Sénégal: Ansou Sané, Directeur Général De L'Anrac - « Cinq milliards de FCfa sont nécessaires pour la dépollution totale des zones minées en Casamance »

21 Juillet 2023

Frappée par une crise armée sans précédent au début des années 1980, la Casamance n'est totalement pas débarrassée des mines. Des villages ont été rayés de la carte et des milliers de personnes ont fui vers d'autres horizons. Avec l'accalmie, tous manifestent le désir de retourner dans les terres de leurs ancêtres. Mais, il faut d'abord dépolluer certaines zones des mines et autres restes d'explosifs de guerre.

Dans cet entretien, le Directeur général de l'Agence nationale pour la relance des activités économiques et sociales en Casamance (Anrac) pense qu'il faut travailler davantage à mobiliser les ressources financières. Ansou Sané estime que 5 milliards de FCfa pourraient permettre de dépolluer « totalement » toutes les zones (plus d'un million de mètres carrés) contaminées et ciblées par le Centre d'action anti-mines du Sénégal (Cnams).

La Casamance qui a vécu des lendemains incertains est en train de retrouver sa quiétude et les populations veulent retourner dans leurs villages. Cependant, des actions de déminage doivent précéder ce retour. Que fait l'Anrac pour leur faciliter la tâche ?

Le déminage doit être un mauvais souvenir pour les populations de la Casamance. Et c'est dans cette perspective que nous avions tenu au Cap-Skirring, une rencontre avec les différents partenaires techniques et financiers qui soutiennent l'État du Sénégal dans ce processus de déminage, sa politique de paix et de retour des populations déplacées en Casamance. Cette réunion s'est déroulée du 26 au 28 avril 2023.

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Il fallait mobiliser toute la communauté des bailleurs de fonds, notamment l'Usaid et l'Union européenne parce que nous avions senti une faiblesse dans la mobilisation des ressources financières pour accompagner le retour des populations en dépit des efforts consentis par le Gouvernement du Sénégal. Après cette accalmie notée depuis 2012 et renforcée par les opérations de sécurisation de l'armée, nous avons constaté que les défis étaient énormes.

Donc, il faut densifier les financements sur ces questions de déminage et de réinsertion des populations. Je rappelle que, pour le déminage, beaucoup d'efforts ont été faits. Aujourd'hui, plus d'un million 200 mètres carrés ont été déminés. Il ne reste plus qu'un million à déminer, avec des besoins financiers de l'ordre de 3 à 5 milliards de F Cfa. Il faut mobiliser cette enveloppe financière pour permettre la dépollution totale des zones minées en Casamance.

Est-ce que ce montant, une fois mobilisé, peut vous permettre de parachever le processus de déminage longtemps enclenché dans la partie sud du pays ?

Je le crois sincèrement car, l'ensemble des besoins ont été identifiés et évalués par le Cnams. Ils tournent autour de 5 milliards FCfa. À ce niveau, nous avons beaucoup de satisfaction. Parce qu'à l'issue des travaux de Cap-Skirring, nous avons constaté que beaucoup de partenaires qui soutiennent l'État avaient commencé à réagir. C'est le cas de l'Union européenne qui a déjà décaissé un montant de plus de 1500 euros pour pouvoir continuer les opérations de déminage. C'est le cas également de l'Usaid qui soutient les populations dans le cadre de la disponibilité de l'état civil qui est une autre question cruciale.

Des zones restent encore dans le rouge, notamment le Nord Sindian (Bignona), Goudomp, mais aussi Oussouye. Est-ce que les opérations de déminage se poursuivent sur le terrain en ce moment ?

Effectivement ! Elles se poursuivent avec une cartographie établie par le Centre d'action anti-mines du Sénégal (Cnams.) Les équipes de déminage sont actuellement à Basséré, dans l'arrondissement de Nyassia. Le travail se fait sur la base des financements qui sont disponibles mais également, sur la base des conditions sécuritaires et d'un travail bien planifié par le Cnams. Le processus suit son cours. Le Sénégal a obtenu de la communauté internationale une prorogation du délai pour la dépollution des zones contaminées. Pour le respect de ces engagements internationaux, un nouveau délai qui court jusqu'en 2026 est accordé au Sénégal.

Nous pensons que, d'ici là, toutes les conditions seront réunies pour dépolluer toutes les zones minées. L'expertise est là. Nous pensons qu'il y a de l'espoir. D'ici à 2026, le Sénégal pourra honorer cet engagement et permettre aux populations de revenir dans la paix en retrouvant des zones complètement dépolluées.

Outre cette question du déminage, il y a un besoin pressant : le retour des populations. Sur ce cas précis, qu'est-ce qui a été fait jusqu'ici ?

C'est une autre demande accrue des populations. Le retour des populations obéit à la mise en place d'un certain nombre de conditions. D'abord, il y a le déminage, la sécurisation déjà effective, avec la vaste offensive menée par l'armée, la construction des infrastructures sociales de base, notamment les habitats sociaux, les postes de santé, les puits, les pistes de désenclavement, etc.

