Ile Maurice: Belal Jhoomun, ingénieur en génie civil - «Aucun défaut structurel ne justifie la démolition du bâtiment Emmanuel Anquetil»

Cet ingénieur en génie civil sait de quoi il parle. Spécialisé dans l'inspection, la maintenance et la réparation d'ouvrages d'art du génie civil, Belal Jhoomun a laissé son empreinte notamment sur la rénovation du Grand Musée de Paris.

En tant que responsable technique dans un bureau d'études français et de passage à Maurice, notre interlocuteur s'interroge sur les raisons justifiant la démolition du bâtiment Emmanuel Anquetil, un immeuble de dix étages construit en béton armé en 1979. L'ingénieur est catégorique : «Ce bâtiment ne présente aucun défaut structurel.» Il va même plus loin en affirmant que le béton ne contient pas d'amiante. «S'il y en a, ce serait dans les cloisons du bâtiment, dans le faux plafond et sous la moquette en raison de la colle utilisée.

C'est de cette rénovation dont nous parlons (NdlR, lors d'une Private Notice Question, Xavier-Luc Duval avait affirmé que l'amiante ne se trouvait pas dans les murs mais dans les cloisons du bâtiment, et que presque tout a déjà été enlevé).» Osman Mahomed, député du Parti travailliste (PTr) mais aussi et surtout ingénieur civil, en avait également parlé dans une de nos précédentes éditions : «Mais nous l'avons déjà fait, par exemple au bureau du Registrar General ! Pourquoi ne pas simplement enlever les cloisons contenant de l'amiante au lieu de démolir tout le bâtiment ?»

%

Belal Jhoomun affirme que le béton du bâtiment Emmanuel Anquetil présente un vieillissement ainsi qu'un changement de couleur. «Il y a une désagrégation. C'est visible.» Que se passe-t-il lorsque le béton s'effrite ? «Cela se produit lorsque l'eau et l'air pénètrent dans le béton et attaquent les barres de fer. C'est là qu'il faut effectuer la maintenance.

Lorsque l'on observe la désagrégation, elle est encore superficielle car entre les barres de fer et le béton, il y a de 3 à 5 cm de béton. Si le béton se désagrège sur 1 cm, la barre de fer n'a pas encore été touchée. Et sans entretien, la désagrégation se poursuit.» D'ajouter qu'il faut appliquer de la phénolphtaléine sur le béton lors de la maintenance pour évaluer sa solidité. «Je vérifie si le béton est encore sain ou s'il présente des pathologies, s'il s'effrite. Si la couleur change, cela indique que le béton est encore solide. S'il n'est pas sain, j'utilise la technique du piquage. C'est la raison pour laquelle il faut effectuer une maintenance tous les cinq ans et non pas voter un budget chaque année.»

L'ingénieur en génie civil estime qu'il faut mettre en place une charte à cet effet et déplore que l'entretien des bâtiments ne fasse pas partie de la culture mauricienne. «Je réitère que ce bâtiment peut encore tenir, mais il a besoin d'un bon entretien. À Maurice, nous n'avons pas de spécialistes dans ce domaine. Ce bâtiment est un diamant. Il suffit de le polir. Malheureusement, nous n'avons pas eu de bons artisans, seulement des façadiers.» En gros, selon lui, il suffit de réaménager le bâtiment et de le rendre plus moderne, par exemple en créant des espaces de bureaux plus modernes.

Sans nuance de gris

Concernant la démolition, l'ingénieur s'interroge sur deux aspects. «Qui a pris cette décision ? Est-ce le directeur technique du ministère des Infrastructures ou est-ce une décision purement politique ? S'il s'agit du directeur technique, il doit assumer ses responsabilités et expliquer pourquoi ce bâtiment n'est plus structurellement sain.» Belal Jhoomun insiste : «Dans un rapport de diagnostic, il devrait y avoir une description du désordre - comme on l'appelle dans le jargon -, démontrant qu'il y a des fissures structurelles. Est-ce le cas ? Y a-t-il un carnet de désordre et un cahier de suivi des désordres montrant que la fissure mesure tant de millimètres ?

