Ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de la Fédération de Russie au Sénégal, Dmitry Kourako apprécie, dans cette interview, la médiation des Chefs d'État africains pour la fin du conflit russo-ukrainien. Il a aussi évoqué la dynamique des relations bilatérales russo-sénégalaises. Pour lui, la rébellion avortée de Wagner n'a pas fragilisé le pouvoir de Poutine.
Le Président de la République, Macky Sall, a déclaré récemment qu'il ne sera pas candidat à la prochaine élection présidentielle. Quel commentaire en faites-vous ?
On apprécie beaucoup cette démarche du Président Macky Sall. C'est une démarche démocratique qui prouve, encore une fois, que le Sénégal est un pays exemplaire. Nous voyons que le Sénégal développe la démocratie.
Des Chefs d'État africains, y compris celui du Sénégal, ont été en Russie en vue de trouver des solutions au conflit russo-ukrainien. Comment appréciez-vous cette démarche ?
Nous saluons l'engagement sincère des collègues africains de contribuer à trouver une solution juste à la situation en Ukraine qui résulte de la guerre hybride contre la Fédération de Russie préparée par l'Occident depuis de nombreuses années. Nous sommes reconnaissants à nos partenaires africains d'avoir fait preuve de compréhension à l'égard des origines de la crise créée par les efforts de l'Occident. Il est révélateur que cette initiative ne soit en concurrence avec aucune autre.
Cette médiation africaine apparaît comme un événement historique destiné à renforcer le rôle du continent africain, en particulier du Sénégal, en tant qu'acteur actif sur la scène internationale. Cette percée de la diplomatie africaine s'inscrit dans la ligne de la politique étrangère de notre pays qui se prononce pour le monde multipolaire où règnent l'égale souveraine des États, la non-ingérence dans leurs affaires intérieures, la diversité des modèles de développement et la coopération mutuellement bénéfique.
Quelles sont les retombées concrètes de cette médiation côté russe ?
En ce qui concerne notre pays, comme le montrent les déclarations de notre Président, Vladimir Poutine, et de notre Ministre des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, le principal message de la mission africaine a été bien entendu. Celui de signaler leur désir de paix, qu'ils considèrent comme réalisable si on s'adresse aux causes profondes et réelles du conflit et élabore des actions concrètes pour garantir une architecture de sécurité européenne juste et stable.
Nous voyons une issue au conflit dans l'établissement d'une paix fondée sur les principes de la justice et tenant compte des intérêts légitimes de la Russie. Il ne s'agit pas seulement des circonstances sur le théâtre ukrainien des opérations militaires, y compris les nouvelles réalités territoriales inscrites dans la Constitution russe, mais aussi de l'élimination des menaces que l'Occident fait peser sur la sécurité nationale de la Russie.
Pour les retombées aussi, je pense que nous allons voir des résultats après la poursuite des consultations qui vont continuer au cours du Sommet Russie-Afrique. Tout dépend de la volonté de l'Occident et de l'Ukraine à mettre fin à ce conflit. Nous sommes prêts.
La rébellion avortée du groupe Wagner n'a-t-elle pas fragilisé le Pouvoir du Président Poutine ?
La rébellion, qui a été organisée, les 23 et 24 juin derniers, par la société militaire privée Wagner, est une action criminelle visant à diviser et à affaiblir le pays. Cependant, la rébellion a été réprimée et l'ordre rétabli. Je voudrais souligner que de nombreux analystes occidentaux considèrent la tentative de mutinerie comme une preuve de la division, de la fragilité et de la faiblesse de la Russie.
Toutefois, c'est la position claire des autorités de l'État et la consolidation de la société qui ont empêché la mutinerie de se transformer en un scénario négatif. Comme l'a déclaré le Ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov, « la Russie est toujours sortie plus forte de ses gâchis ». Ce sera également le cas cette fois-ci. Ce coup manqué n'a pas fragilisé le pouvoir de Poutine. Au contraire, cela a montré que le peuple russe supporte les actions entreprises par le Gouvernement.
Comment avez-vous vécu ces événements ?
J'ai suivi, avec anxiété, l'évolution de ces événements qui se sont produits à un moment difficile pour notre pays. La Russie est, aujourd'hui, confrontée à une énorme menace extérieure, à une pression sans précédent de l'extérieur. Et de tels événements, comme l'a dit notre Président, sont perçus comme un véritable coup de poignard dans le dos. Toutefois, je suis heureux que la rébellion ait été réprimée, en partie, grâce au travail bien coordonné des structures militaires russes.
