Le 30 juin 2023, le Conseil de sécurité a voté à l'unanimité la résolution 2690 qui met fin au mandat de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali (Minusma).
Deux semaines plus tôt, le Mali avait demandé un retrait sans délai de la mission, mais Bamako et l'ONU sont finalement tombés d'accord sur un délai de 6 mois, entre le 1er juillet et le 31 décembre. Cette décision politique suscite des questions quant aux objectifs visés par le gouvernement malien et sa mise en oeuvre risque d'avoir d'importantes implications sur le plan sécuritaire.
Une mission coûteuse et meurtrière
La Minusma dispose d'un budget annuel de 1,2 milliard de dollars et des effectifs de 15000 membres. Elle demeure la mission de maintien de la paix la plus coûteuse et la plus meurtrière au monde avec 174 morts par le fait d'actes hostiles.
Créée en 2013 au moment où l'État malien était au bord de l'effondrement face aux assauts des groupes terroristes et des rebelles touareg, la Minusma avait pour mandat d'appuyer la transition politique et la mise en oeuvre de l'Accord pour la paix et la réconciliation au Mali, et de protéger les civils. À travers la résolution 2391 (2017), la mission avait aussi ajouté à son mandat l'appui logistique à la Force conjointe du G5 Sahel, une force militaire lancée en 2017 par le Burkina Faso, le Mali, la Mauritanie, le Niger et le Tchad pour combattre le terrorisme et le crime organisé. Mais après le retrait du Mali de cette force, la Minusma était amenée à sous-traiter avec des compagnies privées, notamment pour livrer des consommables de survie aux troupes de la Force conjointe qui opèrent dans les autres pays du G5 Sahel. Ce qui ne sera plus possible avec la fin de la mission onusienne.
Nous travaillons principalement sur les questions politiques, de paix et de sécurité en Afrique. Le but de ce présent article est de discuter des enjeux et des implications du retrait de la Minusma.
Désaccord sur fond de résultats mitigés
Avant les coups d'État au Mali en 2020 et 2021, la coopération sécuritaire entre l'armée malienne et les forces internationales était chapeautée par l'opération française Barkhane et la Minusma. Les relations entre Bamako et la Minusma ont commencé à se détériorer après l'arrivée des militaires au pouvoir au Mali. La demande de Bamako de mettre fin à la mission n'a pas été une surprise, parce qu'elle est l'aboutissement d'une période de dissension entre le pouvoir de transition et la mission des Nations Unies. Cette crise de confiance s'inscrit dans une perspective plus large de désaccord entre le Mali et ses partenaires régionaux et internationaux, en ce qui concerne la sécurisation du pays et la résolution des conflits politico-militaires du nord.
L'absence de résultats sécuritaires tangibles après plusieurs années de présence militaire au Mali - opération française Barkhane, Task Force Takuba, Force conjointe du G5 Sahel, mission européenne de conseil et de formation des unités opérationnelles de l'armée malienne - a suscité de vives critiques au niveau national. Cette inefficacité a été citée par les autorités de transition comme la principale raison de leur changement de stratégie. Le Mali a ensuite fait le choix de se tourner vers la Russie pour combattre l'insécurité. Ce rapprochement avec Moscou semble se réaliser au détriment des rapports entre Bamako et les Occidentaux, dans un contexte marqué par la guerre en Ukraine.
Tout en coopérant avec la Russie, le gouvernement malien dresse un constat d'échec de la Minusma qu'il accuse de faire désormais partie du problème au Mali. Certes, la mission de l'ONU présente beaucoup de lacunes. Son mandat et sa stratégie sont inadaptés à la situation malienne, puisque les défis sécuritaires ne se limitent pas à l'application de l'Accord pour la paix et la réconciliation, mais touchent aussi les groupes armés terroristes, les conflits intercommunautaires et le crime organisé, qui causent de nombreuses pertes en vies humaines. Or la lutte contre le terrorisme, qui est pourtant la plus grande menace à la paix et à la vie des populations au Mali et au Sahel, ne fait pas partie du mandat de la Minusma.
