubrité politique, économique et environnementale, c'est travailler contre nos propres intérêts.

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