L'Ordre national des médecins du Sénégal a organisé, le samedi 8 juillet, une journée de réflexion à laquelle des magistrats et des avocats ont été invités pour échanger sur les droits et obligations dans leur profession. Le secret médical, qui est un devoir pour le médecin, a été largement abordé.
Le secteur de la santé est marqué, ces dernières années, par des évènements conduisant à la saisine de la Justice ou l'ouverture d'une procédure judiciaire. Dr Boubacar Niang, patron de la clinique où Ousmane Sonko a été hospitalisé, après les évènements du 16 mars 2023, a été arrêté. Avant lui, des médecins ont été placés sous mandat de dépôt, à la suite de drames survenus dans leur lieu de travail. Il y avait l'affaire Astou Sokhna, du nom de cette dame décédée à l'hôpital de Louga, faute d'assistance à l'accouchement et celle des onze bébés morts suite à un incendie à l'hôpital Mame Abdoul Aziz Sy Dabakh de Tivaouane. Face à ces situations, l'Ordre national des médecins du Sénégal a organisé, le samedi 8 juillet à Dakar, une rencontre portant sur le thème : « Médecins : droits et obligations dans l'exercice de leur profession ». L'objectif était de susciter le dialogue entre les acteurs de la santé et ceux de la justice. Le secret médical a été au coeur des échanges.
Selon le Président de l'Ordre national des médecins du Sénégal, Dr Boly Diop, la communication doit être établie entre le médecin et son patient pour éviter qu'il y ait un déséquilibre d'informations entre les deux. Selon lui, le médecin doit pouvoir discuter avec son patient tout le long de sa prise en charge. « Il faut donc une communication avec le patient et l'entourage du patient », souligne-t-il. Mais, précise-t-il : « cette communication se heurte à la limite du secret médical. Tout ce qu'on doit faire, en dehors du patient, doit revêtir le sceau du secret médical. Ce qu'on a vu, su ou entendu pendant la consultation doit rester entre les deux parties ». Il rappelle, à cet effet, qu'il y a des textes qui réglementent les droits des malades et les obligations des médecins. Il s'agit, d'après lui, « des textes supranationaux, des lois de l'éthique et de la déontologie, mais aussi de la charte du malade ».
Avocat au barreau de Dakar, Me Bamba Cissé a été catégorique sur le sujet relatif au secret médical. D'après la robe noire, seule la loi peut permettre à un médecin de dénoncer des faits. Sinon, rien ne l'oblige à le faire. « Vous recevez parfois des réquisitions des enquêteurs qui ne viennent pas d'un juge d'instruction. Ils n'ont pas le droit de le faire, parce que le Code de procédure pénale ne le permet pas. Ce n'est que devant le juge que vous pouvez lever ce secret médical pour participer à la manifestation de la vérité.
Le médecin ne peut lever le secret médical que quand la loi le lui permet. Même le parquet ne peut pas vous instruire à aller vers la levée du secret professionnel », renseigne M. Cissé. Ibrahima Ndoye, avocat général, estime que le procureur, les officiers de police judiciaire et le juge d'instruction sont habilités à saisir les médecins, à les inviter à contribuer à l'oeuvre de Justice, dans la mesure où il peut arriver que des questions techniques qui dépassent leurs compétences se posent et dont les résultats impacteront nécessairement sur l'issue de la procédure pénale. D'après lui, quand le médecin fait face à ce genre d'acte, il est obligé d'agir. À défaut, il peut tomber sous la sanction de l'inexécution ou de l'exécution défectueuse des réquisitions.
Venu représenter le Ministre de la Santé et de l'Action sociale à cette rencontre, Dr Abibou Ndiaye, Secrétaire général de ce département, a rappelé que le métier de la médecine demeure une référence en matière d'humanisme et nécessite des qualités exceptionnelles et un code de conduite remarquable. C'est pourquoi, informe-t-il, « l'État a engagé des réformes consolidantes comme le renforcement du capital humain et le relèvement du plateau médical, l'appui à la recherche et l'augmentation des spécialisations entre autres ». À son avis, le succès du secteur de la santé requiert une mobilisation permanente. Et, relève-t-il, pour s'en réjouir, « l'élan de solidarité et les efforts constants des médecins qui exercent leur métier avec un dévouement total n'est plus à démontrer ».
Les abus exercés sur les médecins dénoncés
La manière dont les médecins sont souvent arrêtés n'est pas conforme à la loi. C'est le constat fait par Bamba Cissé lors de la journée de l'Ordre national des médecins du Sénégal. Selon lui, parfois, les arrestations des médecins se font en mode fourre-tout. C'est-à-dire, explique-t-il, « dès qu'il y a une erreur médicale qui est imputable à une personne, ou parfois n'est même pas imputable à quelqu'un, on arrête tout le monde ». Étayant ses propos, il évoque l'affaire du bébé calciné en 2021 à la clinique des Madeleines où même le propriétaire de la clinique a été arrêté et mis en détention pour un temps avant de bénéficier d'une liberté provisoire. Cet acte, selon l'avocat, Me Bamba Cissé, est contraire aux principes de la responsabilité pénale qui est individuelle.
« Pour que le médecin puisse être mis en cause, il faut qu'il ait posé un acte. Une simple abstention ne peut pas être considérée comme une infraction pénale, sauf dans le cas de la non-assistance à personne en danger », explique-t-il. Avant de préciser : « on ne peut pas, parce qu'il y a une négligence imputée à un médecin, arrêter le directeur de l'hôpital. Ce n'est pas possible. Ce sont des abus qui se passent et ce sont des choses que l'ordre des médecins doit prendre en charge pour contester de telles choses qui ne sont pas admissibles en droit. Vous ne devez pas être dans la médecine défensive, mais dans une médecine protégée ». L'avocat recommande ainsi de prendre en charge ces problèmes qui exposent le médecin à des poursuites pénales, même pour une erreur médicale.
Mouhamed M. Soumah, Pr titulaire de la Chaire de médecine légale
« 80% des certificats médicaux qui vont en justice sont délivrés à la demande des patients »
La plupart des certificats médicaux qui vont en justice sont délivrés à la demande des patients. La révélation est faite par le Pr Mouhamed Soumah, Professeur titulaire de la chaire de médecine légale à l'Université Cheikh Anta Diop de Dakar (Ucad). « 80% des certificats médicaux que nous délivrons dans la consultation médico-judiciaire ont été à la demande des patients. Seuls 20% sont délivrés sur la base d'une réquisition. Ce qui n'est pas normal. Dans un pays organisé, c'est le contraire qui devait se produire », a-t-il expliqué. Profitant de la tribune qui lui est offerte, il a invité les hommes du métier à réfléchir à la finalité du certificat médical qu'il délivre. D'après lui, le certificat médical ne doit en aucun cas être banalisé. Mieux, il a ajouté qu'aucun certificat médical rédigé n'est anodin. D'autant plus qu'il engage, en toute circonstance, la responsabilité du médecin.