Handicapée visuelle après l'obtention de son BAC, Noommam Sonia Tiendrébéogo, âgée de 20 ans, a dû faire face à la résignation, à des envies suicidaires et maints autres obstacles. Mais, armée d'une volonté tenace et d'un moral d'acier, la jeune femme reprendra ses études et connaitra un brillant cursus scolaire...
La forme svelte, le visage dégagé empreint d'insou-ciance, courtoise et rigoureuse sur la propreté, cette benjamine d'une fratrie de 6 enfants dont 4 filles et 2 garçons, impressionne dès le premier contact. Accueillante, sourire aux lèvres et la voix enchantée, elle entame la conversation avec amabilité et l'esprit vif. « Lorsque je l'ai rencontré la première fois, je n'imaginais pas qu'elle avait des problèmes de vue.
C'est après plusieurs contacts que je l'ai réalisé », confie son amie et camarade de classe Viviane Sandwidi. Noommam Sonia Tiendré-béogo, puisque c'est d'elle qu'il s'agit, vit avec un handicap visuel depuis quelques temps. Sa maman, Léa Tiendrébéogo/Ouédraogo révèle, en effet, que sa benjamine est venue au monde avec la vue tout comme ses frères et soeurs. Sonia est née le 14 mai en 1989, à Kombissiri où son père Réné Tiendrébéogo y était affecté.
Après son Certificat d'études primaires (CEP) obtenu à l'école primaire « A » de Kombissiri, elle suivra les cours secondaires au lycée provincial de ladite localité. Elle décroche son Brevet d'études du premier cycle (BEPC) au cours de la session de 2009, au lycée municipal Vénégré de Ouagadougou. En 2012, elle obtient son Baccalauréat série A au lycée mixte Montaigne. Orientée en droit pour celle qui rêvait d'être une magistrate, le sort allait malheureusement en décider autrement.
« Sa vue baissait...»
« 3 mois après avoir décroché son Baccalauréat série A4, elle a commencé à se plaindre de maux d'yeux. Amenée en consultation à l'hôpital, le mal allait cependant persister et même être incurable », explique sa mère, au bord des larmes. Cette dernière raconte que malgré la prise de produits dont un par voie orale, un deuxième à déposer par gouttes dans les yeux et le troisième une pommade, sa « fille chérie » a perdu totalement la vue une semaine après le traitement.
Un épisode de sa vie resté inexplicable, selon Sonia. Je n'avais jamais souffert de maux d'yeux depuis ma naissance, confie-t-elle. « Je me souviens que 3 mois après mon succès au BAC, je voyais comme des insectes, au niveau de l'oeil gauche, dont j'avais de la peine à m'en débarrasser, au réveil », explique Sonia. Avant de dire que sa vision baissait de jour en jour et les images semblaient vaciller. « En moins d'un mois, je passais du statut de personne sans handicap visuel à la cécité et ce, au moment où j'entamais la vie avec espoir, et parée de toutes les promesses », se lamente-t-elle.
Ne pouvant accepter un tel sort, ses géniteurs prendront leur bâton de pèlerins pour faire le tour des grands hôpitaux de Ouagadougou. « Son père de son vivant et moi, nous sommes allés dans des hôpitaux privés de renom de la place. Nous avons fait des radios et le scanner, un séjour de 2 mois à l'hôpital Yalgado. Mais, aucune lueur d'espoir pour que ma fille recouvre la vue. Ce fut un choc pour toute la famille. J'étais désemparée, personne n'arrivait à nous donner une explication qui tienne », déplore sa mère.
Lors de cette pénible situation, elle dit revoir avec tristesse l'image de son époux, son homme, complètement abattu, affligé et en larmes, lorsque nous rentrions de l'hôpital sans aucune guérison pour notre fille. Le moral prend un coup à la suite de ce genre de cas et parfois l'envie de vivre perd tout son sens. « La vie ne vaut rien, car, voici qu'hier j'arrivais à distinguer les couleurs et apprécier la beauté de la vie.
Hier, je me déplaçais sans l'aide de quiconque et je me trouve aujourd'hui à tâter les murs pour me déplacer dans ma propre maison », se désolait Sonia aux dires de sa mère. Cette situation a été difficile pour nous et encore plus pour Sonia qui a tenté de mettre fin à sa vie, ajoute-t-elle. « Un jour elle se frappa la tête contre le mur. J'ai accouru et je l'ai vu gisant au sol inconscient. Ce qui nous amena à passer 10 semaines à l'hôpital Yalgado », relate Mme Tiendrébéogo.
« Au bout de deux mois son état s'est amélioré et nous reçûmes le bon de sortie avec cette ordonnance d'avoir une surveillance rapprochée sur elle et de l'interdire de toute activité intellectuelle », raconte sa mère. Cette interdiction de reprendre les cours dit-elle, durera 3 ans au cours de laquelle la famille allait une nouvelle fois être mise à l'épreuve, car le père de Sonia sera arraché à leur affection. Au fil des jours, des évènements et de la solidarité incessante autour d'elle, un sentiment de résignation s'empara d'elle.
Mais, elle refusa la résignation, et décida de combattre. Ainsi, à l'issue des 3 années sabbatiques, « en 2016, j'ai pris la décision de fuir cette situation de soumission et d'agir. Ainsi, j'ai proposé à ma famille de m'inscrire à l'école des jeunes aveugles de Ouagadougou de l'Union nationale de l'Association burkinabè pour la promotion des aveugles et malvoyants (EJA-UN/ABPAM), afin de m'initier à l'écriture du braille et de l'informatique », explique Sonia.
