Afrique: Manière de voir - L'autopsie de la fonction publique au scalpel

Chapeau bas à Asha Burrenchobay pour sa franchise, ses principes et son honnêteté intellectuelle. Rarement avait-on entendu de telles vérités dans la bouche d'une responsable de la fonction publique, dans son entretien canon par Touria Prayag paru dans l'express.

Avec une sérénité déconcertante, elle a lancé des boulets de canon en direction d'une des plus importantes institutions de l'État. On se doutait de tout ce qui pouvait s'y passer en l'absence de méritocratie ; mais grâce à ses mots dosés et voulus, elle nous permet de pénétrer au coeur-même des maux dont notre pays souffre.

Comment s'en étonner quand on sait qu'elle est la digne fille de feu sir Dayanand Burrenchobay, plus connu sous le sobriquet «Baron», l'un des plus hauts serviteurs de l'État, respecté de tous ? On lui aurait même fait payer le fait qu'elle soit la fille du «Baron» que nous avons d'ailleurs connu de son vivant. Elle dissèque à coups de bistouri ce que devient un grand corps étatique. Aussi, nous nous permettons aujourd'hui de nous inspirer de l'essentiel de ses déclarations «choc» au moment où elle décide de démissionner et de ne pas rempiler pour une nouvelle année. De toute façon, la direction des ressources humaines l'avait harcelée pour savoir quand elle allait se retirer. Probablement parce qu'on avait déjà promis son fauteuil à un chatwa impatient ?

Hautement politisée

Que les politiciens de tout temps aient essayé de faire pression sur certains hauts gradés de la fonction publique ne date pas d'aujourd'hui. Mais jamais auparavant n'avait-on ignoré à ce point la méritocratie au profit des bootlickers ; promu le népotisme (membres de la famille ou de l'entourage immédiat), l'appartenance communale ; subi ouvertement des lobbies ethniques. Que des allégations d'Asha Burrenchobay ? Allons donc... Pourquoi jusqu'à présent, à notre connaissance, on n'a pas osé démentir les faits, oui, les faits, qu'elle dénonce à coups de grandes louches ?

Il n'est un secret pour personne que la fonction publique, surtout les hauts placés, ne sont que des hommes. Le machisme absolu y règne en maître. Asha Burrenchobay, après avoir fait les études requises, rêve d'être la première femme secrétaire du cabinet et d'être nommée, avec le temps et l'expérience requise, cheffe de la fonction publique. Tout en tenant compte naturellement des échelons à gravir et de voir reconnaître sa seniority. Se mettant à l'ouvrage, elle découvre rapidement que la politique y est omniprésente, et conditionne avancements et promotions. Et ce, au vu et au su de tout le monde.

La fille du «Baron» ? Pas question. Aussi, comme cela se passe même dans d'autres secteurs, un junior, ou plutôt quelques juniors passent au-dessus d'elle. Elle cite même des noms. Cette omniprésence fait obstacle à toute promotion. On désespère de la voir partir, et c'est la raison pour laquelle elle renonce à rempiler. Trop, c'est trop. Elle passe pour une terreur. En 2014, certains ministres refusent de travailler avec elle. Surprise, sir Anerood Jugnauth, quitte à faire des mécontents, la prend à son ministère. Il ne se plaindra jamais de son choix. Avec le changement qui s'opère à la tête de l'État en 2019, elle aurait dû être automatiquement la seule Senior Chief Executive. On essaie au contraire de lui trouver une voie de garage. La méritocratie à la poubelle, les lobbies opérant quasi-ouvertement, et tout se déroule dans le plus grand secret.

La fonction publique est dès lors politisée à outrance. Ce qu'on décidait plutôt discrètement dans le passé se déroule au grand jour. L'opération de faire la courte échelle la victimise à nouveau, puisqu'elle est bypassed, court-circuitée par des juniors, selon des critères devenus monnaie courante aujourd'hui. Récompenses pour services rendus (lesquels ?), appartenance religieuse ou communale, influence des éternelles sociétés culturelles si susceptibles, et surtout le népotisme s'étalent.

