La nuit du 19 juillet a été l'une des nuits les plus dramatiques de Madagascar, à écrire en caractères gras dans le livre noir de l'histoire du pays. Sans compter sur Neil Andrianandrasana, héros d'un soir de la ville des Mille.
Des jours maudits naissent souvent les nobles sentiments. Jeudi soir, Neil Andrianandrasana a soumis sa personne à l'exercice du héros. Quand des milliers de candidats, candidates et leurs parents se retrouvaient dans les rues, égarés dans la débâcle historique du baccalauréat 2023. Du jamais vu en 60 années d'Indépendance, le fiasco national.
« J'ai grandi à Ivato, j'ai passé mon bac à l'Esca Antanimena, il y a dix ans. J'ai vécu les séances de bousculade pour pouvoir entrer dans le bus. J'ai galéré pour rentrer le soir », se souvient-il. Dans la nuit du 19 juillet, ce jeune homme d'une trentaine d'années a alors compris qu'il fallait agir. Habitant à Ivato, Neil Andrianandrasana a publié son contact téléphonique sur sa page Facebook. Arrivé au niveau des établissements, « Je voyais ces parents attendre leurs enfants, rongés par le froid au niveau du Ceg, ils s'agglutinent pour se réchauffer. Je leur ai demandé d'attendre dans ma voiture », ajoute-t-il. « Je sais ce qu'ils ressentent parce que je suis aussi passé par là, notamment l'inquiétude de comment arriver chez soi ».
Il a sillonné les centres d'examen de la commune. Il vit de la photographie. Il s'en sort. Possède un peu plus que la moyenne. Mais ses galères quand il a passé son bac sont restées enfouies dans sa mémoire. La panique générale de mercredi a fait remonter en lui des images. « Je me souviens que j'ai dû faire du stop pour rentrer. Un couple qui rentrait du travail m'a fait monter dans leur voiture. J'ai savouré ce moment », se rappelle-t-il. C'était donc l'occasion pour lui de rendre la pareille pour le collectif.
Dans sa famille, personne ne s'étonne plus de ses gestes gratuits envers ses concitoyens. Il lui arrive de travailler « gratos » pour prendre des photos de proches ou de connaissances en manque de moyens. « Quand vous avez suffisamment de moyens, le mieux c'est d'aider les autres. Nous avons besoin les uns des autres dans la vie », philosophe le trentenaire. Connaissant les environs d'Ivato, son calcul était simple. Ramener chez eux les parents et leurs progénitures habitant dans des zones non desservies par les bus.
Comme à Soavinarivo, dans les alentours du parc Croc-Farm... « Les parents des candidats et candidates que j'ai ramenés m'ont remercié avec des bénédictions, cela m'a amplement suffi », fait remarquer Neil Andrianandrasana, avec au fond de la voix une sorte d'amertume de n'avoir pas pu faire plus. Vers 21 h 30, il a fini sa mission de ramener chacun à sa porte. Le jeune homme rentre chez lui. « Je n'ai pas pris de photos, je ne voulais pas montrer les visages de ces gens. C'est gratifiant d'aider les gens, mais ce que je souhaite c'est que leurs tourments s'arrêtent ».
Ils étaient une vingtaine, de simples citoyens, à avoir agi comme Neil Andrianandrasana. De Tanjombato, Faravohitra, Itaosy, Ivato, Alasora, Fenoarivo Alakamisy... Sans rien attendre en retour. Des contribuables comme tant d'autres, réveillant l'esprit des « Mille qui ne meurent pas en un jour », des héros d'un jour de fiasco. Les réseaux sociaux ont joué un rôle efficient. Leurs contacts mobiles ont vite été partagés par des centaines d'internautes. Une goutte d'eau dans la mer de la décrépitude sociale ambiante, toutefois un signe d'espoir.