Burkina Faso: Dabare dans la commune de Pabre - Les stigmates d'un affrontement communautaire

17 Juillet 2023

Machettes, gourdins, lance-pierres,...Le 30 juin 2023, la population de Dabaré et celle de Gaskaye, deux villages voisins, se sont violemment affrontées, faisant beaucoup de dégâts : un mort, plusieurs blessés et de nombreux dégâts matériels. Le samedi 8 juillet, nous nous sommes rendus à Dabaré, pour reconstituer les faits d'une tragédie qui pouvait être évitée.

« Ils ont tué grand papa » ! Sur le dos de sa maman, Shérifa, trois ans, a le regard apeuré, les yeux en larmes. Depuis quelques jours, la petite ne cesse de pleurer. Dès qu'elle franchit la porte de la concession, elle indique la direction avec son doigt en prononçant les mêmes mots : « ils ont tué grand papa ». En fait, à quelques pas de là, est érigée, depuis le vendredi 8 juillet 2023, la tombe de Adama Ouédraogo, petit frère du papa de la petite Shérifa. En effet, c'est cette mort, dans des conditions atroces, qui hante l'enfant. Pour comprendre ce qui s'est passé, il faut revenir à la journée du 30 juin 2023. Les évènements se déroulent dans la matinée de ce jour-là. « Il (Adama Ouédraogo, ndlr) venait pour nous rendre visite », raconte Abzèta Sawadaogo, marâtre du défunt. Le sieur Ouédraogo n'est jamais arrivé dans sa famille à Dabaré, à quelque 35 km de Ouagadougou, dans la commune de Pabré, province du Kadiogo.

Machettés

Le 30 juin dans la matinée, l'homme de 50 ans quitte Ouagadougou, la capitale, pour le village. Arrivé à Pabré, chef-lieu de la commune à laquelle est rattaché Dabaré, il fait une pause pour se soulager. Il sera rejoint, « fortuitement », par un autre ressortissant de son village. Il s'agit de Salam Ouédraogo qui réside au quartier Somgandé dans l'Arrondissement 4 de Ouagadougou. Le 30 juin, il entreprend de se rendre au village, comme il est de coutume, pour saluer ses parents après la fête de la Tabaski. C'est en cours de route qu'il croise Adama à Pabré. Après avoir échangé les amabilités, les deux hommes vont prendre le chemin ensemble, chacun sur sa moto. En fait, ils ne savent pas ce qui les attend au bout de leur chemin...

Du moins, c'est Salam, dans la soixantaine, qui raconte la suite de l'histoire. Sur l'axe Pabré-Dabaré, la route est barrée par des dizaines d'individus. Entre 40 et 60 personnes armées de machettes, pour la plupart, selon les estimations du témoin. Pour lui, il s'agit de ressortissants de Gaskaye. « Il faut les tuer », « Tuez les directement ». C'est ce qu'auraient entendu Salam et Adama de la bouche de ceux qui ont barré la voie. Parmi eux, des connaissances, notamment des amis d'enfance du village. La plus connue de Salam étant un Conseiller villageois de développement (CVD). Son nom : O.W.JP. C'est abrégé ! Les deux compagnons seront passés sous les lames tranchantes des machettes et les coups de bâtons d'une « armée » visiblement en colère. Adama Ouédraogo sera battu à mort.

Il sera inhumé dans son village à Dabaré après une autopsie de son corps, au CHU Bogodogo. La petite Shérifa ne verra donc que la tombe de son « grand papa ». Chez les onze enfants du sieur Adama, ses deux épouses, sa mère, et la quarantaine de personnes qui étaient à sa charge,..., c'est une grande tristesse ! « Ils ne savaient pas que j'étais encore vivant », explique, quant à lui, Salam. « Nous pensions qu'il était mort », ajoute l'un de ses fils. Après un séjour de plusieurs jours à l'hôpital Yalgado Ouédraogo, il est en convalescence chez lui. Les deux bras cassés, le corps truffé de blessures, Salam Ouédraogo n'arrive pas à s'expliquer le sort qui lui a été réservé par ses bourreaux. Il contient difficilement sa colère. « S'ils n'étaient pas aussi nombreux... », déclare-t-il, le regard au loin.

