Congo-Kinshasa: Nouvelles accusations contre des humanitaires dans le scandale des abus sexuels commis pendant l'épidémie d'Ebola

BENI, République démocratique du Congo — « J'en suis à me demander ce que j'aurais pu faire de ma vie »

Des dizaines d'autres femmes se sont manifestées pour accuser des employés de l'Organisation mondiale de la santé et d'autres agences humanitaires d'exploitation sexuelle et d'abus sexuels commis pendant l'épidémie d'Ebola en 2018-2020 en République démocratique du Congo. Ces témoignages laissent penser que les abus sexuels ont été encore plus nombreux que ce que l'on a pu croire initialement.

The New Humanitarian et la Fondation Thomson Reuters ont révélé ce scandale en 2020. Cette enquête a incité l'OMS à désigner une commission indépendante qui, en 2021, a confirmé que des membres du personnel de l'OMS et d'autres agences humanitaires avaient persuadé des femmes d'accepter de travailler en échange de rapports sexuels, pendant l'épidémie d'Ebola.

Les 34 nouvelles accusations ont été faites fin septembre 2022 dans le cadre d'une enquête de suivi sur l'aide apportée à plus d'une centaine de victimes.

Concernant les nouvelles accusations, 26 des 34 femmes concernées ont déclaré que ces abus sexuels avaient conduit à une grossesse, dont 18 impliqueraient des employés de l'OMS.

The New Humanitarian a alerté l'OMS au sujet de ces tout derniers témoignages de septembre. En février, ces femmes ont indiqué qu'elles n'avaient toujours pas été contactées par l'OMS ou par les enquêteurs de la commission indépendante.

Mathilde*, l'une de ces femmes, a déclaré qu'elle avait 15 ans à l'époque des faits et qu'elle était employée dans le cadre de la lutte contre l'épidémie quand son responsable lui a demandé de venir à son hôtel. Quand elle est arrivée, il aurait exigé qu'ils aient des rapports sexuels si elle voulait conserver son emploi. Quelques mois plus tard, elle s'est rendu compte qu'elle était enceinte.

Elle élève à présent, seule, une petite fille de trois ans.

Au cours de la première enquête menée par The New Humanitarian et dans le cadre du suivi publié en mai 2021, nos reporters se sont entretenus avec 73 femmes qui ont dit avoir subi des abus sexuels à Beni et à Butembo, deux centres névralgiques de la lutte contre Ebola. Les 34 femmes qui se sont récemment manifestées habitent à Cantine et à Mangina, des villes situées à l'ouest de Beni, où l'épidémie s'était aussi déclarée.

Quatre femmes ont indiqué qu'elles avaient moins de 18 ans quand elles ont subi des abus sexuels, et la plupart ont dit qu'elles ne les avaient pas signalés parce qu'elles ne savaient pas comment sy prendre ou parce qu'elles ignoraient qu'elles pouvaient se faire aider.

Sur ces 34 femmes, 27 ont déclaré avoir été exploitées sexuellement ou avoir subi des abus sexuels par des hommes qui disaient travailler pour l'OMS ; cinq autres ont accusé des membres du personnel de l'UNICEF, une autre a accusé un employé de World Vision et une dernière a mis en cause un homme qui travaillait pour le Comité international de la Croix-Rouge (CICR).

L'UNICEF a demandé au New Humanitarian d' « encourager ces cinq femmes à [lui] procurer les renseignements nécessaires pour leur apporter un soutien et pour enquêter ».

« Nous prenons de telles accusations très au sérieux et, si [ces femmes] prennent contact avec nous, elles pourront bénéficier de notre programme de soutien aux victimes, qui est inestimable », a déclaré le porte-parole de l'UNICEF, Christopher de Bono. Il a ajouté que l'UNICEF ne s'exprime que sur l'issue des affaires, pas sur le déroulement des enquêtes.

The New Humanitarian demande à toutes les femmes qui témoignent d'abus sexuels si elles seraient d'accord pour que les reporters transmettent leurs coordonnées aux organisations mises en cause.

