Un sourd-muet, un manchot, une mère allaitante et des femmes au rang des victimes... En deux semaines, plus de 20 morts, civils et militaires, sont inscrits au tableau noir des exécutions sommaires dans le Noso. Les défenseurs des droits humains observent que les Principes relatifs à la prévention recommandés par le Conseil Economique et Social dans sa résolution 1989/65 du 24 mai 1989 ne sont pas respectés au Cameroun.
La situation sécuritaire est alarmante à Big Babanki, arrondissement de Tubah dans le département de la Mézam, région du Nord-Ouest, théâtre depuis plus de six ans d'un conflit armé entre les groupes séparatistes et l'armée gouvernementale camerounaise, au même titre que le Sud-Ouest l'autre région anglophone du Cameroun. Six mois après le début de l'année 2023, le bilan des tueries (plus de 16 personnes) et des actes de torture est lourd.
Appelés pour sécuriser les populations du village, des militaires ont interpellé une dizaine de personnes présumés séparatistes. Elles ont été amenées au camp militaire de « Up station », puis ramenées à Babanki et expulsées par les membres de l'armé camerounaise. Un sourd-muet et un homme d'environ 25 ans ont été tués par des soldats de l'armée régulière.
Les militaires n'étaient pas à Babanki pour « un safari »
En plus des tueries d'une dizaine de civils, les soldats sont accusés d'avoir emporté un porc, trois chèvres et deux ruches de miel appartenant à l'une des personnes tuées. Des sources fiables affirment que les soldats infligent des souffrances à la population. Certains militaires n'hésitent à dire qu'ils ne sont pas à Babanki pour « un safari », mais pour rétablir l'ordre par tous les moyens.
Selon une autorité traditionnelle de ce village, entre avril et mai 2023, « des habitants de Big Babanki ont été abattus à bout portant par les combattants séparatistes et personne ne pouvait parler. La population avait peur de réagir. C'est que les gens vivent dans la peur. La liberté d'expression est nulle. » Ce leader local fait savoir que les populations, et surtout les femmes, ont été obligés de payer des taxes et des impôts institués par des groupes sécessionnistes armés suivant les montants fixés par catégorie sociale ou par la nature ou la taille de l'activité et allant de 500 à 100.000 Fcfa.
Face à cette situation, les femmes ont été obligées de réagir. C'est ainsi que les combattants ont attrapé les femmes, les ont battues. Ils ont notamment tiré sur une dame, qui était en route pour acheter du sucre pour faire de la bouillie pour ses enfants. Elle a été blessée à la jambe. Entre avril et mai 2023, les séparatistes armés actifs à Big Babanki sont accusés d'avoir tué pas moins de six civils.
Du côté de la région du Sud-ouest, la journée du dimanche 25 juin dernier a été mouvementée à Kumba, département de Mémé. Deux individus qui n'ont pas encore été identifiés y ont été abattus. Les deux hommes ont été tués lors des incidents distincts. Des informations collectées auprès des sources fiables indiquent que l'un d'eux était un civil sans bras et l'autre un présumé combattant séparatiste capturé par des militaires de l'armée régulière du Cameroun et gardé au camp militaire de Fiango à Kumba. Le combattant séparatiste présumé capturé a été abattu après avoir tenté de s'évader. Selon des informations fiables, le combattant séparatiste présumé a tenté de s'échapper après la mobilisation des soldats suite au décès par balle du civil sans bras lors de l'incident précédent. En fait, des deux personnes tuées, la dépouille du présumé combattant séparatiste n'a pas été montré au public. Quelques jours avant, environ cinq personnes ont été tuées, selon certaines sources, par les forces armées gouvernementales à Ekona, une autre ville du Sud-Ouest. Hilaire Kamga, expert en droit international des droits de l'Homme et membre de Nouveau Droit de l'Homme Cameroun (Ndh-c) est de ceux qui pensent que des cas d'exécutions extrajudiciaires sont monnaie courante dans les régions anglophones du Cameroun où les combattants séparatistes et les militaires ont tué des milliers de civils dans le conflit en cours. Il tente de sensibiliser les familles des victimes et l'opinion publique sur les mesures à prendre en cas d'exécution extrajudiciaire ou des violences contre les civils en zone de conflit armé non international ou international.
