Dans les Îles du Saloum, la situation n'est guère plus reluisante qu'à Djiffer. Pour ces insulaires qui ne connaissent que la mer, la présence d'une compagnie pétrolière n'est rien de plus qu'un «compagnonnage encombrant». Les insulaires du Saloum sont si proches de l'océan qu'on les appelle Ñominkas c'est-à-dire «sérères pieds dans l'eau». A l'image des 19 autres Îles qui composent cet archipel, Niodior et Dionewar, les deux voisins à la vue paradisiaque, pleurent des larmes craintives que ne dissipent, pour l'instant, que la solidarité et l'entraide si chères aux villageois. Ce second et dernier jet du reportage-dossier, réalisé dans cette zone, s'intéresse aux Îles jumelles de Niodior et Dionewar, qui offrent un visage inquiet face à Sangomar, la mythique.
Dans les îles du Saloum, l'enclavement est une réalité. Après Djifer, un village de pêcheurs découvert, le dimanche 11 juillet, sous toutes ses splendeurs et ses inquiétudes et avenir incertain, en perspective de la mise sur le marché des premiers barils de pétroles des blocs de Sangomar Offshore et Sangomar Offshore Profond de Woodside, initialement prévue en fin d'année 2023 mais repoussée jusqu'en juin 2024, place à Nidior et Donewar. Les deux îles jumelles offrent également un visage inquiet face à Sangomar, la mythique.
Pour aller à Niodior ou Dionewar, il faut se plier aux humeurs des piroguiers qui quittent Djiffer. Ces «horaires» de la mer ou «courriers», l'appellation locale, fixent le départ à 11h du matin pour Niodior. Il est plus facile d'avoir une pirogue en partance pour Dionewar que Niodior. Les campements hôteliers en seraient la raison.
Le lendemain, lundi 12 juillet, il est 11h03min. Le capitaine de la pirogue effectue ses premières manoeuvres. Le vrombissement du moteur de l'embarcation donne le top départ. La pirogue chargée de tout, alimentation, électroménagers, entre autres, fonce sur l'eau, laissant derrière un quai (de Djifer) en permanence activité. Elle vogue au grès des vagues. Ses mouvements sont dictés par le niveau de l'eau.
En pleine mer, elle continue de tanguer, des «secousses» effrayantes mais qui n'ébranlent guère les habitués du trajet. Mieux, certaines femmes en profitent pour se payer une petite sieste, d'autres blablatent et rient à haute voix. Ceux et celles qui effectuent leur baptême de feu se reconnaissent facilement, par la façon dont ils/elles s'accrochent aux rebords de la pirogue. Attitudes qui déclenchent un sourire taquin des autochtones qui n'en n'ont cure de ce diktat de la mer.
Ñominkas, Une identité en sursis
40 min de trajet dans l'eau et Niodior se dresse charmante. Aperçue de loin, la beauté de son environnement est irrésistible. Ses cocotiers alignés sur la berge sont d'une beauté à ravir. Il en est ainsi dans tout le village. La vue est paradisiaque. Sous l'ombre des pirogues à quai, des pêcheurs s'activent sur leurs filets, d'autres décortiquent du «touffa». Des femmes, charges sur la tête, reviennent des vasières.
Le village est un havre de paix où l'on n'a pas besoin de se démêler comme un diable pour trouver un interlocuteur. Quitte à ce que l'habitant arrête ses activités et se mette à la disposition de son hôte, sans rien attendre en retour. Niodior est hospitalier !
«Ñominkas», à l'image des hommes, les femmes côtoient l'océan. La pêche occupe la presque totalité́ de la population active à Niodior, Dionewar, Falia, Palmarin et les autres Îles du Delta du fleuve Saloum. C'est la raison pour laquelle les habitants, en majorité sérères, sont appelés «Ñominka» qui signifie «Sérère pieds dans l'eau».
La cueillette de pagne et d'huîtres est une chasse gardée de la gent féminine. Elles s'y adonnent avec habilité. Pagne retroussés jusqu'aux genoux, elles n'ont qu'un seul objectif : amasser beaucoup de ces produits à transformer. Cependant, l'atteinte de ce dessein demeure de plus en plus difficile.
A Niodior, les femmes se sont regroupées en Groupements d'intérêt économique (GIE) qui sont devenus, à cause de leur nombre, une fédération. Fatou Ndong Sarr en est la présidente. «Nous faisons la transformation des produits agroforestiers. Mais l'activité principale est la transformation des produits halieutiques. La fédération à 25 groupements qui ont entre 20 et 25 membres» chacun, explique-t-elle.
