En marge de la deuxième conférence organisée par la Conférence des Ministres des Forêts d'Afrique Centrale à Yaoundé au Cameroun tenue du 10 au 12 juillet 2023, le Dr Juliette BIAO, Directrice du Secrétariat du Forum des Nations Unies pour les Forêts, basé à New-York, auparavant, Directrice et Représentante du Bureau Afrique du Programme des Nations Unies pour l'Environnement en Aérobie au Kenya et ancienne Ministre de l'Environnement du Bénin.
"Je voudrais d'abord commencer par les bienfaits de la transhumance transfrontalière avant d'aborder les problèmes auxquels font face les États aujourd'hui par rapport à cette activité. En général nous avons toujours un narratif négatif par rapport à la transhumance transfrontalière et nous avons tendance à oublier ces bienfaits là. La transhumance transfrontalière est une culture, c'est un mode de vie séculaire qui a des bienfaits au quadruple plan économique, environnemental, social et culturel. Tant que la taille du cheptel ne dépassait pas la capacité de charge dans les pays d'accueil, tant que les couloirs sont délimités, cette activité ne posait aucun problème.
Mais aujourd'hui, ce mode de vie à continuer de même manière comme s'il n'y avait pas de changement climatique, comme si les espaces naturels ne s'amenuisaient pas , comme si les ressources dans les pays d'accueil sont inépuisables. À cela, s'ajoute une nouvelle donne qui est l'insécurité. Alors qu'il y'a des groupes de terroristes, de bandits qui sèment la totale confusion dans cette activité de transhumance transfrontalière. Je dirais peut-être parce que je n'en pas une évidence, des personnes même parmi les éleveurs ont perdu leurs cheptels et qui se sont convertis ; ce genre de personne est vite récupérable par des groupes de terroristes et qui ont trouvé une facilité à la vente des armes ou dans une quelconque activité terroriste. Je n'en ai pas la certitude mais ça peut être une possibilité.
Pour faire face à ces problèmes créés par la transhumance transfrontalière aujourd'hui, il est très importante de disposer des données fiables, on ne peut pas gérer une ressource qu'on ne connait pas. Connaître la taille du cheptel... Si l'on veut réduire les conflits, si l'on veut que la transhumance maintienne les bienfaits d'auparavant depuis des siècles. Alors ça passe d'abord par des stratégies et des plans d'actions nationaux conséquents qui doivent se développer dans une approche holistique parce que la transhumance transfrontalière requiert des actions dans plusieurs secteurs de développement
Ce n'est pas que le secteur environnemental, le secteur de l'éducation, il y'a aussi des questions liées à l'exploitation minière, aux infrastructures, à l'épanouissement de la femme, il y'a des questions liées à l'agriculture, bref il faut une approche multidimensionnelle, multisectorielle, c'est une approche de plusieurs gouvernements. Au niveau national, il faut disposer des données fiables sur la transhumance transfrontalière aussi bien dans les pays émetteurs que dans les pays d'accueil, planifier la transhumance transfrontalière et on ne planifie que sur la base des données fiables.
Ensuite la transhumance transfrontalière doit aller au-delà d'un seul Etat. Elle requiert une coopération, une collaboration entre les pays affectés et l'approche doit être inclusive parce qu'on ne peut pas réguler la transhumance transfrontalière sans impliquer les vrais acteurs de cette transhumance transfrontalière. On ne peut pas continuer à mettre de côté les transhumants et espérer que les lois qui sont établies dans les États affectés soient respectées par ces transhumants là. Il faut une approche inclusive et que le droit coutumier et le droit moderne se réconcilient pour une réelle appropriation des actions qui vont être menées.
Avant le droit moderne, les transhumants géraient, les communautés géraient la transhumance transfrontalière sur la base du droit coutumier, on ne peut pas balayer ça du revers de la main si l'on veut vraiment que les actions soient bien appropriées. Il faut des financements conséquents, qui peuvent être de plusieurs sources mais ça commence d'abord par la source domestique, la souveraineté de l'État est de mise dans les questions de transhumance transfrontalière et la souveraineté vient aussi avec la mise en oeuvre des actions régaliennes de l'État surtout que la sécurité s'y est mêlée, ça c'est une fonction régalienne de l'État.
L'inaction dans le cadre de la transhumance transfrontalière aura des coûts très élevés, il vaut mieux prévenir que guérir. Les coûts élevés même au plan environnemental parce que lorsque les écosystèmes sont complètement dégradés, l'on peut arriver à un point de non-retour. L'on peut arriver à une situation irrémédiable. À mon avis, la transhumance transfrontalière ne doit pas être gérée par un seul département sectoriel ; il faut une approche holistique, il faut que la transhumance transfrontalière soit à la charge d'une structure supra-ministérielle, ça peut être au niveau du Vice-président qui maintenant rallie les différents départements sectoriels si on veut que cette activité soit gérée de façon efficace et sectoriel, surtout que la question de la sécurité s'y est mêlée, ce n'est pas le ministère de l'environnement qui gère la sécurité, et donc les accords de partenariat, de collaboration entre les Etats voisins doivent être établis et élaborés dans une approche participative et inclusive.
La question de l'éducation est fondamentale dans la gestion de la transhumance transfrontalière parce que l'éducation est tout, elle permet de changer ou d'influencer les changements de comportement compatible à une gestion apaisée de la transhumance mais c'est un aspect qui a toujours été négligé alors que nous sommes dans un contexte où l'on veut une mise en œuvre efficace des objectifs de développements durables avec le principe de ne laisser personne.
La deuxième conférence sur la transhumance transfrontalière qui a pris fin à Yaoundé au Cameroun a été un succès à mon avis parce que les problèmes ont été abordés de façon ouverte, nous avons constaté justement dans la présentation par les Etats concernés qu'il y'a une réelle politique et elle doit se traduire par l'accélération de la signature des accords pour une gestion apaisée de la transhumance transfrontalière parce que c'est une activité dynamique. Il faut vraiment apporter des solutions le plus rapidement possible. Ça ne doit pas prendre trop de temps vers la signature des accords.
Il y'a des processus qui ont été lancées depuis dix ans et on n'en arrive pas encore à la signature des accords, je crois qu'il faut accélérer ce processus comme je l'ai dit, le coût de l'inaction est élevé et il ne faut pas que nous arrivions à une situation où l'on est au pied du mur avant d'agir en matière d'insécurité ça peut être catastrophique et même en matière de dégradation des ressources naturelles, il faut y aller vite. Moi je reste confiante ; la question des données est fondamentale, il faut planifier, il faut disposer des données fiables si l'on veut vraiment gérer de façon efficace, maîtriser, la réguler, l'encadrer, renforcer la collaboration entre les Etats de la sous-région, partager les expériences avec les autres pays, je voudrais féliciter les organisateurs de cette deuxième conférence parce que j'ai espoir que nous allons vers une gestion apaisée de la transhumance transfrontalière. Je vous remercie".