Et pendant ce temps, la chasse à l'homme à Dabaré

Dabaré, le 30 juin au matin, Mady Ouédraogo est dans son champ. Il est en train de semer. Des jeunes arrivent avec un message bien précis : « Nous sommes venus labourer le champ ». En fait, Mady fait partie d'une liste de quatre personnes, interdites par des villages voisins, de « cultiver leurs terres au cours de la saison pluvieuse ». Les jeunes disent au « paysan » qu'ils sont envoyés par les « vieux » d'un village pour lui transmettre le message. Enfourchant son engin, ce dernier va à l'information auprès desdits « vieux ». Les « sages » confirment. « Ils disent que ce sont eux qui ont envoyé les jeunes pour labourer mon champ », raconte notre interlocuteur. Message reçu, Mady repart dans le champ pour ramasser ses chaussures, abandonnées-là. Il sera roué de coups jusqu'au sang. Blessé, il va se rendre au dispensaire pour des soins.

Ce jour-là, Mady est le premier à être attaqué par un groupe de jeunes venus d'ailleurs. Un village voisin : « Gaskaye ». Issouf Ouédraogo, au champ ce jour-là, lui aussi, sera bastonné. « Ils m'ont attaché et frappé en groupe », relate la victime. « Cela ne nous arrange pas que vous soyez vivant », lui auraient dit ses bourreaux. Ces derniers d'ailleurs lui ont notamment confisqué son boeuf qu'il utilisait pour labourer son champ. A partir de là, la situation dégénère. La population de Dabaré se mobilise pour faire face à ce qu'elle qualifie d'agression de la part de ses voisins de Gaskaye. La bagarre se généralise. Dix jours, les stigmates illustrent la violence des affrontements entre les deux villages.

Du moins, affrontements entre Dabaré et Gaskaye. Maisons et biens incendiés, des vivres incendiés, des portes défoncées, des motos abandonnées, des charrues emportées, des chaussures abandonnées dans les champs, des blessés à la pelle,... et un décès, Adama Ouédraogo qui a été frappé à mort. Du côté de Gaskaye, le bilan fait état d'un décès et de plusieurs blessés. Voilà le triste du film d'horreur du 30 juin 2023, pour lequel une enquête de Police a été ouverte.

Des affrontements qui ne surprennent pas ?

Quinze jours avant les affrontements, le 15 juin précisément, Ouédraogo S. Madi, CVD de Dabaré, adresse une correspondance à la limite alarmiste, au préfet du département de Pabré. Il indique dans sa lettre que le 9 juin, six personnes venues de Gaskaye, village voisin, se sont rendues à Dabaré. « Ces individus nous ont informés avec des menaces à l'appui, qu'ils ne veulent pas voir » quatre personnes de Dabaré « cultiver leurs terres au cours de la saison pluvieuse ». L'identité des personnes a été déclinée dans la lettre. « Compte tenu de cette nouvelle évolution qui relève d'une pure provocation pouvant conduire à l'envenimement de la situation, les populations de Dabaré s'en remettent à vous pour trouver une solution définitive pouvant permettre aux deux villages de continuer à vivre dans la paix et la fraternité d'antan », plaide le CVD du village.