Noommam Sonia Tiendrébéogo s'inscrira à l'EJA, le 11 novembre 2016, confirme la directrice de l'école, Suzanne Compaoré. « Elle a passé 2 ans pour l'apprentissage du braille (lecture et écriture) et l'utilisation de l'outil informatique », soutient-elle. Sur conseil médical elle devait marquer une pause à l'issue de ces deux années scolaires. De nouveau, 2018 et 2019 seront des années sabbatiques.
Major de promotion
Désireuse de poursuivre des études universitaires, elle exprime son souhait à l'ABPAM qui contacta, à son tour, l'Institut des sciences et technologies (IST) qui offre plusieurs filières de formation. « Nous avons apprécié l'approche et la seule préoccupation que nous avons souligné est que nous n'avons pas cette qualité de livrer les cours en braille, mais l'EJA s'est engagée à assurer le suivi pédagogique de Sonia jusqu'à la fin de ses études au sein de notre institut », souligne le président fondateur de l'IST, Issa Compaoré.
Il s'est agi aussi, d'après lui de renseigner son cas aux étudiants et aux différents enseignants. Ceci dit, l'étudiante pouvait utiliser son portable pour enregistrer les cours. Concernant les devoirs, Suzanne Compaoré explique qu'un transcripteur chargé du suivi de l'étudiante rejoint l'IST pour transcrire (traduire en braille) le devoir afin qu'elle puisse composer dans une autre salle que les étudiants de sa classe avec un quart d'heure en plus sur le temps de la composition.
A l'issue de sa composition, toujours selon la directrice de l'EJA, le même transcripteur retourne à l'IST pour le décodage (reprendre le braille en écriture ordinaire au stylo) de la copie afin que le professeur la corrige. Pour le BTS, qui est un examen organisé par l'université de Bobo-Dioulasso, selon Issa Compaoré, il a fallu des efforts conjugués de plusieurs personnes. Car, il fallait d'abord au préalable notifier son cas et le processus à la coordination des BTS qui a été compréhensible.
Des efforts qui n'ont pas été vains. Car, elle sera classée deuxième sur le plan national à l'issue de l'examen du BTS en gestion de ressources humaines, session 2022. Un succès qui n'étonne pas M. Compaoré vu les résultats de Sonia. En effet, Sonia obtient en première année, 13 de moyenne et sort major de sa promotion. Et en deuxième année, où elle faisait en même temps le BTS, elle est classée deuxième de sa promotion. Curieuse et joviale de nature, selon Viviane Sandwidi, Sonia à l'esprit ouvert et elle assimile assez rapidement.
La tête bien pleine, elle est aussi connue sous le surnom « la guerrière » d'après ses camarades. Car Sonia brave les obstacles et met la barre assez haute pour une personne vivant avec un handicap. Ce qui fait dire au PDG de l'IST, qu'il y a plus de handicap invisible que visible, car, les uns ont tendance à baisser les bras là où, il faut du courage et de l'abnégation. En effet, il faut oser se battre dit-il et Sonia donne un bel exemple en bravant les difficultés. « Ceux qui vivent ce sont ceux qui luttent », conclu-t-il. Dans la même dynamique, Sonia prend conscience du terrain. Dès sa première année, Sonia sollicite un stage au Fonds national pour l'éducation et la recherche (FONER).
Recouvrer la vue
Cette sollicitation était une première au regard de son niveau d'études (première année) et de son handicap, à écouter le responsable de la direction des ressources humaines du FONER, Aminata Bado. « A l'issue de ses 3 mois de stage, l'expérience a été concluante. Et nous avons trouvé une jeune femme qui a de la volonté et la soif d'apprendre », affirme Mme Bado. Même son de cloche pour le chef du service de la gestion du personnel et son maître de stage, Nelson Zongo.
« On essaie de faire une mise en pratique des cours théoriques appris à l'université. Elle a une grande envie d'apprendre et de maîtriser ce qu'elle apprend à l'école », fait remarquer M. Zongo. Pour Sonia, tout ce qui est dit au stage est enregistré et rédigé par la suite en braille. En plus de lui fournir des aptitudes pratiques, le FONER est venu en aide à l'étudiante, lorsque cette dernière a eu des difficultés pour honorer sa scolarité. « En dehors des heures de classe et d'études, Noommam Sonia m'aide à accomplir les tâches ménagères et je suis fier d'elle », laisse entendre sa mère.
Sonia est titulaire du Brevet de technicien supérieur (BTS) en ressources humaines à l'issue d'une soutenance sur le thème : « Les motivations non financières du personnel », et sanctionnée par la note de 18/20, avec la mention très bien. Cette année scolaire 2022-2023, elle est en année de licence à l'IST. Son rêve est de créer une fondation d'aide à l'enfance défavorisée. Pour cela, il va falloir se battre, dit-elle, afin de réunir toutes les conditions.
Elle repousse les limites de son handicap et l'espoir lui est permis de recouvrer sa vue. Car, à la suite d'un diagnostic récent, Mlle Tiendrébéogo pourrait recouvrer la vue grâce à une intervention chirurgicale dans un hôpital à l'étranger. Un soin, notamment qui nécessite une somme considérable que Sonia ne possède pas. La jeune femme compte toutefois sur la providence et des bonnes volontés...