Ile Maurice: Incitation financière - Le mauvais film du «Rebate Scheme»

Un milliard de roupies «données» pour des films tournés à Maurice depuis 2016, dont «Serenity», qui a obtenu Rs 213 millions de l'État mauricien, sans presque rien en retour. Concernant «The Prisoners of Paradise» de feu Alan Govinden, subventionné mais pas en salles, le ministre Bholah ne veut pas en parler «puisqu'il y a une affaire en cour».

Silence ! On tourne... ou pas. Dans sa réponse à la Private Notice Question (PNQ) de XavierLuc Duval, jeudi, le ministre Sunil Bholah, qui répondait pour Renganaden Padayachy, en voyage, n'a donné aucun chiffre quant aux retombées pour le pays des générosités faites par l'Economic Development Board (EDB) aux producteurs de film étrangers. Il a juste parlé vaguement de dépenses effectuées par ces cinéastes dans le pays, comme leurs nuitées dans les hôtels. Pourtant, plus d'un milliard de roupies ont été «gaspillées», selon le leader de l'opposition, depuis 2016 pour le tournage de films chez nous. Et le fait que la plupart de ces films aient été des flops retentissants, disent plus d'un, n'augure rien de bon pour faire connaître notre pays sur le plan international, que ce soit justement pour le tournage de films ou pour le tourisme.

Le 7 juin 2017, le Premier ministre annonçait à l'hôtel Maradiva, lors du lancement du tournage de Serenity, qu'un film à succès pourrait rapporter jusqu'à un milliard de roupies au pays. Il promettait des emplois (il parlera aussi de «unleash talents» des Mauriciens le 14 mai 2019 au Parlement), des investissements et de la visibilité pour notre pays. Or, à sa sortie en mars 2019, Serenity n'obtient qu'un score de 22 % sur Rotten Tomatoes, site bien connu des cinéphiles et qui évalue les films occidentaux. À ce jour, le film n'a pas fait mieux, à 21 %. Quant au box-office, «Serenity performed modestly at best...» dit une étude de l'Université Mc Gill au Canada.

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Le 14 mai 2019, on apprenait que l'EDB avait recommandé un remboursement de 40 % des dépenses encourues lors du tournage de Serenity à Maurice. Avec les dénonciations de Xavier-Luc Duval, cette augmentation pour ce Scheme n'avait pu avoir lieu. Mais cela se fera à partir de ce mois-ci, a annoncé le ministre Bholah jeudi au Parlement.

«Le PM annonçait à l'hôtel Maradiva, lors du lancement du tournage de serenity, qu'un film à succès pourrait rapporter jusqu'à un milliard de roupies au pays. Et il promettait des emplois (il parlera aussi de «unleash talents» des mauriciens le 14 mai 2019 au parlement), or, à sa sortie en mars 2019, le film n'obtient qu'un score de 22% sur Rotten Tomatoes...»

Arguments fallacieux

Pour justifier non seulement le maintien des subventions aux producteurs de film mais son augmentation à 40 %, le ministre des Affaires, des entreprises et des coopératives parle des taux élevés de remboursement de 50 % en Chine, de 40 % à Malte, de 50 % à 70 % en Pologne, entre autres. Il donne comme exemples de tournages perdus par Maurice le film The Plane, dont les producteurs ont opté pour Porto Rico et les Émirats arabes unis, et la compagnie Red Chillies de Shah Rukh Khan qui a préféré la Bulgarie.

Ce que Sunil Bholah, ou plutôt le ministère des Finances, ne dit pas, c'est qu'à Porto Rico, le remboursement est à seulement 20 %, aux Émirats arabes unis 30 % et en Bulgarie 25 %. Ce genre d'argument fallacieux dont use souvent le gouvernement ne dit donc pas que Shah Rukh Khan ou Gerard Butler auront boudé Maurice pour des raisons autres que le taux de remboursement. Et pourquoi pas le paysage ou autres, car le ministre même nous dit que le cinéaste de The Plane avait prospecté Maurice avant de faire son choix ?

Plus grave, la Chine n'accorde pas 50 % de rebate comme le dit le ministre. Pour les films tournés en partie en Chine, elle n'accorde qu'un abattement fiscal (la moitié des 20 % imposables). Nulle part il n'est mentionné que l'État chinois accorde un remboursement des dépenses et encore moins de 50 % !