Pour lui, les militaires, les gendarmes et les policiers camerounais doivent être édifiés sur le fait que les exécutions extrajudiciaires sont interdites et sanctionnées en droit international. Ce militant déplore que cette situation perdure du fait que l'Etat du Cameroun ne semble pas considéré, qu'en cas de conflit armé, au sein des populations non combattantes, les femmes et les enfants sont considérés comme représentant la partie la plus vulnérable de la population civile par les normes humanitaires et pénales internationales. Avocat au barreau du Cameroun, Me Julio Koagne abonde dans le même sens. Il trouve que l'article 6 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques est constamment violé par des hommes armés au Cameroun. Selon lui, les Principes relatifs à la prévention efficace des exécutions extrajudiciaires, arbitraires et sommaires recommandés par le Conseil Economique et Social dans sa résolution 1989/65 du 24 mai 1989 ne sont pas respectés au Cameroun. Le point 1 de cette résolution de l'Organisation des nations unies(Onu), énonce : « Les exécutions extrajudiciaires, arbitraires et sommaires seront interdites par la législation nationale et les gouvernements feront en sorte que de telles exécutions soient considérées comme des délits punissables en vertu de leur droit pénal et frappées de peines appropriées tenant compte de la gravité du délit. Des circonstances exceptionnelles, notamment l'état de guerre ou la menace de guerre, l'instabilité politique à l'intérieur du pays ou toute autre situation d'urgence publique, ne pourront être invoquées comme justification de ces exécutions.
De telles exécutions ne devront pas avoir lieu, quelles que soient les circonstances, notamment en cas de conflit armé interne, par suite de l'emploi excessif ou illégal de la force par un agent de l'Etat ou toute autre personne agissant à titre officiel ou sur l'instigation ou avec le consentement explicite ou tacite d'une telle personne, et dans les situations où il y a décès pendant la détention préventive. Cette interdiction l'emportera sur les décrets publiés par l'exécutif. » L'Onu recommande, en outre, qu'afin d'empêcher les exécutions extrajudiciaires, arbitraires et sommaires, les pouvoirs publics exerceront un contrôle rigoureux, notamment en veillant strictement au respect de la voie hiérarchique, sur tous les fonctionnaires responsables de l'arrestation, de la détention provisoire et de l'emprisonnement, ainsi que sur tous les fonctionnaires autorisés par la loi à employer la force et à utiliser les armes à feu.
Les familles et les ayants droit des victimes... auront droit à recevoir une indemnisation
Les points 3 et 4 du texte Onusien indiquent : « Les pouvoirs publics proscriront les ordres de supérieurs hiérarchiques ou de services officiels autorisant ou incitant d'autres personnes à procéder à de telles exécutions extrajudiciaires, arbitraires et sommaires. Toute personne a le droit et le devoir de refuser d'exécuter de tels ordres et la formation des responsables de l'application des lois insistera sur les dispositions ci-dessus[...]Une protection efficace sera assurée par des moyens judiciaires ou autres aux personnes et aux groupes qui seront menacés d'une exécution extrajudiciaire, arbitraire ou sommaire, y compris à ceux qui feront l'objet de menaces de mort. »
En droit international, il est prescrit que les pouvoirs publics veilleront à ce que les personnes dont l'enquête aura révélé qu'elles ont participé à des exécutions extrajudiciaires, arbitraires ou sommaires sur tout territoire tombant sous leur juridiction soient traduites en justice. Les pouvoirs publics pourront soit traduire ces personnes en justice, soit favoriser leur extradition vers d'autres pays désireux d'exercer leur juridiction.
Ce principe s'appliquera quels que soient et où que soient les auteurs du crime ou les victimes, quelle que soit leur nationalité et quel que soit le lieu où le crime a été commis. « Sans préjudice du principe 3 ci-dessus, l'ordre donné par un supérieur hiérarchique ou une autorité publique ne peut pas être invoqué pour justifier des exécutions extrajudiciaires, arbitraires ou sommaires. Les supérieurs hiérarchiques, les fonctionnaires ou autres agents de l'Etat pourront répondre des actes commis par des agents de l'Etat placés sous leur autorité s'ils avaient raisonnablement la possibilité de prévenir de tels actes. En aucun cas, y compris en état de guerre, état de siège ou autre état d'urgence, une immunité générale ne pourra exempter de poursuites toute personne présumée impliquée dans des exécutions extrajudiciaires arbitraires ou sommaires[...] Les familles et les ayants droit des victimes d'exécutions extrajudiciaires, arbitraires ou sommaires auront droit à recevoir une indemnisation équitable dans un délai raisonnable », lit-on en parcourant les points 19 et 20 des Principes relatifs à la prévention efficace des exécutions extrajudiciaires, arbitraires et sommaires recommandés par le Conseil Economique et Social dans sa résolution 1989/65.