Afrique: Cadres juridiques du secteur minier en Afrique - « Avant d'aller à la négociation d'un contrat minier, l'Etat doit évaluer, connaitre ses forces, ses priorités », dixit Dr Moustapha Fall, expert en gouvernance des ressources naturelles

22 Juillet 2023
interview

Moustapha Fall, est Docteur sénégalais en droit public, expert en gouvernance des ressources naturelles, travaillant notamment sur les réformes dans les secteurs minier et pétrolier. Le journal de tous les Burkinabè, Sidwaya l'a rencontré à Yaoundé, au Cameroun, en marge d'une formation sur la gouvernance des industries extractives en Afrique francophone. Dans cette interview, Dr Fall aborde les limites des cadres juridiques qui régissent les secteurs miniers et pétroliers sur le continent. Le juriste sénégalais y évoque également les leviers à actionner pour des cadres juridiques propices à l'optimisation de l'exploitation minière et pétrolière au profit des Etats africains.

Sidwaya (S) : D'une manière globale, quelles sont les principales caractéristiques des cadres juridiques du secteur minier africain ?

Dr Moustapha Fall (M. F) : D'une manière générale, les cadres juridiques miniers des pays africains poursuivent les mêmes objectifs. Le premier objectif est d'assurer une meilleure connaissance et maitrise de leur sous-sol. Ils prévoient également les conditions dans lesquelles les droits sont attribués de manière transparente aux sociétés extractives ; visent à assurer la sécurisation des recettes de l'Etat, une répartition équitable de la rente minière ou pétrolière. Surtout que nous sommes dans le secteur extractif où tout se joue sur le partage la rente.

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En outre, ils comportent des dispositions qui protègent l'environnement, prévoient la promotion du contenu local, les modalités de règlements des différends notamment l'arbitrage. Il faut noter aussi ces cadres juridiques, sont complétés par un cadre contractuel contenantce qu'on appelle la clause de stabilisation qui peut geler ou écarter la réglementation de l'Etat pendant une période donnée.

Mais de plus en plus, dans les codes miniers de dernière génération, il y a une réécriture de cette clause, qui encadre cette stabilisation classique et qui met l'accent beaucoup plus sur la flexibilité et permet à l'Etat de sécuriser les intérêts économiques et de maximiser sur les retombées.

S : Il semble que cette clause de stabilisation est absente dans les cadres juridiques qui régissent le secteur extractif dans beaucoup de pays développés, contrairement à ce qu'on constate en Afrique. Qu'est-ce qui explique ou justifie une telle situation ?

M. F : D'une manière générale, les pays développés prévoient dans la loi, l'essentiel des dispositions qui encadrent leursecteur extractif. Il y a des pays dont le cadre juridique dispose que les contrats miniers ou pétroliers sous soumis aux lois présentes et futures. Ce qui fait qu'il est difficile d'y invoquer cette clause de stabilisation qui est une clause protectrice de l'investisseur privé, et qui de par son origine vise à éviter les risques de nationalisation ou des aléas en termes de risques politiques ou législatifs qui peuvent avoir lieu. Mais de plus en plus, il y a des pays africains qui prévoient des dispositions qui reconnaissent le pouvoir de l'Etat de pouvoir règlementer lorsque cette règlementation vise à protéger un objectif d'intérêt général. C'est pourquoi, de plus en plus, il y a des cadres juridiques qui excluent de la clause de stabilisation les dispositions sur le contenu local, l'environnement, de sorte à permettre à l'Etat de pouvoir légiférer dans ces domaines prioritaires et de pouvoir assurer la protection des droits des communautés.

S : Il y a des critiques qui reprochent aux cadres réglementaire et législatifs africains de ne pas être à la hauteur des enjeux et défis liés à l'industrie extractive sur le continent. Votre commentaire...