Détérioration

Ce n'est pas seulement elle qu'on va dégrader, mais toute la fonction publique mise au service du politique. Combien de temps va-t-elle avaler pas des couleuvres, mais des boas ? Elle n'est même plus frustrée et décide de jeter l'éponge. Sans une femme de cet acabit, aux principes solides, c'est toute la fonction publique qui descend sur le plan qualitatif. Auparavant, beaucoup de jeunes aspiraient à intégrer la fonction publique, qui offre une garantie d'emploi, une progression lente mais progressive, une assurance pour ses vieux jours. À l'époque, on tenait compte des compétences ; mais aujourd'hui, cette carrière n'attire plus les jeunes. Elle n'attire plus les brillants jeunes cerveaux actuels, mais privilégie les lèche-bottes avec promotions assurées.

C'est ce qu'Asha Burrenchobay n'hésite pas à qualifier de «hanky panky dealings» ! Ce sont des termes forts qui claquent. Faites votre choix pour les traduire : entourloupes, manigances, embrouilles, tripotage, galipettes, cochonneries... Notre humour habituel du vendredi aurait tendance à choisir «zizi-panpan». Elle renonce et dénonce une atmosphère nauséeuse de calomnie flagrante, de dénigrement systématique...

Dans le passé, les secrétaires permanents étaient respectés, voire écoutés. De nos jours, ils sont devenus de simples exécutants paillassons aux ordres des principaux conseillers. Ce qui est hilarant avec cette nouvelle donne, c'est qu'au sein de ce nouvel essaim de conseillers qui bourdonnent et butinent sans arrêt, chacun essaie de tirer la couverture à soi. Dans certains cas, on aurait découvert que certains n'ont pas les qualifications requises pour les postes qu'ils occupent déjà. Branle-bas de combat à la Indiana Jones à la recherche de diplômes disparus. Probablement des ragots de jaloux qui aimeraient bien prendre leur place.

Dans le cas d'Asha Burrenchobay, les choses semblent limpides et se résument à ses propres paroles : «conscience not for sale». Elle est trop rigide, elle ne veut pas changer de principes et réplique quand il le faut sur le plan professionnel, «no nonsense». Comment se fait-il alors qu'on n'ait pas pu se débarrasser d'elle plus tôt ? Le politique ne prend pas de gants quand il faut écarter un esprit trop libre, trop indépendant, trop maverick. C'est vrai que son départ prématuré fait perdre une fonctionnaire de haute volée, ayant acquis pendant des années une très grande expérience dans de nombreux domaines, tels que le social, l'économique, les données politiques...

Dans son entretien, elle finira par révéler sa botte secrète, soufflée par son père. Ce dernier, de son vivant, lui a toujours conseillé de ne jamais jeter la matière écrite, car les paroles s'envolent, selon l'expression consacrée. Forte de ce sage conseil, elle n'a pas accumulé des feuilles de papier, mais plutôt des archives. Qui dit archives, dit preuves irréfutables (pensez à Donald Trump et aux documents classés top secret retrouvés dans sa villa et même dans ses toilettes). Puisqu'elles sont datées, signées, estampillées. Des faits et des informations qui doivent peser lourd dans le fait qu'on ait évité de se débarrasser d'elle pour des peccadilles.

N'allons pas jusqu'aux secrets d'État, mais cela donne à penser aux dysfonctionnements ou encore à l'amateurisme de certains juniors récompensés pour les raisons mentionnées plus haut. C'est facile de jeter de la boue sur quelqu'un, mais encore faut-il détenir des preuves solides et matérielles sur le marigot que l'on dénonce.

En résumé, Asha Burrenchobay refuse d'être un simple pion sur l'échiquier dont elle connaît le mode d'emploi. Cet entretien est un condensé de tout ce qui grippe la machine administrative. Aux mêmes maux, pas de remèdes. Elle a déclenché un tsunami qui reste malheureusement sans effet, et il faut parier que ses paroles tranchantes et directes n'auront aucun impact immédiat. Dilo lor bred sonz !

Chapeau donc à cette dame qui est venue réveiller un secteur endormi, quadrillé par la politique. Sa franchise est une qualité rare, en voie de disparition. Un grand merci surtout de la part de tous ceux et celles qui, pour conserver leur pié douri, doivent se taire. Se taire est peut-être devenu une vertu dans notre société, où malheureusement les gens éprouvent une certaine «peur» à s'exprimer ouvertement, surtout sur leur lieu de travail, de peur d'en subir les conséquences. Boomerang ?

Alor pez néné boir dilwil !

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