Les limites et zones interdites en mer, les marées noires, la rareté des ressources... angoissent niodior
A Niodior, les femmes disposent d'un Centre de transformation moderne, financé par des partenaires. Il leur facilite la revalorisation des produits halieutiques de manière modernes. Du fait de la méthode de fabrication qui donne de la qualité aux produits, les clients viennent nombreux et même de l'étranger. Seulement, avec la découverte du pétrole, le devenir du centre inquiète la présidente de la fédération, Fatou Ndong Sarr.
«Nous craignons pour la survie de notre activité. Il y aura des limites en mer, c'est sûr. L'interdit concernera surtout les usagers des filets de pêche et ça nous touchera parce que nous transformons tout. Si les piroguiers n'ont pas assez de ressources, nous serons touchées. On nous parle aussi de marées noires et ses conséquences comme une des dérivés de l'exploitation du pétrole ; ça nous fait peur. On nous montre des images de ce genre. Nous ne souhaitons vraiment pas être confrontés à ce genre de situation».
Fatou Ndong Sarr d'ajouter : «nous avons investi beaucoup d'argent dans l'unité de transformation. Nous ne pensions pas qu'une découverte de pétrole aurait lieu. Si le pétrole a des impacts sur notre activité, ce sera vraiment en notre défaveur. Les équipements et la construction nous ont pris des millions et on fait plusieurs formations aussi. En s'engageant sur le projet, nous avions l'espoir qu'on a trouvé une bonne fois, un moyen de survivre. Ce serait vraiment regrettable qu'il tombe en ruine».
Les femmes transformatrices de Niodior sont toujours sans nouvelles de leur voisin, le futur exploitant des gisements de Sangomar.
«Peut-être que les autorités locales sont saisies. Lors de rencontres, on nous dit que Woodside a fait ceci ou cela. Les autorités nous servent d'intermédiaires. Nous ne sommes pas directement saisies par l'entreprise. Nous avons des réserves aussi sur cette posture parce que les intermédiaires peuvent nous rapporter des propos contraires à la réalité. Les exploitants devraient nous rencontrer, pour qu'on puisse leur parler de nos problèmes», plaide Fatou Ndong Sarr.
La transformation de produits halieutiques est la seule occupation des femmes, y compris des jeunes. Avant la disponibilité des premiers barils de Sangomar, les difficultés ne manquent pas.
«La transformation des produits halieutiques était réservée à une tranche d'âge. Maintenant, on a pris l'option de maintenir, dans le village, des jeunes filles qui d'habitude partaient à Dakar pour faire des travaux domestiques. Il y a la pression sur la matière première. Les femmes font à peu près 6 heures en mer pour ne récolter qu'un sac, là où elles en avaient plusieurs. Notre principale difficulté reste la disponibilité de la matière première. Déjà, avant la découverte du pétrole, nous étions durement touchés par les changements climatiques. Certaines vasières d'où nous faisons nos cueillettes sont ensablées. Les espèces ne peuvent plus y vivre. Le milieu n'est plus adapté».
Dionewar pense au pire
Niodior, c'est un vécu sans pollution. La vie en communauté est perceptible. Les vieux regroupés au Penc, (assemblée locale) saluent leur hôte avec déférence. Les femmes, réunies autour du bol de riz au milieu des concessions, invitent le visiteur, venu à l'improviste, avec insistance. Dionewar et Niodior, il suffit juste de quelques galops d'un cheval scellé à une charrette ou le service d'une moto pour se retrouver dans l'un ou l'autre village. Il faut au préalable passer par le pont qui traverse une mangrove rongée par l'ensablement.
A Dionewar, les stigmates de l'avancée de la mer sont déjà là. Les vagues frappent jusque derrière les murs de clôture des maisons, rendant ainsi l'insalubrité chronique. Dionewar, qui subit de plein fouet les effets des changements climatiques, joue sa survie. Comme à Niodior, la vue de cette île est un pur délice. Ses cocotiers et autres arbres ombrageux suscitent l'envie des natifs des zones arides.