M. F : Il faut d'abord rappeler qu'il y a eu une évolution qu'il faut saluer. Au début des années 2000, on avait des codes miniers qui étaient qualifiés de codes attractifs. Car, à l'époque l'objectif était d'ouvrir le marché, d'attirer davantage les investisseurs. Mais les dernières générations de codes miniers sont des codes qui visent essentiellement à sécuriser les intérêts économiques des Etats.

Ce sont donc de nouveaux codes miniers qui de plus en plus prévoient moins de clauses de stabilisation, d'exonérations et définissent de manière très claire les conditions d'attribution des permis avec la possibilité de recourir à l'appel en concurrence dans les zones promotionnelles.

Car, aujourd'hui, les priorités nationales dans la plupart des pays africains résident dans la mobilisation des ressources domestiques, la sécurisation des recettes de l'Etat, laquelle sécurisation ne peut être garantie sans un encadrement de la clause de stabilisation, l'élimination des exonérations, la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales et surtout le transfert des bénéfices.

Car, il y a une manipulation des prix de transferts ; et si l'Etat ne dispose pas d'informations sur toutes les transactions financières des compagnies, quel que soit la nature ou lieu, cela peut également entrainer des pertes, des manques à gagner pour l'Etat. Il faut noter aussi qu'au plan de la fiscalité, certains Etats ont signé des conventions fiscales,qui, si elles ne sont pas révisées ou encadrées, cela peut également favoriser certaines pratiques abusives.

S : Malgré ces efforts d'adaptation au contexte évolutif, les cadres juridiques africains du secteur extractif comportent toujours des insuffisances...

M. F : L'une des limites que l'on peut tout de suite relever est liée au règlement des différends. Aujourd'hui les cadres juridiques, surtout au niveau des contrats, renvoient à l'arbitrage pour le règlement des litiges. Il serait intéressant aujourd'hui de soumettre tous les différends liés aux investissements dans le secteur extractif aux tribunaux nationaux.

Cela ne veut pas dire qu'il y aura un certain patriotisme économique ou un chauvinisme des juges mais permet de garantir la position de l'Etat et de mieux sécuriser les ressources. Car, certes l'arbitrage assure la confidentialité, l'impartialité mais coûte chère, ne garantit pas que l'Etat puisse avoir gain de cause.

L'une des limites aussi est que dans leur applicabilité, les codes comportent des dispositions transitoires qui ne précisent pas l'entrée en vigueur ou l'application par rapport aux situations antérieures. Souvent, on a des codes miniers qui se succèdent dans le pays et de façon pratique, les entreprises ne sont pas soumises aux mêmes situations juridiques. Et cela crée une fragmentation du système juridique de l'Etat. C'est pourquoi les pays qui adoptent de nouvelles législations doivent s'assurer, sans remettre en cause les droits de l'investisseur, que le nouveau code ou cadre juridique s'applique à toutes les situations contractuelles.

S : Il se dit aussi les codes miniers africains comportent des insuffisances en matière de sous-traitance, de contenu local, d'exonérations... Qu'en est-t-il réellement ?

M. F : En matière de contenu local, il faut saluer la nouvelle tendance. De par le passé, nos pays ne disposaient pas de législations en matière de contenu local. Aujourd'hui, nos pays se dotent de dispositions législatives assez denses pour expliquer la classification des activités, préciser les parts minimales réservées aux entreprises nationales en termes de fournitures de biens et services. Si les législations nationales ne définissent pas les parts minimales réservées aux entreprises locales en fonction de l'évolution du projet minier, il serait difficile de quantifier la part du contenu local. Tout compte fait, les pays d'Afrique francophone ont tiré leçons des autres pays. C'est pourquoi, ce sont de nouveaux codes qui sont adoptés avec des modèles de contrats, des commissions d'examen et de négociation des contrats, surtout avec l'adhésion aux normes internationales de transparence comme l'Initiative pour la transparence des industries extractives. Et tout cet arsenal permet aujourd'hui d'avoir un cadre qui est favorable à une gestion optimale des ressources. Mais ce n'est pas suffisant, il faudrait accompagner cela avec un renforcement de capacités des acteurs, parce que l'industrie extractif est un secteur complexe.

