Sénégal: Un photojournaliste met les journalistes en garde contre l''aveuglement du reporter' en zone de catastrophe

Ankara, Turquie — - Le photojournaliste de guerre turc Erhan Sevenler, de l'agence de presse Anadolu, a mis en garde les journalistes, mardi, à Ankara, contre l"'aveuglement du reporter", lequel, obsédé par la recherche de l'information, peut fouler au pied toutes les mesures de sécurité, au péril de sa vie.

"Parfois, vous avez l'aveuglement du reporter. Il faut se prémunir de cet aveuglement", a dit Sevenler, qui a acquis une expérience de vingt-six ans de photojournalisme dans son pays, en Afrique du Nord et au Moyen-Orient.

"Il n'y a pas de photo plus importante que la vie du reporter", a-t-il insisté en animant un module sur la puissance de l'image, dans le cadre d'un atelier de formation d'une semaine sur le journalisme de catastrophe, à Ankara.

La formation est dispensée à une quinzaine de journalistes venus d'Afrique, d'Asie et d'Europe de l'Est, à l'initiative de l'agence de presse turque Anadolu et de l'Agence turque de coopération et de coordination (TIKA).

Les organisateurs de cette rencontre pédagogique veulent partager avec le reste du monde l'expérience acquise à la suite du tremblement de terre survenu dans le sud de la Turquie, le 6 février dernier.

Erhan Sevenler a fait l'historique du photojournalisme à l'aide de photos prises par des reporters de guerre dans les empires britannique et ottoman, à la guerre du Vietnam, au Soudan, au Rwanda, lors du génocide de 1994, lors du séisme de 1999 en Turquie comme pendant le plus récent.

Les pandémies, dont la grippe espagnole, la fièvre Ebola dans l'ex-Zaïre et le Covid-19 sont autant de catastrophes que les photojournalistes ont cherché à immortaliser à l'aide de leurs appareils, a-t-il rappelé.

Des négatifs photo pris avec d'anciens appareils, dont l'envoi durait plusieurs mois, on est passé à des photos plus nettes mais plus crues, révélant une image "moins héroïque" de la guerre.

"Vous montrer les erreurs à ne pas commettre"

Si les premières photos sur les champs de bataille montraient juste des portraits de soldats posant devant un objectif, c'est lors de la guerre civile américaine (1861-1865) que les premières images de militaires morts sur le théâtre ont commencé à être montrées.

Depuis lors, "rien n'a changé", estime Sevenler. Tous ces événements ont comme dénominateur commun la souffrance, qui se poursuivra encore, parce qu'il faudra s'attendre à de nouvelles catastrophes et pandémies, dit-il en assumant son pessimisme.

Le travail du reporter est aussi resté le même : montrer au public ce qui se passe sur le terrain. "Dans le feu de l'action, au moment où tout le monde s'enfuit, nous cherchons à prendre des photos", fait remarquer le photojournaliste turc, se souvenant d'une scène en Syrie, où il a "entendu les balles siffler à quelques centimètres de [sa] tête", alors qu'il cherchait à prendre des photos sous un meilleur angle.

Avec le recul, Erhan Sevenler dit se demander ce qui l'a poussé à cette "folie". Il ne manque pas d'exemples de l"'aveuglement du reporter". Après le séisme de février dernier en Turquie, certains reporters se sont approchés dangereusement des immeubles qui tenaient encore à peine, qui pouvaient s'écrouler à tout moment.

"Entre 2011 et 2021, a rappelé Sevenler, 900 journalistes ont été tués." Au Pakistan, au Mexique et dans d'autres pays, dans l'exercice de leurs fonctions, a-t-il précisé.

"Tout ce que je cherche, c'est de vous montrer les erreurs à ne pas commettre", a dit le photographe de l'agence Anadolu, qui a à son palmarès des photos rares comme celle de la reine Élisabeth II (1926-2022) se mettant du rouge à lèvres, après s'être retranchée derrière les membres du protocole, lors d'une visite en Turquie.

Ou encore cette image d'une grand-mère croulant à moitié sous les décombres, en compagnie de sa petite-fille, qui mourut finalement. Cette photo devenue le symbole du séisme de 1999 était encore publiée par de nombreux journaux à chaque anniversaire de la catastrophe. Jusqu'à ce que la dame photographiée demande à l'auteur d'intervenir auprès des médias pour qu'ils cessent de la montrer.

"Il faut toujours se demander pourquoi je prends la photo. Si vous parvenez à répondre à cette question, alors vous la réussirez parce que vous savez ce que vous faites", dit Sevenler. Il a perdu deux compagnons, l'un dans une avalanche, l'autre dans un feu de forêt.

"Ne faites jamais du mal en exerçant votre métier"

"En zone de catastrophe, vous devez analyser la situation et identifier des issues de secours", conseille le photojournaliste de guerre, qui résume ses conseils en deux mots : "la sécurité et la mobilité".

Avant d'aller sur le lieu du désastre, le reporter doit s'assurer d'avoir dans ses bagages, en plus de ses appareils qui sont ses "armes", sa propre nourriture, de l'eau et le petit matériel : un couteau, une torche, un briquet... Des objets qui peuvent être d'une grande utilité dans un endroit où tout est chaotique.

Sevenler donne une panoplie de conseils. L'importance d'avoir des médicaments et de se prémunir des "ennemis invisibles", à savoir les virus et les bactéries. De même faut-il se munir d'un masque et de gants, se faire vacciner avant de se rendre dans certaines régions frappées par des maladies contagieuses.

Le reporter de guerre doit savoir s'adapter à toutes les situations et "mettre en avant la vie humaine", la sienne comme celles des victimes qu'il veut prendre en photo. S'il arrive le premier sur le terrain et peut aider les victimes, qu'il le fasse avant de prendre des photos, recommande le photojournaliste. "Ne faites jamais du mal en exerçant votre métier", conseille-t-il.

Cette bienveillance est un moyen d'établir le dialogue avec les acteurs et les victimes, que ce soit des secouristes ou des agents de sécurité, conseille le reporter turc. Elle peut lui faciliter son travail en lui ouvrant beaucoup de portes, selon Sevenler.

Autant de règles qu'il qualifie de "flexibles", car à chaque catastrophe ses circonstances.

Pour clore sa présentation, le photojournaliste a donné en modèle le photographe Kévin Carter, qui a été récompensé pour une célèbre photo prise au Soudan.

L'image montre une petite fille squelettique s'accrochant au sol, un vautour rôdant autour de lui. Une photo qui renvoie à l'équilibre à chercher entre le devoir de garder la distance pour bien accomplir son travail en tant qu'observateur et la nécessité de devenir acteur, au nom de l'humanisme.

Carter se suicida après les multiples reproches qui lui ont été faits de n'avoir pas aidé cette fille en danger de mort et de s'être contenté de prendre une image.

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