Quel avenir pour Wagner et son fondateur, Evgeni Prigojine, après ce coup de force manqué ?
L'avenir des unités de la société militaire privée Wagner en Afrique dépendra de la position des États qui les ont invités à certaines conditions. Les conditions de séjour de Wagner dans les pays africains ont été déterminées sans la participation du Gouvernement russe. Ce qui est sûr, c'est que Monsieur Prigojine ne va pas être poursuivi. Notre Ministre des Affaires étrangères a également expliqué que la Russie ne va pas abandonner les pays où Wagner était présent.
Quel est l'état des relations diplomatiques entre le Sénégal et la Russie ?
Nous pouvons affirmer, avec confiance, que le niveau des relations diplomatiques entre nos pays est constamment élevé ; ce qui est facilité, dans une large mesure, par la convergence des approches russes et sénégalaises à l'égard de l'agenda international.
Nous n'avons pas de divergences dans l'interprétation des principaux problèmes internationaux, le renforcement du rôle central des Nations unies dans le monde, le désarmement, la lutte contre le terrorisme, la sécurité de l'information et la nécessité de travailler ensemble pour résoudre les situations de crise en Afrique. Nous sommes reconnaissants de la position équilibrée et nuancée de Dakar sur le conflit en Ukraine.
Quels sont les projets phares dans le cadre de la coopération entre les deux pays ?
Dans le domaine politique, nous travaillons actuellement, avec le Sénégal, à la mise en place d'une Commission intergouvernementale bilatérale de coopération économique, scientifique et technique. Dans le domaine économique, il convient de mentionner le développement de la coopération dans le secteur de la pêche. En particulier, une expédition conjointe de recherche est prévue, cette année, pour évaluer les bio-ressources et les paramètres océanologiques de leur habitat dans la zone sénégalaise.
Nous sommes prêts à développer la coopération en matière de cybersécurité par l'exportation des technologies russes pour la protection des infrastructures critiques, l'introduction de programmes innovants de villes intelligentes et la formation de spécialistes compétents. Un projet pilote unique est la mise en oeuvre de l'initiative de la Fondation russe « Inno-praktika » visant à construire une médiathèque russe dans les locaux de l'Université Cheikh Anta Diop de Dakar.
Ce projet contribuera non seulement à l'étude de la langue et de la culture russes au Sénégal, mais servira également de base à la mise en oeuvre de projets similaires dans d'autres pays africains. Les relations commerciales et économiques bilatérales se développent de façon active. Alors que le volume des échanges commerciaux entre nos pays s'élevait à 850 milliards de FCfa en 2021, il était de plus de 465 milliards de FCfa pour les seuls quatre mois de l'année dernière.
Par ailleurs, des entreprises russes manifestent toujours leur intérêt pour travailler au Sénégal. Un certain nombre de projets sont actuellement en cours d'élaboration. L'objectif principal de la partie russe dans ce domaine est d'augmenter les exportations de produits sénégalais vers la Russie.
Les contacts commerciaux bilatéraux entre les deux pays pourraient être améliorés, notamment en intensifiant les échanges de délégations entre les acteurs économiques des deux États, y compris par la participation à des forums et conférences économiques. Le Sénégal, comme la Russie, dispose d'un potentiel économique important et de telles manifestations sont de nature à renforcer la confiance et à établir les liens nécessaires dans ce domaine.
La Russie prépare un Sommet Russie-Afrique. Quel est l'objectif de cette rencontre ?
L'objectif de cet événement est de renforcer la coopération globale et égale de la Russie avec les pays africains dans toutes ses dimensions : politique, sécurité, économie, science et technologie et sphères culturelles et humanitaires. Le Sommet de cette année se concentrera, dans une large mesure, sur la création de nouveaux instruments et mécanismes de coopération avec les États africains, dans le contexte des sanctions occidentales, en discutant des questions liées à la construction d'une nouvelle architecture de l'ordre mondial pour le renforcement de la multipolarité, y compris dans le domaine de la sécurité internationale.
Nous espérons la participation des pays africains au plus haut niveau. Deux documents importants seront signés à l'issue du Sommet : une déclaration politique et un plan d'action commun. Nous espérons que le forum économique permettra à la coopération avec les pays africains d'aboutir à des résultats concrets.