Autorisé à revenir à la barre, huit mois après sa première comparution, l'ancien membre de la garde présidentielle Marcel Guilavogui, soupçonné d'avoir été un acteur de premier plan dans le massacre du stade de Conakry, en Guinée, a accablé l'ancien chef de l'État Moussa Dadis Camara mettant pour la première fois en avant le rôle de sa « garde parallèle ».
Lundi 10 juillet, au début de l'audience du procès du massacre du 28 Septembre, un bras se lève dans le box des accusés. C'est celui de Marcel Guilavogui, neveu et ancien garde du corps de Moussa Dadis Camara, l'ancien chef de la junte militaire au pouvoir à l'époque. L'homme est en détention depuis 13 ans. Il a été reconnu formellement par plusieurs témoins au stade, en train de tirer sur la foule et de rouer de coups certains leaders politiques lors de la répression sanglante d'un meeting de l'opposition. Il a toujours nié avoir été sur place. En octobre 2022, entendu une première fois par la Cour, il affirme même qu'il était au fond de son lit le 28 septembre 2009, convalescent, après avoir été victime d'un accident de la route. Cette fois-ci, affirme-il, il veut « dire la vérité sur cet évènement du 28 Septembre » et il reconnaît que jusqu'ici il a gardé « le silence ».
Après un mois et demi de suspension, et alors que le procès du massacre survenu en 2009 à Conakry, la capitale de la Guinée, est censé reprendre avec la comparution des parties civiles, le président du tribunal relance le débat, interrogeant tout à tour différents acteurs.
Le procureur et les parties civiles se prononcent en faveur d'une nouvelle audition de l'accusé. Du côté de la défense, plus divisée que jamais, les avis sont partagés. Les avocats d'Aboubacar Diakité, dit « Toumba », aide de camp de Camara au moment des faits, sont pour le retour de Guilavogui à la barre. « Quand l'heure de la vérité sonne il faut la faire exploser », clame avec emphase Me Paul Yomba Kourouma. Les conseils de Dadis Camara s'y opposent farouchement, alors que ces deux dernières semaines, des articles de presse ont fait état de tensions entre l'ex-chef d'État et son ancien protégé. Me Pépé Antoine Lamah argumente, en s'adressant au président : « Si vous décidez d'entendre Marcel, ce qui pour tous serait catastrophique, ayez à l'idée que d'autres accusés aussi voudront prendre la parole. Dans ces conditions, on va tourner en rond et finalement ce procès sera pour l'éternité. »
Le président tranche. L'accusé s'avance dans son élégant boubou bleu turquoise.
La « garde parallèle » de Dadis Camara
Guilavogui développe un long propos liminaire qui va durer jusqu'au lendemain. Il s'appuie sur des notes, improvise et parfois lit tout simplement ce qui est écrit. Il présente ses excuses « au peuple de Guinée », « pour [son] silence dont certains ont profité, affirme-t-il, pour [le] peindre en noir ». Il explique avoir été victime d'intimidations pour l'empêcher de « relater les faits réels ». Ses propos sont décousus, mais à la surprise générale, il met en cause Dadis Camara.
Selon lui, c'est bien « Dadis » qui a « planifié » et « ordonné » les tueries qui ont fait plus de 150 morts. Le massacre aurait été perpétré par sa « garde parallèle ». Et il en donne une définition : « Ce sont des hommes qui sont des militaires ou des civils qu'une autorité met en place pour ses propres missions secrètes, pour exercer son pouvoir, en se camouflant. Cette garde parallèle ne peut pas conjuguer le même verbe que la vraie garde, celle connue du peuple. » Et il en nomme les principaux cadres : Joseph Makambo, Gono Sangaré, Beugré... Ces personnalités avaient déjà été citées par certains accusés pour leur participation à la répression sanglante. Mais, tandis que l'instruction a mis en évidence le rôle de premier plan joué par Guilavogui, soupçonné d'avoir pris la tête d'un groupe de bérets rouges pour se rendre au stade, le prévenu tente de faire oublier cette image. Il raconte avoir été écarté du premier cercle du pouvoir, quelques mois seulement après le coup d'État qui a permis à Dadis Camara de s'emparer de la présidence. Le chef de l'État se serait mis à travailler exclusivement « avec sa garde parallèle ».
