Lors du sommet Russie-Afrique qui doit se tenir les 27 et 28 juillet à Saint-Pétersbourg, plusieurs tables rondes doivent évoquer le soutien aux enfants africains et la promotion des valeurs traditionnelles « sous pression du libéralisme agressif ». Une mission confiée à Maria Lvova-Belova, la commissaire russe à l'enfance, accusée de crimes de guerre par la Cour pénale internationale. Entretien avec l'historien d'origine russe Maxime Matoussevitch, spécialiste de l'Afrique et professeur à l'université Seton Hall du New Jersey.
RFI : La Russie compte promouvoir les valeurs traditionnelles en Afrique et développer des projets humanitaires en soutien aux enfants africains. Comment expliquez-vous cette stratégie russe ?
Maxime Matoussevitch : Cela fait partie du soft power russe. Ces dernières années, la Russie s'est positionnée par rapport aux pays du Sud et, surtout, par rapport aux pays africains, en rempart des valeurs traditionnelles. Lorsque l'on observe ce que la Russie peut offrir à l'Afrique, il n'y a pas grand-chose, mais le peu qui existe est important. Ils exportent des armes : 50% des armes qui arrivent sur le continent proviennent de la Russie. Pour le reste, ce n'est pas vraiment de l'idéologie, ce sont des idées moralisatrices : la préservation des valeurs traditionnelles, la conception traditionnelle du genre.
Par exemple, en République centrafricaine, l'un des premiers pays africains où apparaissent les mercenaires du groupe Wagner, ils sponsorisaient des concours de beauté. Cela peut paraître innocent. Mais pourquoi les concours de beauté ? Car ces concours participent à la propagation des valeurs traditionnelles et des stéréotypes liés au genre. Investir dans ces concours fait partie de la politique extérieure russe.
En ce sens, Maria Lvova-Belova [la commissaire russe à l'enfance, NDLR], qui est accusée de crimes de guerre par la Cour pénale internationale, remplit un contrat avec le gouvernement russe. Elle participe à l'effort de représentation de la Russie en tant que rempart des valeurs traditionnelles. Elle travaille en coopération étroite avec l'Église orthodoxe russe. Cette alliance entre l'État et l'Église est intéressante. Peu avant l'intervention en Ukraine, l'Église orthodoxe russe a ouvert deux nouvelles filiales en Afrique : au Caire, en Égypte, et à Johannesburg, en Afrique du Sud. Pourquoi ? Précisément pour être l'un des canaux de la politique étrangère russe.
L'Église orthodoxe russe fait beaucoup de déclarations concernant son expansion sur le continent, expliquant notamment qu'elle apporte en Afrique la parole de l'Évangile. L'Afrique a-t-elle besoin de ce genre d'offre ?
Une telle demande existe clairement en Afrique. On peut le constater non seulement dans les actions de l'Église orthodoxe russe, mais aussi dans celles des Églises occidentales, qui sont actives sur le continent. Aujourd'hui, les églises évangélistes sont très présentes en Afrique : en Ouganda, par exemple, où une loi anti-LGBT terrible a été adoptée avec notamment l'appui financier des églises occidentales. Là où les églises se vident en Occident, elles se remplissent en Afrique. Cela s'explique, entre autres, par le contexte économique. Par ailleurs, la population en Afrique reste très conservatrice. L'argument qui consiste à fustiger l'Occident libertaire et défenseur des droits des personnes LGBT ou de l'égalité homme-femme peut plaire et c'est facile d'en profiter. C'est exactement ce que fait la Russie.
Le mandat de la Cour pénale internationale à l'encontre de Maria Lvova-Belova pourrait-il la freiner dans ses activités sur le continent africain ?
Il se peut que cela gêne quelques chefs d'État africains mais ce mandat d'arrêt [Maria Lvova-Belova est visée par un mandat d'arrêt de la CPI pour « crime de guerre » en raison de son implication dans les déportations de dizaines de milliers d'enfants ukrainiens vers la Russie, NDLR] est surtout une confirmation supplémentaire que la Russie s'oppose véritablement à l'Occident. Le rapport à l'Occident reste très complexe. D'une part, les Africains essayent d'émigrer en Occident, d'aller y faire leurs études, la culture occidentale leur plaît. D'autre part, il existe la mémoire du passé colonial, la mémoire des hiérarchies coloniales racistes. Le fait que la Russie se positionne contre l'Occident suscite une réaction positive dans de nombreux pays africains.