Le retrait des acteurs internationaux du Mali entamé depuis 2022 a été un tournant majeur dans la stabilisation de ce pays. Les conditions sécuritaires continuent de se détériorer. Par exemple, dans la zone de la frontière Liptako-Gourma entre le Burkina Faso, le Mali et le Niger, les groupes extrémistes violents continuent d'exploiter le vide sécuritaire lié au départ de Barkhane.
Les enjeux présents et à venir
Certes, la Minusma n'a pas été très efficace dans la protection des civils. L'année 2020 a été l'année la plus sanglante pour les populations civiles au Mali. Mais, la Minusma a une division des droits de l'homme qui a joué un rôle important dans la supervision et la conduite d'enquêtes sur les violations des droits humains et le droit international humanitaire. D'ailleurs, les nombreuses enquêtes et publications menées à ce sujet ont été l'une des principales pommes de discorde avec le pouvoir de transition. L'état des droits de l'homme et le droit international humanitaire risquent de se dégrader davantage avec la fin de la Minusma.
Au niveau politique, le Mali se dirige vers une élection présidentielle déterminante en février 2024 qui devrait déboucher sur un retour à l'ordre constitutionnel. En raison de l'instabilité, ce sera un véritable défi d'organiser une élection sur tout le territoire national.
Les défis
La stabilité du Mali, qui abrite le plus grand nombre de groupes armés dans la région - pas moins de 60 - demeure essentielle pour les populations maliennes, mais aussi pour la paix et la sécurité internationales. Le pouvoir de transition a beau être déterminé à changer de partenariat dans le but de mieux combattre les groupes terroristes et criminels, les résultats risquent de ne pas suivre, parce que les défis de sécurité sont complexes, et il n'y a pas une amélioration significative ni dans les ressources, ni dans les stratégies et les mécanismes de gouvernance mobilisés.
Avec la fin de la Minusma et de l'aide logistique que celle-ci fournit à la Force conjointe du G5 Sahel, les autres pays de la région vont devenir plus vulnérables aux groupes terroristes. Compte tenu de sa position centrale au Sahel et du caractère transnational des défis de sécurité, il sera difficile de combattre l'insécurité sans le Mali, tout comme il sera laborieux, pour Bamako, d'assurer la stabilité du pays sans une assistance internationale robuste et sans coopérer avec les pays voisins tels que le Burkina Faso et le Niger
Certes, le rapprochement avec Moscou a permis à l'armée malienne d'acquérir de nouveaux équipements - appareils de surveillance, avions de chasse, hélicoptères d'attaque, etc. Mais la persistance de la guerre en Ukraine et le récent conflit entre Moscou et Evgueni Prigojine, le chef du groupe paramilitaire Wagner, risquent de compromettre la pérennité du soutien en moyens militaires, mais aussi en combattants et instructeurs russes dont l'armée malienne a besoin pour lutter contre l'insécurité et restaurer l'autorité de l'État sur l'ensemble du territoire national.
Un autre défi majeur que le Mali devra relever après le retrait de la Minsuma est celui de la réconciliation nationale. Le chaos créé par les tensions intercommunautaires au nord et dans le centre du pays a affaibli l'État au cours de la dernière décennie. La présence de la Minusma et des forces françaises de Barkhane avait réduit les risques d'affrontements entre l'armée malienne et les groupes armés du nord réunis au sein de la Coordination des mouvements de l'Azawad (CMA).
Le vide laissé par ces forces internationales risque de relancer les hostilités, alors que la mise en oeuvre de l'Accord pour la paix et la réconciliation piétine. Pour se montrer dignes des ambitions de souveraineté qu'elles affichent depuis leur arrivée au pouvoir, les autorités de la transition devraient relancer le processus de paix inter-malien et résoudre le problème touareg en même temps qu'elles luttent contre les organisations terroristes. La volonté affichée des militaires de réussir là où les forces internationales ont échoué suscite un élan d'espoir, mais constitue en même temps un défi.
Moda Dieng, Professor of Conflict Studies, School of Conflict Studies, Université Saint-Paul / Saint Paul University
Amadou Ghouenzen Mfondi, Chargé de cours et chercheur en études des conflits, Université Saint-Paul / Saint Paul University