À côté, il y a la nécessité d'apporter à ces populations-là, une assistance technique pour la réalisation des périmètres maraîchers indispensables à leur survie économique afin qu'elles retournent d'où elles viennent. C'est ce qui nous a également permis de réunir au Cap-Skirring toute la communauté des bailleurs pour prendre en charge ces questions fondamentales.

Beaucoup de partenaires de l'État du Sénégal soutiennent cette question du déminage et du retour des populations, avec parfois une absence d'harmonisation. Peut-on s'attendre désormais à une meilleure coordination des interventions sur le terrain ?

Au terme de l'atelier du Cap-Skirring, nous avons également noté un besoin de coordination. En effet, il y a beaucoup de partenaires qui soutiennent le retour des populations, le déminage, la paix, etc. Tous, font pratiquement la même chose et de façon dispersée. L'Anrac ne jouait pas pleinement son rôle. Désormais, la coordination sera assurée par l'Anrac sous la supervision du gouverneur de la région de Ziguinchor. Ce cadre de coordination est déjà mis en place et le Secrétariat est assuré par l'Anrac. Celui-ci a conduit à la mise en place de plusieurs commissions.

Une commission qui s'occupe exclusivement des questions du déminage, dirigée par le Cnams et une autre qui travaille sur la réinsertion des populations et qui est subdivisée en quatre sous-commissions thématiques. Il s'agit de celle qui traite de la question liée au dialogue communautaire pour pouvoir régler les litiges fonciers, de celle qui s'occupe de la construction des infrastructures sociales de base, une autre qui gère le volet activités génératrices de revenus et la quatrième va s'occuper de la problématique de l'état civil. Ce sont des chantiers trop vastes et qui demandent des moyens assez conséquents.

Nous avons jugé nécessaire de mettre en place ce comité de coordination pour mieux articuler les interventions des acteurs. D'ailleurs, nous allons nous retrouver dans les semaines à venir pour poursuivre la réflexion. Nous devons avoir un tableau de bord parce qu'on doit savoir qu'est-ce que les acteurs envisagent de faire à Bissine, à Santhiaba Manjack, à Djirack, dans le Nord Sindian..., à quels coûts et sur quelle période. Avec l'arrivée de ce comité de coordination, l'Anrac aura désormais les moyens de sa politique. ,

Le retour des populations est effectif dans certaines localités à l'image de Bissine, Samick... Par contre, un retard est noté dans certains villages. Est-ce que l'Anrac va poursuivre ce travail facilitant le retour des populations qui manifestent le besoin de rentrer ?

Dans certaines contrées, le processus de retour a été accompagné en amont par l'Anrac en rapport avec tous les acteurs. Nous avons eu des difficultés au niveau de Santhiaba Manjack à cause de certaines réalités. Mais, juste à côté, nous avons vu que le village de Djirack a bénéficié de l'accompagnement de l'Anrac avec des tôles, la mise à disposition d'un tricycle pour l'évacuation des malades et le transport des populations, la réhabilitation du périmètre maraîcher des femmes, etc. Mahmoudou Goundoumé, dans la commune de Nyassia, a également bénéficié du soutien de l'Anrac.

Nous allons continuer ce travail car, beaucoup de villages des régions de Ziguinchor et Sédhiou attendent impatiemment d'être accompagnés. Dans la commune de Djibanar, département de Goudomp, nous avons noté un retour progressif de 240 ménages. Dans la même zone, d'autres villages tapent à la porte pour bénéficier du même accompagnement. Le retour est une volonté accrue des populations. Et cette dynamique a été renforcée par les opérations de sécurisation menées par l'armée depuis février 2021. Cette vaste offensive de l'armée a permis de neutraliser les bandes armées qui sévissaient dans les zones qui étaient abandonnées.

Outre cette sécurisation, l'armée accompagne le retour des populations par l'installation d'un cantonnement. Elle a changé le paradigme. Ces populations, jadis autonomes, vivent dans des conditions extrêmement difficiles dans les zones d'accueil. Nous sommes là pour les accompagner. C'est notre raison d'être. D'ailleurs, la mise en place du comité ou cadre de coordination qui était une forte demande de tous les partenaires, va nous permettre de remplir pleinement la mission qui est nous assignée.

Vous êtes un responsable politique de la mouvance présidentielle dans la région de Ziguinchor. Pensez-vous que le successeur de Macky Sall doive s'inscrire dans la même dynamique de travailler pour un retour définitif de la paix en Casamance ?

Absolument ! Pendant très longtemps, et avant l'arrivée du Président Macky Sall, les questions de développement et de désenclavement de la Casamance ont été reléguées au second plan. Le Chef de l'État a changé de paradigme. Aujourd'hui, nous avons noté des acquis dans la consolidation de la paix et la construction des infrastructures dans les zones rurales.

Depuis 2012, des investissements de l'ordre de 1500 milliards de FCfa ont été investis en Casamance (...). C'est ce président de la République qui a décidé de ne pas se représenter en 2024. C'est une décision courageuse. Sa décision a rehaussé l'image de ce pays. Et c'est une bonne nouvelle pour la démocratie sénégalaise. Son successeur doit poursuivre la construction de la Casamance déjà entamée par le Président Macky Sall ».

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