En Pologne, ce n'est ni 50 % ni le taux astronomique de 70 % qui sont remboursés, mais seulement 30 %. Là aussi, le remboursement dépend, entre autres conditions, du nombre de jours de tournage ou de post-production en Pologne et la participation d'artistes et équipes cinématographiques locaux. De plus, le remboursement maximal ne dépassera pas l'équivalent de Rs 165 millions par film. Maurice a, lui, été plus généreux avec Rs 213 millions pour le fiasco nommé Serenity.

Ce n'est pas tout comme faux renseignements donnés au Parlement jeudi. Alors que le ministère des Finances parle de 35 % plus 5 % de remboursement en Afrique du Sud, on apprend que le taux est en réalité de 25 % pour les films étrangers avec un plafond de l'équivalent de Rs 125 millions par film. Ceux au ministère des Finances ou à l'EDB qui ont préparé la réponse de Sunil Bholah se seraient-ils emmêlé les pinceaux ? Car les 35 % plus 5 % dont parle le ministre ne s'applique que pour les films tournés par les Sud-Africains. Pour la Nouvelle-Zélande, le taux de remboursement n'est que de 20 %. Les 40 % auxquels fait référence le ministre Bholah ne s'appliquent que pour les productions locales.

Seuls les chiffres pour la Grèce, l'Arabie saoudite et Malte sont bons. Mais il existe beaucoup de critères stricts pour y prétendre, comme l'emploi de la main-d'oeuvre et de talents locaux. Il faut aussi, comme l'exigent les autorités saoudiennes, que le film présente explicitement les grandioses paysages du royaume, entre autres. Dans le film Serenity, qui a à lui seul absorbé un quart de tous les remboursements depuis 2016, aucune mention de Maurice n'est faite.

Se basant sur ces faux chiffres, le ministre annonce maintenant une contribution de 40 % de l'argent du contribuable aux producteurs étrangers. Et à la question de Xavier Duval : «Are you aware that 90% of these films are total flops?», le ministre répond : «The Chicago Independent has considered it as a flop whereas the Daily Independent judged it as a good movie for mature cinephiles... it is a question of appreciation.» Nous avons cherché en vain quel est ce journal. Si c'est l'Independent britannique, l'avis est tout le contraire sur le film...

Serenity : un privilège selon le président

Déjà, le 23 avril 2019, répondant à une question de Rajesh Bhagwan, Pradeep Roopun, ministre des Arts et de la culture de l'époque, justifiait les Rs 214 millions remises au producteur de «Serenity» en ne donnant aucun chiffre sur les retombées de cet «investissement». Il s'est contenté d'un argument plutôt abstrait : «It is not a commercial venture. It is the film producer who invests and for us in Mauritius we had the privilege to facilitate the shooting of the first Hollywood film in Mauritius.»

Le vice-président ne l'a pas vu

Le ministre de la Fonction publique d'alors, Eddy Boissézon, dira, lui, en avril 2019, qu'il faudra attendre la sortie du film «Serenity» partout dans le monde avant de dire si c'est un succès ou non. Quatre ans après, le film est toujours classé parmi les navets. Le futur vice-président soulignait aussi que «ce n'est pas l'argent rapporté par le film qui importe mais les emplois créés et surtout l'image de Maurice». On ne savait pas sur quoi reposait tout cet optimisme d'Eddy Boissézon car juste après il avouait aux journalistes n'avoir pas regardé le film et qu'il ne savait pas que le nom de notre pays n'y était même pas cité une seule fois. C'était juste après qu'il avait déclaré que le film a promu l'image de Maurice. À noter que notre île est baptisée du nom fictif de Plymouth Island dans le film.

«Prisoners of paradise» jamais sorti

Est-il normal qu'un film financé à hauteur de Rs 150 millions par le contribuable mauricien ne soit pas encore sorti après quatre ans ?» voulait savoir Xavier Duval jeudi. «Rs 87 millions», corrige le ministre Bholah ! Qui stoppera net le débat en déclarant que le promoteur du film, Alan Govinden, est décédé, qu'il était le seul actionnaire de la compagnie de production et qu'il y a une affaire en cour actuellement. Donc, qu'il ne pourra pas en dire plus. Quelle affaire ? Et l'emprunt bancaire ?

Encore de faux chiffres ?

A une question de Xavier Duval le 14 mai 2019 au Parlement, le Premier ministre reconnaissait que Rs 813 millions avaient été accordées aux producteurs étrangers de film. Tout en ajoutant que Rs 900 M ont été payées par ces derniers comme impôts à Maurice. Ce qui fit remarquer au leader de l'opposition «as you are aware... VAT is refunded to these people. So, how does [you] come to the Rs 900 M taxes? Impossible that they have paid this much!» Pravind Jugnauth n'a pas produit de documents pour soutenir ses dires.

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