Madagascar: En aparté

Sans la rencontre avec Gabriel de Lépinau, je n'aurais pas connu les MEP (missions étrangères de Paris, fondé en 1658). Ce jeune prêtre s'active dans le diocèse de Port-Bergé.

Les MEP, outre la propagation de la foi et l'édification d'églises, s'y activent à la construction d'écoles (22 salles de classe d'une capacité de 50 élèves chacune en 2022) et d'hôpitaux (dispensaire de Port-Bergé confié aux soeurs hospitalières de la Divine Providence).

Nous avions d'abord échangé à propos de l'affreuse sonorité des carillons électriques : il m'avait avoué avoir essayé de faire fondre des cloches en bronze mais la piètre qualité du matériau employé ne permettait pas d'obtenir «une belle voix».

Par la suite, il allait me partager le Making of de la Mosaïque du Christ (5 mètres de hauteur !) pour le Sanctuaire de la Divine Miséricorde («Famindrampon'Andriamanitra») de Port-Bergé. C'était avant la première exposition des ateliers d'art Mandrakizay

(à Ambohibe, le 3 décembre 2022) et leur jolie profession de foi : «participer à l'embellissement du monde et de Madagascar par le travail de ses mains, sa recherche technique et artistique, son apprentissage de la créativité».

Ces jours-ci (15 au 30 août 2023), à destination d'artisans et artistes qui souhaitent s'initier ou se perfectionner dans l'art des icônes, fresques et mosaïques, «l'art sacré» en général, les ateliers «Mandrakizay» organisent une session de formation avec l'iconographe britannique Ian Knowles (directeur fondateur du Bethlehem Icon Centre).

Gabriel de Lépinau s'applique à parler malgache, comme ses prédécesseurs missionnaires du XIXème siècle qui nous ont légué les «Tantara Ny Andriana» et de nombreux dictionnaires.

En janvier 2022, à la lecture du texte qu'il m'avait invité à écrire dans la revue des Missions Étrangères de Paris, il eut ce long commentaire : «Il manque, à mon goût, une vraie lueur d'espérance dans votre prose. C'est un magazine de l'Église catholique. Notre force, c'est l'Espérance. Je ne dis pas qu'il faut «positiver» naïvement, je ne parle pas de rêves chimériques. Je parle de l'Espérance (pas de l'espoir). C'est de savoir distinguer dans les ténèbres, dans la lourdeur des jours, dans l'ineptie ambiante, malgré la bêtise de beaucoup d'hommes (et parfois la nôtre), le germe du Salut, de la Vie véritable, de la fraternité sans faille, d'une Vérité qui pointe, de l'avènement de la justice et de la paix».

Ce à quoi, je répondis joyeusement : «Concernant l'Espérance et la Joie, disons que j'apporte une note d'altérité. Le Franc-Maçon notoire, Ancien des Jésuites, passablement agnostique... Mais, qui ne renie finalement rien...».

Retour vers le futur

Éternel recommencement comme les pluies de «fahavaratra» (littéralement quand-frappe-la-foudre, à la saison des pluies) et les inondations consécutives (23.000 sans-abri et une dizaine de morts en ce mois de janvier 2022) dans les «bas-quartiers» de la Capitale Antananarivo.

La double cécité-surdité des autorités successives, à lire ou entendre les multiples avertissements de nombreux techniciens et observateurs contre une urbanisation dans la plaine rizicole du Betsimitatatra qui entourait jadis la colline originelle : également un éternel recommencement.

La pression des spéculateurs fonciers, qui emportent l'assentiment a posteriori d'une administration mise devant le fait accompli : un tout aussi éternel recommencement depuis que l'administration coloniale avait cédé devant les hommes d'affaires, lesquels ont obtenu l'arasement de la butte d'Antanimena pour remblayer d'anciennes rizières et faire place

à la gare du lieu-dit Soarano : la-bonne-eau qui stagne dans les caves du Point Kilométrique Zéro de la ligne ferroviaire Antananarivo-Océan Indien.

