Avec ses six quartiers, plus ou moins autonomes, Youtou est l'un des plus gros villages du département d'Oussouye. Retour dans ce bourg de 15.000 habitants, où coule l'eau potable depuis cette année 2023, et qui attend toujours l'achèvement de son électrification mais aussi, la réalisation d'autres infrastructures, telles la construction de sa route à partir de la commune d'Oukout.
ZIGUINCHOR- Le voyageur éprouve toutes les difficultés, pour se rendre à Youtou, à partir d'Oukout, collectivité territoriale traversée par la route nationale, qui mène à la station touristique de Cap-Skirring. Deux options s'offrent aux visiteurs. Certains préfèrent rallier ce village par la voie maritime, à partir du pont de Niambalang. D'autres comme nous, préférons la périlleuse expérience de la route, en ce vendredi 30 juin.
Ce jour-là, le village de Youtou, qui abritait la cérémonie du « Karakhaye », rite de la fécondité qui a lieu tous les 20 ou 30 ans, était en fête. C'est à partir du village d'Oukout que nous avons emprunté une piste latéritique jusqu'à Youtou. Entre notre point de départ et Émaye, le périple était plus ou moins compliqué. La piste étant élargie. Juste après Émaye, à hauteur du cantonnement militaire et des dernières habitations, la route est loin d'être praticable.
L'axe de fortune Taïba-Effock-Youtou reste la plus compliquée. Il ressemble à un sentier abandonné au milieu du parc de la Basse-Casamance. Pourtant, les populations, qui n'ont pas d'autres solutions, ne cessent d'affronter ce trajet avec leurs voitures « Horaire ».
Village qui date de plusieurs siècles, avec son école élémentaire fondée en 1957, Youtou, perdu dans les forêts de la Basse-Casamance, et qui se situe à la lisière de la République de Guinée-Bissau, sollicite l'État pour disposer d'infrastructures sociales de base. Dévasté par le conflit armé en Casamance, à l'image d'Effock, son voisin immédiat, Youtou se relève peu à peu et retrouve la joie de vivre.
Avec l'accalmie dont jouit la Casamance, Pascal Diédhiou, qui travaille à l'Agence pour la sécurité de la navigation aérienne en Afrique et à Madagascar (Asecna) pense que, c'est le « moment ou jamais » de tracer les contours du développement économique et social de ce patelin. Une thèse confortée par le Président du Conseil départemental d'Oussouye, Maurice Diédhiou. Originaire de ce village, il soutient que Youtou va amorcer son essor, le jour où la route sera totalement construite.
« L'enclavement freine le développement de plusieurs villages de la commune de Santhiaba Manjack, notamment Youtou. Construire cette route sera synonyme de développement », poursuit celui qui est élu en janvier 2022, au terme du double scrutin. Représentant de l'État du Sénégal à la cérémonie officielle du « Karakhaye », le Préfet du département d'Oussouye, Maurice Latyr Ndione, a tenu à rassurer tout le monde.
Le chef de l'exécutif départemental rappelle tout d'abord que, le Gouvernement travaille pour le retour d'une paix définitive en Casamance. Se prononçant sur la principale doléance des populations de Youtou, le Préfet d'Oussouye estime que « l'État du Sénégal est conscient des difficultés d'enclavement des villages de Youtou, Effock et bien d'autres. Nous travaillons pour que cette situation puisse être un mauvais souvenir ».
Un site vide « garni » de ressources
Youtou, qui comptabilise aujourd'hui six quartiers, n'était pas ce village devenu si attrayant. Selon le Pr Paul Diédhiou, enseignant-chercheur à l'Université Assane Seck de Ziguinchor, leur village avait été découvert par un chasseur originaire de Bandial, dans le département de Ziguinchor. « Au départ, Youtou était un village vide. Toujours dans les mythes, on nous aurait dit que, le premier habitant de Youtou était un chasseur. Il est venu du Bandial (dans la commune d'Énampore, le royaume d'Affélédio Manga), pour chasser dans les forêts de Youtou. Il avait traversé toutes les rizières avant de découvrir ce site-là, a fait savoir le Pr Paul Diédhiou.
Un endroit que le chasseur avait trouvé très intéressant, parce qu'il regorgeait de potentialités, notamment halieutiques et naturelles, avec la mangrove et la palmeraie pour le vin de palme et les rizières. En effet, « les Diolas aiment la riziculture. Quand les Portugais ont débarqué dans le Sud du pays au XVI siècle, ils avaient trouvé sur place des Diolas qui pratiquaient déjà l'agriculture », explique le socio-anthropologue. Youtou doit son implantation à ce chasseur venu du « Mof Evi » le royaume d'Affélédio Manga. Outre, les habitants de ce royaume, relate le Pr. Diédhiou, d'autres populations sont venues d'horizons divers pour peupler le village.
« Dans l'histoire des bourgs diolas, c'est la conquête des terres. Il y a eu des conflits. Ce qu'on ne dit pas souvent. Beaucoup de gens pensent que la population diola, c'est vraiment l'harmonie. Mais, il y a eu des guerres entres villages parce qu'il y avait des enjeux économiques autour des rizières. Des localités ont conquis et annexé d'autres, pour récupérer leur palmeraie terre et étendre leurs zones d'exploitation. C'est comme ça qu'est né Youtou, avec ses six quartiers », relate-t-il.
Un village, six hymnes
Dans la tradition diola, chaque village a son hymne, « Houwolène », en diola kassa, qui permet aux autres de l'identifier. Lors des cérémonies funéraires d'une personnalité âgée (homme) et les séances de lutte, l'hymne est entonné par tous les villageois. Symbole de bravoure cachant le caractère mystique et mythique de tel ou tel village, ce cantique est sacré chez le diola et peut aussi être entonné pendant les conflits. La particularité à Youtou, c'est qu'on y trouve six hymnes. Quand, on entonne l'hymne d'Essoukail, par exemple, tout le monde doit comprendre que ce quartier va faire son entrée dans l'arène (lors des décès).
« À Youtou, Bringo a son hymne, de même que Kaghar Kanokendo, Bouème, Essoukail et Djibonker. Car, ce sont des quartiers autonomes », indique le Pr Paul Diédhiou. Youtou est l'un des rares villages du département d'Oussouye, où on l'on retrouve plusieurs noms de famille, outre les Diédhiou et Diatta comme c'est le cas dans beaucoup de villages, notamment Siganar, Diantène ou encore Effock, son voisin immédiat.
Ici, on a des Coly, Sambou..., des noms de famille usuels dans le département de Bignona. D'après le socio-anthropologue Paul Diédhiou, c'est le colon qui est à l'origine de tout cela. « Ils sont venus avec leur culture. Sur place, ils ont trouvé des gens avec leurs prénoms diolas. Le colon, n'ayant pas compris la sociologie, a tout changé. C'est pour cette raison qu'il y a tous ces noms de famille importés à Youtou », précise le fils de Bouème.
Village jadis traditionnel, Youtou entrevoit la lumière avec le processus d'électrification qui y est enclenché. Ce gros village a déjà accès à l'eau potable en 2023. Et bientôt, les populations vont contempler, de loin, la lumière qui jaillira des poteaux électriques déjà installés. En attendant l'aboutissement de ce projet ambitieux de l'État du Sénégal qui a décidé d'y ériger une centrale, les populations de ce village se disent impatientes de retrouver, enfin, leur « petite capitale », si dynamique, implantée au milieu des forêts.