Il fait chaud, selon les habitants. Mais la température n'est pas aussi impitoyable, comme il en serait quelques parts ailleurs dans l'hinterland. Ici, le repas est donné avec tout le respect, parfois même plus que nécessaire. Le visiteur est servi en premier. Les villageois prennent le risque de laisser la primeur du bol de riz à l'hôte qui ne doit pas ainsi être trop gourmand, au point d'oublier que ses restes seront le repas de son bienfaiteur.
La responsable de la Fédération locale de GIE de femmes de Fatick (FELOGIE 1), Fatou Sarr, totalise plus d'une trentaine d'années dans la transformation. Son organisation a reçu, en 1996 et en 2003, le Grand Prix du Chef de l'Etat pour la Promotion de la Femme. Un Centre de transformation comme celui de Niodior est le réceptacle des transformatrices. La transformation des produits halieutiques, si faste à ses débuts, ne promet pas d'étoiles dans le futur.
«Avant la découverte du pétrole, il suffisait aux piroguiers de faire un tour juste pour avoir une bone capture ; ce qui n'est plus possible. Nous, les femmes, prenaient nos pirogues pour aller à la cueillette de "yokhoss", "yeet", "pagne" à Sangomar. La possibilité est compromise.
Pour le moment, on n'a pas encore de restrictions en mer. Toutefois, nous pensons qu'une fois que l'exploitation aura commencé, nous allons souffrir. Des gens sont venus ici pour nous en parler. Je leur ai dit les conséquences négatives que l'exploitation pourrait engendrer. Les pêcheurs et les femmes transformatrices doivent être accompagnés, pour qu'en cas de difficultés, qu'ils aient un moyen de subsistance. On peut penser à la délocalisation de Dionewar, si le besoin se fait sentir».
«Ce qu'il faut savoir, l'exploitation du pétrole en est en pleine mer, à plus de 80 km des villages »
Fatou Sarr a sous sa responsabilité 700 membres. Déjà les difficultés ne manquent pas. A son avis, «il faut que les responsables de Woodside prennent en compte que l'exploitation peut avoir des conséquences sur nous, les communautés de pécheurs». Sangomar est une Aire marine protégée (AMP). Par soucis de protection, les communautés, sous la conduite de la Direction des Aires marines protégées (DACMP) du ministère de l'Environnement et du Développement durable, organisent la gestion. Des repos biologiques et une gestion communautaire en sont des méthodes d'organisation.
Avec l'exploitation annoncée du pétrole, les populations ont exprimé des craintes, a dit le conservateur, capitaine Cheikh Amadou Diallo. «Il y a une crainte qui est exprimée par les communautés, dès l'instant qu'on a entendu qu'il y a une découverte, exploitation du pétrole en perspective. Ce qu'il faut savoir, l'exploitation est en pleine mer, à plus de 80 km des villages.
Mais, néanmoins, il y a des craintes.Les gens ont tendance à dire que toutes les mesures sont prises pour sécuriser les écosystèmes, les populations et le système de production. Il y a des campagnes de sensibilisation, de plaidoyer pour que toutes les dispositions soient prises pour parer à d'éventuelles catastrophes, menaces par rapport à l'écosystème qui constitue la base de la production pour les populations, les espaces animales et végétales».
Et capitaine Diallo d'ajouter : «De ce fait, des mesures d'accompagnement son entrain d'être mises en oeuvre, d'adaptation au cas où des risques surviendraient. Mais, quand-même, il y a des craintes qui sont nourries, mais ce sont des aspects que nous ne maitrisons pas trop. Dans le cadre des rencontres que nous avons avec les autorités et les compagnies, ils disent avoir pris toutes les dispositions nécessaires pour parer à toute éventualité».
Solidarité et entraide ne s'y proclament pas à Niodior et Dionewar : Elles se vivent
Le soleil se couche, la nuit voile d'une couche sombre et épaisse ces insulaires inquiets sur leur avenir. L'unique certitude est que les habitants de Niodior et Dionewar resteront soudés. La solidarité et l'entraide ne s'y proclament pas, elles se vivent. Il suffit juste que quelqu'un exprime un besoin, pour que les pêcheurs abandonnent filets et pirogues, désertent la mer, pour se mettre à son entière disposition.
Ironie de l'histoire, un pêcheur raconte qu'il s'est transformé en maçon, pour apporter son soutien à un habitant de Dionewar qui construisait sa maison. Le pétrole et le gaz pourront tout enlever à ces populations. Sauf leur joie de vivre et l'esprit d'entraide qui les caractérisent !