Le matin du 28 septembre 2009, il se rend au salon du président, dit-il, parce que cela fait plusieurs jours qu'il ne l'a pas vu. « J'ai entendu un grand cri de colère incontrôlé, c'était celui de Moussa Dadis Camara. » « Entouré de sa nouvelle force, sa garde parallèle », il s'adresse à elle en ces termes, alors que l'opposition a prévu le jour-même un rassemblement pour dénoncer la possible candidature du chef de la transition à la présidentielle : « Qu'est-ce que vous faites ici, il faut les mater ! Ces leaders-là sont qui pour ne pas obéir à l'autorité de l'État ? »
Le garde du corps du président aurait alors préféré rentrer chez lui. « Je me suis demandé, c'est cet homme-là que l'on a choisi pour être président ? J'étais déçu », assure Guilavogui.
« L'homme qui est devant vous est un sauveur ! »
Et puis tout s'enchaîne. Guilavogui raconte qu'il aperçoit le cortège de Dadis Camara quitter « la présidence pour la ville », puis qu'il apprend que Toumba est sorti, lui aussi. Il décide de se rendre au stade. Là-bas, il identifie « le commandant Toumba, le colonel Tiegboro, Beugré et son groupe ». « Même Makambo, je l'ai reconnu à cause de sa petite hache qu'il avait toujours sur lui. » Juste avant de rentrer dans le stade, il entend « des coups de feu ». Il serait resté « quinze minutes » à l'intérieur, mais n'a « pas vu de corps, parce que c'était le début ».
Mais à l'écoute de son récit, le procureur s'impatiente :
- Monsieur Marcel, il a été dit ici que la garde présidentielle a commis ce massacre et vous faites partie de la garde présidentielle. Vous étiez également au stade du 28-Septembre. Vous avez été vu. Est-ce que vous pouvez dire à ce tribunal que vous n'avez pas participé à ce massacre ?
- Je n'ai ni tué, ni blessé, ni violé au stade, je suis pas de ce genre. L'homme qui est devant vous est un sauveur !
Il peine pourtant à expliquer au tribunal pourquoi il a sorti une grenade devant la clinique Ambroise Paré, où certains leaders blessés avaient été admis pour se faire soigner. Selon plusieurs témoignages, c'est le colonel Tiegboro, également accusé dans ce procès, qui les a conduits au centre de santé. Guilavogui raconte une version très différente : « Dès qu'il est descendu [de son pick-up], je l'ai attaqué, j'ai dit tu es en état d'arrestation. Tu as induit Dadis en erreur ! Vous avez gâté le pouvoir ! » Un de ses éléments braque alors son arme sur lui, narre Guilavogui. « Il fallait que je me défende. J'ai sorti ma grenade. Moi, j'avais qu'une grenade monsieur le procureur. Partout où j'allais je la prenais, même sous la douche. » Le public est hilare.
Cette nouvelle audition, qui avait suscité beaucoup d'attentes, laisse finalement de nombreuses questions en suspens. C'est sa parole contre celle des autres accusés. « Dites-moi, entre vous qui étiez seul dans votre véhicule, selon votre version, et ceux qui ont conduit les leaders à la clinique, lequel d'entre vous a tenté de sauver les leaders ? Vous croyez sincèrement qu'on peut croire votre version ici ? », interpelle Me Alpha Amadou DS Bah, avocat des parties civiles. Et de continuer : « Votre récit a bien commencé. Sur le capitaine Dadis, vous avez confirmé tout ce que Toumba a dit, mais pourquoi vous ne voulez pas aider le tribunal et dire exactement ce que vous avez fait ? » À la barre, Guilavogui explose, ne parle même plus dans le micro, on n'entend plus qu'à moitié ce qu'il dit. Puis il se mure dans le silence.