Pour ce qui est de l'exonération, elle n'est pas mauvaise en soi. Mais il faudra l'encadrer. Quand la société minière est en phase d'exploration, on peut lui accorder une exonération de courte durée. Mais, quand elle entre en production, il faut supprimer l'exonération. Nos pays comptent beaucoup sur les recettes fiscales ; si les exonérations fiscales durent, cela fait des manques à gagner. C'est pourquoi, il est recommandé d'évaluer périodiquement les exonérations fiscales pour voir combien elles coûtent à l'Etat.

S : La négociation des contrats miniers est une étape importante. Quels sont les leviers ou les éléments sur lesquels les Etats africains doivent miser au cours de cette phase de négociation pour davantage tirer le meilleur parti de leur secteur minier ?

M. F : Pour ce qui est de la négociation, il faut retenir trois principes. D'abord, avant d'aller à la table de la négociation d'un contrat minier, l'Etat doit évaluer, connaitre ses forces, le potentiel du gisement, s'assurer surtout de la valeur réelle du gisement. Le deuxième principe est que l'Etat doit connaitre ses priorités, cela est très important. Est-ce qu'au niveau du pays, il y a une vision claire en matière d'industrie extractive ? Si oui, l'Etat, dans la négociation, doit pouvoir s'adosser à cette vision afin de mieux défendre sa position.

L'autre principe est que l'Etat doit connaitre l'investisseur, s'assurer qu'il n'est pas impliqué dans des antécédents criminels ou douteux. Ce qu'il faut ajouter à ces principes, c'est la nécessité d'avoir un modèle de contrats qui a l'avantage de permettre d'identifier des clauses à soumettre ou exclure de la négociation. Disposer d'un modèle de contrat permet d'aller à la négociation avec une position avantageuse, contribue à réduire l'asymétrie d'informations. Il est souvent recommandé de soumettre moins de clauses à la négociation notamment celles relatives au contenu local, à la fiscalité et à l'environnement.

S : L'un des problèmes dans le secteur minier, c'est aussi l'absence des communautés locales lors des phases de négociations des contrats miniers...

M. F : Selon le système de l'Etat en question, il y a de plus en plus des modèles d'accords qu'on appelle accords de développement locaux qui sont signés entre les communautés et la compagnie. Selon la législation nationale, le processus de négociation n'implique pas les communautés locales ; ce qui fait qu'en aval, elles ne sont pas présentes dans la négociation. Mais cela ne veut pas dire que les intérêts des communautés ne doivent pas être prises en compte, car elles attendent beaucoup de l'industrie. C'est pourquoi, même s'il faut les associer en amont, il faut garantir la transparence et s'assurer que les mesures de mitigation, de réhabilitation, de compensions prévues soient respectées par la compagnie.

S : Il y aussi l'éventualité que nos cadres juridiques soient influencés par les multinationales minières. Est-ce une pratique qui est d'actualité ?

M. F : Il est difficile de le dire en ces termes. Ce qui est sûr, il y a des compagnies multinationales qui disposent des budgets qui dépassent ceux de certains États africains. Les compagnies ont un pouvoir d'influence qui fait que si l'Etat n'est pas vigilant, cette influence peut s'exercer.

Dans tous les cas, l'Etat doit se renforcer. Ce qui est important, est qu'on instaure une relation contractuelle équilibrée, car il ne faut perdre de vue que l'industrie extractive est une industrie purement capitalistique. La société minière cherche à maximiser son profit, à garantir le retour sur investissement ; et l'Etat veut optimiser ses revenus, les retombées, etc. Mais cet équilibre est souvent très difficile à obtenir. Et l'influence ne manque pas dans le secteur extractif car il y a souvent beaucoup d'enjeux géostratégiques à sauvegarder.

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