Gaya Gamhewage a été désignée en 2021 par l'OMS pour diriger les actions de prévention des abus sexuels et de l'exploitation sexuelle. Elle a indiqué en février que l'OMS n'avait pas connaissance d'actions en reconnaissance de paternité entamées contre des employés de l'organisation.

Elle a ajouté que le Bureau des services de contrôle interne (BSCI) continuait d'enquêter sur les accusations liées à l'épidémie d'Ebola entre 2018 et 2020. Dans le cadre de ce travail, une enquête pourrait être diligentée sur les actions en reconnaissance de paternité, et des tests ADN pourraient être réalisés.

Gaya Gamhewage a indiqué que tout nouveau cas relèverait de la compétence du BSCI. Elle a ajouté que d'autres femmes s'étaient manifestées et avaient porté des accusations depuis que la commission indépendante avait publié son rapport faisant état de 83 victimes en septembre 2021. Elle a fait remarquer que l'OMS s'était employée à améliorer ses mécanismes de signalement depuis que le scandale a été révélé.

En février, l'OMS et ses organisations partenaires avaient contacté 115 victimes pour leur proposer des versements ponctuels de 250 dollars, des séances de thérapie, des soins médicaux et un transport pour aller aux différents rendez-vous. Onze d'entre elles ont refusé toute aide.

Pour en savoir plus : 'Trop peu, trop tard' - des victimes d'abus sexuels commis par des employés de l'OMS

Parmi les 34 femmes qui ont récemment témoigné des abus sexuels qu'elles ont subis, l'une d'elles a déclaré qu'elle avait 17 ans quand un homme qui disait travailler pour l'OMS lui a proposé un emploi en échange de relations sexuelles.

« Monsieur, je ne suis encore qu'une enfant », lui aurait-elle répondu, mais il a insisté et l'a amenée dans un hôtel où ils ont eu des rapports sexuels.

« Ma vie s'est tellement assombrie. C'était la première fois que j'allais avec un homme, et c'était un vieil homme. C'était horrible pour moi », a-t-elle confié au New Humanitarian en septembre. Elle a ajouté qu'elle a contracté une maladie vénérienne suite à ces abus sexuels.

Une autre rescapée avait 25 ans à l'époque des faits. Elle avait désespérément besoin d'argent quand elle a accepté une offre d'emploi en échange de rapports sexuels que lui a faite un homme qui disait travailler pour l'OMS. Elle a indiqué que l'homme en question voulait des relations sexuelles régulières et qu'il l'appelait tard le soir.

« Je ne voulais pas gâcher ma vie », a-t-elle ajouté. « La vie est déjà assez dure comme ça, alors j'allais le rejoindre chaque fois qu'il m'appelait ».

Quand elle est tombée enceinte, il a cessé de répondre à ses appels et elle a perdu son emploi de femme de ménage peu après. Elle s'est fait avorter et a des ennuis de santé depuis lors.

Le CICR, dont le nom n'a été mentionné par aucune femme en 2020 mais qui a été évoqué dans le cadre des récentes accusations, a indiqué que des enquêtes sont en cours mais qu'elles n'ont pas été concluantes jusqu'à présent.

World Vision a aussi demandé des renseignements pour pouvoir proposer un soutien aux femmes concernées mais n'évoque pas les cas particuliers, selon sa porte-parole, Mory Cunningham.

L'une des femmes a déclaré qu'elle élève seule la fillette âgée maintenant de trois ans qu'elle a eue avec un homme qui disait être employé par l'OMS et qui avait exigé qu'ils aient des rapports sexuels en échange d'un emploi de femme de ménage quand elle avait 24 ans. Elle a ajouté qu'elle s'était ensuite tournée vers la prostitution pour subvenir aux besoins de sa fille.

« J'en suis à me demander ce que j'aurais pu faire de ma vie, ce que j'aurais fait si je ne me retrouvais pas comme ça, sans le père de mon enfant », a-t-elle déclaré au New Humanitarian en septembre. « Peut-être qu'un jour, nous aurons de l'aide ».

Certains éléments de ce reportage ont été fournis par Paisley Dodds à Londres et Jacob Goldberg à Bangkok. Edité par Andrew Gully.

Rodolphe Mukundi, Independent investigative journalist

Robert Flummerfelt, Independent investigative journalist

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