Tunisie: Tournée du ministre des Affaires étrangères dans les pays du Golfe - Un renouveau diplomatique tunisien ?

19 Juillet 2023

«Nous devons agir et élargir notre champ d'investigation pour une vraie sortie de crise. Les Européens ont été au rendez-vous et nous ont tendu la main. C'est au tour de nos frères arabes de nous soutenir».

Le ministre des Affaires étrangères, Nabil Ammar, a entamé dimanche dernier une tournée dans plusieurs pays du Golfe. Au Koweït, sa première destination, le chef de la diplomatie tunisienne a rencontré le chef du parlement koweïtien, Ahmed Abdelaziz Saadoun.

Cette tournée, qui se poursuit jusqu'au 20 juillet, devrait également conduire le ministre aux Émirats arabes unis et en Arabie saoudite sur invitation de ses homologues.

L'entretien avec le président du parlement koweïtien a porté sur la formation de la commission de fraternité et d'amitié parlementaire.

À cet effet, les deux hauts responsables ont convenu des nécessités qu'il y a à intensifier les rencontres entre les députés tunisiens et koweïtiens pour aborder des questions d'ordre arabe et international.

La diplomatie tunisienne consciente des principaux enjeux

Approché par La Presse pour une appréciation générale de la tournée du chef de la diplomatie tunisienne dans les trois pays du Golfe, l'ancien ministre des Affaires étrangères tunisien, Ahmed Ounaïes, note que le choix des trois pays n'est point fortuit et semble obéir à une directive bien pensée par la diplomatie tunisienne.

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«Il faut rappeler qu'il y a des projets qui sont restés sur le papier à cause d'une administration somnolente et impuissante. Aujourd'hui et compte tenu d'un contexte international très délicat, la Tunisie n'a d'autre choix que de solliciter le soutien de tous les pays frères et amis, à commencer par les pays arabes, notamment nos voisins directs et les pays du Golfe. Car la crise est générale et semble affecter tout le monde», fait remarquer l'ancien ministre des Affaires étrangères.

Selon lui, les difficultés économiques de la Tunisie pourraient être résolues par l'intervention des pays du Golfe qui ont largement tiré profit des crises mondiales successives et de la montée en flèche du coût des hydrocarbures, exacerbées par la guerre Russie-Ukraine.

«Nous devons agir et élargir notre champ d'investigation pour une vraie sortie de crise. Les Européens ont été au rendez-vous et nous ont tendu la main. C'est au tour de nos frères arabes de nous soutenir, s'ils entendent se situer à la hauteur des jugements de l'Histoire», a conclu l'ancien diplomate.

Fondamentaux de la politique étrangère tunisienne

Depuis l'Indépendance du pays en 1956, les relations avec l'Europe et les Etats-Unis étaient les plus importantes. En d'autres termes, la Tunisie a toujours affiché une position assez nettement pro-occidentale s'agissant de politique étrangère.

Ce choix découle, de l'avis de plusieurs analystes dont le géopoliticien Youssef Chérif, de la manière dont l'élite tunisienne percevait les intérêts et les choix de l'ancien président tunisien Habib Bourguiba.

Ce dernier résumait ainsi le comportement tunisien en matière de politique étrangère : «Tito est bien plus aidé que je ne le suis. Je n'abandonne pas mes convictions, mais il sera de plus en plus difficile de faire admettre mon appartenance au monde occidental si je n'arrive pas à la justifier par des avantages. Ce n'est pas du chantage, c'est un fait».

La coopération culturelle a, de surcroît, toujours été un axe majeur du partenariat tuniso-français, et par ricochet tuniso-occidental. Si bien que lorsque la France avait gelé quasiment toute sa coopération à la suite de la nationalisation des terres en mai 1964 en Tunisie, elle a maintenu intacte la coopération culturelle.

Un choix soutenu par le président Bourguiba qui a dépêché un homme très attaché à la culture française, Mohamed Masmoudi, comme ambassadeur à Paris en 1965. D'ailleurs, il n'était point fortuit de désigner Bourguiba comme le père de la francophonie. Et il a, à son tour, marqué les esprits non seulement en Afrique et en France, mais aussi lors de son voyage au Canada en 1968.

Pour ce qui est de l'Italie, voisin direct, la Tunisie a toujours entretenu de bonnes relations avec ce pays qui a toujours cherché à jouer un rôle de pont entre l'Occident et l'Orient, fort en cela de sa communauté présente en Tunisie, ainsi que par l'orientation occidentale choisie par le président tunisien alors.

Le pays entretenait également de bonnes relations avec les Etats-Unis.

D'autant que certains leaders nationalistes tunisiens avaient pu nouer des relations assez étroites avec des milieux politiques américains avant même l'indépendance, rappelle le géopoliticien.

Et le soutien américain à la Tunisie s'est manifesté en 1958, lors du bombardement par la France de Sakiet Sidi Youssef et lors de la crise de Bizerte en 1961. Les Etats-Unis et la République fédérale allemande (RFA) sont toujours, après la France, les pays les mieux implantés en Tunisie.

L'ouverture sur les pays du Golfe entre passé et présent

«Le ministre des Affaires étrangères rentrera bredouille», entonnent les uns. «La Tunisie a bien fait de s'ouvrir sur les pays du Golfe pour ainsi donner un coup de fouet à sa politique étrangère», répliquent les autres.

Pour les premiers, le pronostic trouve racine dans la faiblesse de la présence émiratie à «Tunisia 2020», la conférence des investisseurs de la Tunisie, les 29 et 30 novembre dernier, qui a mis à nu le déséquilibre des relations de la Tunisie avec les États du Golfe.

En revanche, l'émir du Qatar, Cheikh Tamim Ben Hamad Al-Thani, le seul chef d'État étranger présent, a annoncé un package financier de 1,25 milliard de dollars. L'ambassadeur du Qatar en Tunisie a, quant à lui, signé un chèque de 2,4 millions de dollars pour couvrir les coûts de la conférence.

De son côté, l'Arabie saoudite, principal allié des EAU, a promis 850 millions de dollars pendant Tunisia 2020, après des années marquées par des relations qu'on peut qualifier de tièdes.

La tournée dans les pays du Golfe du ministre Nabil Ammar acte donc un rapprochement entre la Tunisie et certains pays du Golfe qui vient à point nommé, après un certain froid qui a affecté les relations entre les deux parties.

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