William Ruto est-il un président en sursis ? La question mérite d'être posée. Car, moins d'un an après son arrivée au pouvoir, le nouveau président kényan est confronté à une grave crise sociale qui perdure depuis plusieurs mois et qui n'est pas loin de fragiliser son régime.
En effet, pas plus tard que le 12 juillet dernier, six personnes ont été tuées dans des manifestations contre la vie chère dans le pays. Des manifestations qui se voulaient pourtant pacifiques pour dénoncer des hausses d'impôts controversées, mais qui ont été finalement réprimées dans le sang, en raison de leur interdiction par les autorités de Nairobi.
En fin de semaine dernière déjà, la tension était montée de plusieurs crans entre manifestants et forces de l'ordre, suite à l'annonce, par le gouvernement, de l'instauration de nouvelles taxes et mesures dont une impopulaire retenue sur les salaires pour le financement d'un programme de logement à bas prix.
La question que l'on peut se poser, est de savoir jusqu'où ira l'escalade voire le bras de fer entre le pouvoir et les manifestants qui répondent, depuis près de quatre mois maintenant, régulièrement à l'appel du leader de l'opposition, Raila Odinga.
L'engagement du vieil opposant, tient plus de l'opportunisme politique
Ce vétéran de la scène politique kényane qui n'a pas fini de ruminer sa défaite à la dernière présidentielle et qui n'est pas loin de faire de la récupération politique, dans une crise qui, en temps normal, relèverait des revendications de partenaires sociaux comme la société civile ou les syndicats.
Mais cela est de bonne guerre. C'est « à la guerre comme à la guerre », comme dit le dicton bien connu. Même si tout porte à croire que l'engagement du vieil opposant, tient plus de l'opportunisme politique et de la volonté de tailler des croupières au chef de l'Etat, qu'à porter véritablement le combat pour l'amélioration des conditions de vie de ses compatriotes.
Des Kényans qui, soit dit en passant, doivent leur sort peu enviable d'aujourd'hui non seulement à la hausse vertigineuse des prix qui bat des records depuis le mois de février, mais aussi à la chute brutale de la monnaie locale, le shilling, par rapport au dollar américain ainsi qu'à la rude sécheresse qui a entraîné une grande famine dans le pays.
De quoi mettre dans l'embarras si ce n'est dos au mur, tout président nouvellement élu, et encore plus William Ruto, le candidat autoproclamé du bas peuple et des « débrouillards » qui promettait monts et merveilles à ses compatriotes avant d'être confronté aux dures réalités de la gestion du pouvoir.
Et ce, suite à sa victoire à une présidentielle qu'il aura remportée d'une courte tête face à un opposant historique qui croyait son heure enfin venue.
Et il y a des raisons de croire que c'est cette sourde rivalité entre les deux Hommes, sur fond d'un pernicieux contentieux électoral dont l'un, le président, semble vouloir tourner définitivement la page alors que son challenger non, qui n'en finit pas de crisper l'atmosphère sociopolitique au Kenya.
Les autorités de Nairobi gagneraient à revoir leur copie
Mais si l'on comprend la fermeté du gouvernement et sa volonté de ne pas se laisser conter fleurette, on se demande si la répression systématique des manifestations, est la voie la mieux indiquée pour faire entendre raison à des populations affamées qui tirent déjà le diable de la misère par la queue en raison de la forte inflation qui frappe le pays depuis plusieurs mois.
Et pour ne pas améliorer leur situation, ces mêmes populations se voient encore imposer de nouvelles taxes au moment où elles étaient pourtant en droit d'attendre des mesures d'accompagnement de la part du gouvernement pour soulager leurs peines. C'est dire si les autorités de Nairobi gagneraient à revoir leur copie.
Et le sentiment de toute puissance ne doit pas leur faire perdre de vue qu'avec cette crise sociale, elles marchent aussi sur des oeufs. Car, de Tunis à Alger en passant par Le Caire et Khartoum, l'histoire est pleine d'exemples où les émeutes de la faim ont fini par emporter bien des régimes.
Et comme « ventre creux n'a point d'oreilles », comme le dit l'adage, rien ne dit que si le problème perdure sans perspectives d'amélioration de la situation à court terme, le locataire du State House ne se fera pas, à la longue, du mouron pour son mandat. Surtout si les manifestants devaient se radicaliser ou si leurs revendications devaient aller plus loin.
C'est une éventualité à ne pas écarter d'autant plus que certaines Organisations non gouvernementales commencent à donner de la voix pour dénoncer la violente répression policière.
De là à créer la confusion pour mettre la question de son départ du pouvoir dans la balance, il y a un pas que Raila Odinga et ses partisans pourraient vite franchir. Or, le Kenya n'a pas besoin de ça.