Et qu'a-t-on mis en place pour suivre l'évolution de ces désordres ? La personne qui a réalisé l'évaluation, même visuelle, a-t-elle effectué un suivi une fois le désordre détecté ? A-t-elle placé des jauges de déformation ? En 2023, les fissures se sont-elles agrandies ou refermées ?» Selon ses dires, un rapport de diagnostic doit être catégorique, sans nuance ni demi-mesure. «Dans le domaine de l'ingénierie, il n'y a pas de gris. Soit je dis que le bâtiment représente un danger imminent et doit être démoli immédiatement, soit je dis que le bâtiment peut encore tenir et qu'il peut être entretenu. Les trois options énumérées ne tiennent pas la route.»

En réponse à la Private Notice Question du 8 juin, Bobby Hurreeram avait affirmé que les consultants qui avaient travaillé sur le rapport datant d'août 2014 avaient recommandé des tests structuraux destructifs et non destructifs et avaient proposé trois options : une rénovation légère, une rénovation complète ou la démolition du bâtiment.

Lors d'une conférence de presse, Xavier-Luc Duval avait souligné que le rapport de 2014 mentionnait quatre options, notamment une rénovation de base à hauteur de Rs 380 millions (NdlR, rénovation et conversion en un bâtiment écologique), une rénovation haut de gamme à hauteur de Rs 980 millions, la démolition et la reconstruction pour un coût de Rs 1,5 milliard, l'option privilégiée étant la rénovation. Osman Mahomed avait expliqué que cette même année, des travaux de rénovation avaient été entrepris dans ce bâtiment. «Dans le même Budget qui annonce la démolition du bâtiment, nous avons prévu 171,06 millions de roupies pour sa réparation et sa rénovation. Au lieu de procéder à des rénovations au jour le jour, pourquoi ne pas les réaliser de manière structurée ? Est-ce un manque de clairvoyance ?»

L'autre question qui préoccupe l'ingénieur: la méthodologie utilisée pour la démolition. Selon lui, ils n'auront pas d'autre choix que d'utiliser des explosifs. «Ce bâtiment est situé en plein centre de Port-Louis. Comment allons-nous le démolir ? Pour un bâtiment aussi imposant, il faudra utiliser de la dynamite. Tous les ingénieurs dignes de ce nom savent où la placer.»

Cependant, Belal Jhoomun souligne que les risques sont énormes pour les bâtiments avoisinants. En effet, à quelques mètres de là se trouvent le théâtre de PortLouis récemment rénové, le bâtiment du NPF et, en contrebas, le Bureau du Premier ministre construit en pierre... «Normalement, la détonation sera ressentie dans un rayon allant jusqu'à 5 km.

Seuls quatre bâtiments pourront résister.» Il cite par exemple la SBM Tower, la Banque de Maurice, la Telecom Tower et la SICOM Tower. Pourquoi ? «Ils sont construits sur pilotis.» Belal Jhoomun souligne qui plus est que la résonance aura un impact sur le port en raison du fait que nous sommes sur un sol de niveau zéro ou au niveau de la mer. «Les risques de fissures au niveau des maisons sont énormes. Les habitants doivent être informés et ils devront donner leur consentement. Une procédure complète doit être mise en place pour l'utilisation d'explosifs. Cela aura un impact juridique et financier énorme. Tout cela a-t-il été pris en compte ?»

Cependant, explique Belal Jhoomun, il y a une autre technique qui n'existe pas à Maurice et qui est à la fois coûteuse et prend énormément de temps. Il s'agit de l'hydrodémolition, qui consiste à projeter de l'eau à haute pression sur le béton pour le faire éclater. «Il faut 2 000 bars de pression pour faire éclater le béton. C'est comme démolir à la petite cuillère. On commence par enlever la dalle, puis la poutre, et on descend étage par étage. Il faudra au moins quatre jets. Au final, cela coûtera plus cher que la maintenance du bâtiment...»

Belal Jhoomun estime qu'avec un bon entretien tous les cinq ans, on peut prolonger la durée de vie du bâtiment Emmanuel Anquetil.

AllAfrica publie environ 400 articles par jour provenant de plus de 100 organes de presse et plus de 500 autres institutions et particuliers, représentant une diversité de positions sur tous les sujets. Nous publions aussi bien les informations et opinions de l'opposition que celles du gouvernement et leurs porte-paroles. Les pourvoyeurs d'informations, identifiés sur chaque article, gardent l'entière responsabilité éditoriale de leur production. En effet AllAfrica n'a pas le droit de modifier ou de corriger leurs contenus.

Les articles et documents identifiant AllAfrica comme source sont produits ou commandés par AllAfrica. Pour tous vos commentaires ou questions, contactez-nous ici.