Problèmes de terres et de revendications territoriales

Selon nos informations, ce serait la construction d'une école à trois classes qui aurait mis le feu aux poudres. Jusqu'au 6 novembre 2003, Dabaré était un quartier du village de Gaskaye. A ce titre, le village disposait notamment d'une école primaire à six classes (aujourd'hui ladite école compte 329 élèves pour 9 enseignants). Seulement, un arrêté daté de novembre 2003 a érigé le quartier Dabaré en village. Ainsi donc, Dabaré et Gaskaye sont devenus deux villages voisins et distincts. Selon les témoignages recueillis, le village mère, Gaskaye, a bénéficié d'un projet de construction d'une école à trois classes. Et le site identifié par Gaskaye pour implanter son école se trouverait, selon la population de Dabaré, sur ses terres. D'où un refus de Dabaré de voir construire sur son « sol », une école appartenant à son voisin Gaskaye. Pour représailles immédiates, la population de Dabaré a été interdite au marché de Gaskaye. Elle a été également chassée du barrage de Gaskaye où beaucoup de jeunes de Dabaré s'adonnaient à des activités maraîchères. Au passage, leur équipement et dispositif servant à la maraîcherculture ont été complétement détruits. Près de 20 personnes ont été chassées de leurs terres cultivables. En toile de fond, il s'agit pour ces deux villages, de questions de terres et de revendications territoriales. Depuis l'arrêté de 2003 portant création du village de Dabaré, l'Administration n'a pas encore procédé à une délimitation de frontière avec le voisin Gaskaye. Certains de nos interlocuteurs estiment que cette situation alimente les tensions entre « les frères ennemis ».

L'affaire portée devant les chefs coutumiers

Coutumièrement, et d'après ce qui nous a été conté, le village de Dabaré relèverait de Larlé à Ouagadougou et donc, est placé sous la coupe du Larlé Naaba. Quant à Gaskaye, il serait sous l'égide du Sao Naaba. Selon nos informations, le litige entre les deux villages aurait été porté devant les deux chefs pour que solution soit trouvée.

Notre périple à Dabaré

Le samedi 8 juillet 2003, c'est à bord d'un véhicule que nous démarrons pour Dabaré autour de 10h. Arrivés à Pabré, une route nous conduit directement dans le village. Mais ce jour-là, il nous revient que la route était barrée. Il nous faut donc trouver un autre chemin plus loin, à partir de Dapélogo, pour nous rendre dans le village. La tension étant toujours très vive, et faute d'avoir des entrées à Gaskaye ce jour-là, la prudence prend le pas sur tout. Même en faisant le tour du village de Dabaré, sur les traces des affrontements, on n'hésite franchir certains limites. Il n'est même pas possible de nous rendre à l'école primaire se trouvant juste devant nos yeux. Pourquoi ? L'autre village a délimité lui-même la frontière et la franchir pourrait encore enclencher des hostilités.

« Nous ne pouvons pas nous exprimer pour le moment », dixit Ouédraogo Jean-Paul, CVD de Gaskaye

Nous avons entrepris d'écouter le son de cloche de l'autre camp, notamment le village de Gaskaye, en la personne de Ouédraogo Jean-Paul. De contacts en contacts, nous sommes tombés sur le Conseiller villageois de développement de Gaskaye. Au premier contact, ce dernier était intéressé à racouter sa part de vérité sur le conflit ayant entraîné les affrontements entre les deux villages. Après échanges, nous avons convenu de nous retrouver à Ouagadougou le mercredi 12 juillet 2023 dans un endroit situé à Kamboinsin. Heure choisie : 7h30mn-8h. A l'heure indiquée, nous étions déjà sur place. Mais notre interlocuteur nous demandera de remettre le rendez-vous dans l'après-midi, autour de 13 h. A l'heure indiquée, nous étions une fois de plus sur les lieux. Joint au téléphone pour informer de notre présence à l'endroit indiqué, notre interlocuteur nous dira, finalement, ceci : « Comme le dossier fait l'objet d'une enquête, nous ne pouvons pas nous exprimer pour le moment » (Nous avons traduit les propos du mooré au français, ndlr). Après avoir échangé quelques minutes au téléphone, de manière courtoise, nous nous sommes quittés. Mais nous espérons que ce n'est que partie remise pour entendre la version des faits de Gaskaye.

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