Quel automobiliste n'a jamais été victime de racket sur les routes dans la sous-région de l'Afrique de l'Ouest ? Une petite corruption qui s'est infiltrée dans la vie quotidienne depuis quelques décennies, s'est confortablement installée et exaspère particulièrement les usagers de la route. Transporteurs et particuliers, tout le monde est concerné et tout le monde dénonce ce fléau. Les plus hautes autorités des pays en ont bien conscience. Et pourtant, cette corruption reste bien ancrée et semble même s'intensifier au fil des ans. Pourquoi ?
Le racket sur les routes, serait-il finalement un phénomène toléré, voire « institutionnalisée », par les pouvoirs publics ?
En effet, dans certains pays de la sous-région, l'Etat n'assure plus du tout, ou à peine, les dotations budgétaires pour le fonctionnement normal des commissariats et des brigades de gendarmerie. Même pour les besoins de renseignement, les budgets ne sont pas disponibles. Dans ces conditions, le travail est particulièrement difficile pour ceux qui représentent la loi dans les rues, alors qu'on attend beaucoup d'eux pour la sécurité de chacun.
Ainsi dépourvus de moyens, policiers et gendarmes décident de s'autofinancer. Pour assurer leur mission, ils font le choix, malheureux, de dépouiller abusivement les automobilistes. L'argent racketté devient ainsi une source de financement « institutionnalisée » pour combler les déficits budgétaires. Bien sûr la pratique est fermement condamnable. De plus, nul ne sait à quoi d'autre sont destinées les sommes collectées et si des individus s'enrichissent par ce biais.
Une certitude, vu l'ampleur du phénomène, les montants mobilisés sont considérables, même si personne ne sait exactement à combien ils s'élèvent.
Conscient de sa défaillance, l'Etat tolérerait cette situation en ne prenant aucune mesure coercitive sérieuse visant à endiguer le phénomène. Ainsi fonctionne une République bananière !
Toutefois, ce n'est plus le cas au Bénin. Au pays des Amazones, tout le monde reconnait aujourd'hui que le racket a quasiment disparu des routes depuis quelques années. Et les Béninois de tous bords en sont ravis. Pour ceux qui arrivent du Togo ou du Nigéria, par exemple, la différence est frappante. On circule désormais à Cotonou sans rencontrer des forces de l'ordre, elles ont pratiquement disparu des routes. Les scènes de policiers ou gendarmes arrêtant les automobilistes pour des infractions imaginaires relèvent désormais du passé.
Comment expliquer ce nouveau contexte au Bénin ces dernières années ?
En fait, depuis l'arrivée du président Patrice Talon en 2016, les autorités béninoises ont simplement décidé de redonner à l'Etat, la capacité d'assurer ses responsabilités régaliennes. Pour ce faire, chaque année, l'Etat dote les commissariats et les brigades de gendarmerie des budgets nécessaires au fonctionnement et aux besoins de renseignement. De facto, cette décision enlève aux forces de l'ordre toute tentative de justification du racket par des besoins de service.
L'Etat assurant ainsi sa part, cela lui laisse la latitude de sévir désormais contre les racketteurs. Et c'est ce qui se fait en pratique. En effet, en cas de racket avéré au Bénin, au-delà de l'agent indélicat mis en cause, son chef hiérarchique fait aussitôt l'objet d'une sanction. Le but étant d'amener la hiérarchie à tenir ses personnels.
Cette stratégie aurait eu un effet immédiat. Le nouveau contexte, désormais assaini, se construit au bénéfice de tout le monde. La population est grandement satisfaite, et les rapports avec les forces de l'ordre s'améliorent considérablement. Policiers et gendarmes eux-mêmes sont ravis, heureux de ne plus être ni indexés par la société ni invectivés sur les routes.
Les transporteurs n'étant plus soumis au racket, les prix des produits n'en sont plus impactés sur les marchés. Quant aux voyageurs, ils ne sont plus harcelés aux frontières. Et les étrangers constatent le changement. Cela favorise le développement du tourisme.
Et pourquoi pas au Togo ?
En effet, quelles sont les raisons qui expliquent que le racket perdure dans les pays voisins du Bénin, à l'exemple du Togo ? Et surtout, pourquoi les autorités togolaises semblent-elles impuissantes au point qu'on en arrive à se demander si ce n'est pas intentionnel ? A qui profite réellement le racket sur les routes, de Lomé à Cinkassé ? Jusqu'où dans la hiérarchie remonte le fruit de cette corruption qui se pratique au vu et au su de tout le monde, y compris de la chaîne de commandement ?
Ce sont autant de questions très simples que les Togolais auraient aimé voir les députés poser au ministre de la Sécurité et au ministre des Transports.
Pourtant, à la demande du gouvernement, ces « représentants du peuple » votent à l'unanimité l'état d'urgence sanitaire contre Covid ou sécuritaire contre le terrorisme. Mais, pas un seul parmi eux ne s'est préoccupé de la souffrance des automobilistes harcelés quotidiennement sur les routes. En cinq ans de législature aucun député ne s'est dressé contre ce fléau, ne fusse qu'en posant ces questions aux ministres concernés. Peut-être ne fallait-il surtout pas embarrasser le gouvernement que l'Assemblée nationale est pourtant supposée contrôler !
En réalité, les Togolais sont abandonnés à eux-mêmes et continuent de souffrir de l'inflation, ce que le racket sur les routes accentue.
D'ailleurs, le Togo est toujours parmi les derniers en matière de perception de la corruption. Selon le rapport publié en 2023 par l'ONG Transparency International, le classement mondial de la perception de la corruption place le Togo au rang 130 sur 180 pays évalués. Un classement dont on ne peut pas être très fier.
A quoi cela sert-il de mettre sur pied une institution telle que la Haute Autorité de Prévention et de Lutte contre la Corruption et les Infractions Assimilées (HAPLUCIA), alors que le racket se fait impunément sous nos yeux.
Contre ce fléau sur les routes, pas besoin d'une institution spécialisée, il est temps de s'inspirer de ce qui se fait chez le voisin.
*Président du Parti des Togolais