L'année 2020 s'était achevée par un armistice fragile après le fait accompli de la construction d'une arène romaine incongrue dans le Rova royal d'Antananarivo . L'année 2021 laisse à 2022 la dispute et les règlements autour du projet des 13 kilomètres (et 152 millions d'euros) de téléphérique dans la Capitale alors que, dans le reste du pays, de nombreuses routes nationales ne sont plus que bourbiers infranchissables.

La saison des pluies est également celle des reboisements. Chaque année, dans l'enthousiasme général, d'autant plus général qu'il est abondamment médiatisé, des milliers de jeunes plants sont fichés en terre. Sauf qu'au coeur de la saison sèche, le constat demeure invariablement le même : Madagascar perd régulièrement chaque année considérablement plus que l'île ne gagne en couverture forestière. La persévérance à planter sans suivi, et sans doute également sans enracinement dans les communautés riveraines, semble n'avoir d'égal que l'absurde obstination des auteurs de feux de brousse, cultures sur brûlis et autres charbonnages.

Ne pas recommencer indéfiniment la même erreur de faire fi du contexte, socio-économique là, physique et topographique ailleurs, culturel ici. L'enracinement du christianisme sur les Hautes Terres centrales, de l'Imerina, du Betsileo, de l'Antsihanaka, tiendrait-il pour partie à l'édification au XIXème siècle de magnifiques temples et de belles cathédrales (Andohalo, Ambositra, Fianarantsoa) dont la geste s'inscrivait dans la démarche globale d'une monumentalisation des édifices, à l'exemple de l'évolution architecturale, qu'a connue de 1839 à 1875, le palais de Manjakamiadana qui coiffe la colline d'Antananarivo ?

En pays tsimihety, en pays sakalava, en pays antambahoaka, comment inventer cette majesté qui tienne lieu de phare dans le paysage avec des méthodes (de conception, de choix des matériaux, de participation) traditionnelles ? S'inscrire dans le paysage et imprégner deux ou trois générations qu'on mettrait à contribution, mais a-t-on loisir de laisser du temps au temps dans l'urgence contemporaine de la mission chrétienne face à la concurrence subventionnée de l'islam ?

Dans la deuxième moitié du XIXème siècle malgache, Protestants (arrivés en 1820) et Catholiques (actifs à partir de 1861) se disputèrent des villages et l'armistice a laissé dans le paysage autour d'Antananarivo une dualité de clochers guère éloignés l'un de l'autre. Ces querelles étaient portées devant le Premier Ministre quand l'apostasie d'un «Raiamandreny» s'accompagnait de la perte d'un édifice cultuel que la communauté, qui l'avait édifié, «emportait» littéralement avec elle, faisant d'un ancien temple une nouvelle église et réciproquement.

En ces premières heures du christianisme, que comprenait la grande majorité des Malgaches à l'engagement en faveur de tel «Credo» ou à la signification profonde de telle «Confession» ? Et, dans leur apparente naïveté, les uns et les autres ne renouaient-ils pas ainsi, sans le savoir, avec l'essentiel qui est la croyance «en un seul Dieu le/notre Père» ?

«Miova Andriana, miova sata», «cujus regio, ejus regio» : païens nationalistes sous Ranavalona 1ère (1828-1861), massivement protestants sous Ranavalona II (1869), confortés dans le choix catholique après l'arrivée du Gouverneur Général Gallieni (1896). Il aura fallu l'ingrédient essentiel du temps, permettant une lente mais authentique appropriation, pour que les subtilités obédientielles (dans leur ordre d'apparition à Madagascar : Londres, Rome, Augsbourg, Genève) s'affirment les unes aux autres. La démarche oecuménique, entamée par le comité oecuménique de théologie de 1970 et consacrée par la création du FFKM (conseil des églises chrétiennes à Madagascar) en 1979, interroge les fidèles en une démarche à rebours : comment concilier l'oecuménisme et les particularismes qu'on aura mis tant de décennies à inculquer ?

Le temps, politique et de la Cité, qui semble s'égarer à tourner en rond. Le temps, religieux et oecuménique, qui doit mieux dégager le trait de son dessein, afin de ne pas exposer la grande famille des églises historiques de Madagascar à l'exhumation de vieilles querelles, autrement qu'en leur assurant la loyauté renouvelée du «Famadihana», les double funérailles.

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