Nairobi — L'UA et la CEDEAO devraient faire pression pour mettre fin aux abus et demander des comptes
Les forces armées maliennes et des combattants étrangers apparemment membres du groupe Wagner, lié à la Russie, ont exécuté sommairement et fait disparaître de force plusieurs dizaines de civils dans le centre du Mali depuis décembre 2022, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui. Ils ont détruit et pillé des biens appartenant à des civils et auraient torturé des détenus dans un camp militaire.
Le 16 juin 2023, le ministre malien des Affaires étrangères, Abdoulaye Diop, a demandé au Conseil de sécurité des Nations Unies le retrait « sans délai » de la Mission multidimensionnelle intégrée pour la stabilisation au Mali (MINUSMA), invoquant une « crise de confiance » entre les autorités maliennes et la force de maintien de la paix de l'ONU, forte d'environ 15 000 membres. Le 28 juin, le Conseil de sécurité des Nations Unies a décidé de « mettre fin au mandat de la MINUSMA », mais de maintenir son personnel jusqu'au 31 décembre pour planifier et mettre en oeuvre la cessation des opérations et le transfert des tâches.
« Le retrait imminent des forces de maintien de la paix de l'ONU rend plus crucial que jamais la protection des civils par les autorités maliennes et la prévention de nouveaux abus lors d'opérations militaires », a déclaré Carine Kaneza Nantulya, Directrice adjointe de la division Afrique à Human Rights Watch. « L'Union africaine et la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest devraient faire part de leurs préoccupations quant aux graves abus commis par les forces armées maliennes et les présumés combattants affiliés au groupe Wagner, et accroître la pression sur les autorités maliennes pour qu'elles y mettent fin et demandent des comptes aux responsables de ces abus. »
Entre le 1er mars et le 30 mai, Human Rights Watch a mené des entretiens téléphoniques avec 40 personnes qui ont eu connaissance des incidents survenus dans le centre du Mali. Il s'agissait de 20 témoins d'abus, 3 membres de familles de victimes, 2 leaders communautaires, 5 activistes de la société civile malienne, 8 représentants d'organisations internationales et 2 analystes politiques spécialistes du Sahel. Human Rights Watch a également examiné une vidéo montrant des abus commis par des soldats maliens et des membres des forces étrangères qui leur sont associées.
Le 26 juin, Human Rights Watch a transmis deux lettres aux ministres de la Justice et de la Défense du Mali, pour leur faire part en détail de ses conclusions sur les allégations d'abus et leur poser des questions à ce sujet. Dans sa réponse, en date du 20 juillet, par l'intermédiaire du ministre des Affaires étrangères et de la Coopération internationale, le gouvernement a indiqué qu'il n'était au courant d'aucune violation des droits de l'homme, mais que « le Procureur de la République en charge du Pôle judiciaire spécialisé, sur instruction du Ministre de la Justice et des droits de l'Homme, a ouvert une information judiciaire pour crime de guerre et crime contre l'humanité contre X » et que « résultats des différentes enquêtes seront portés à la connaissance de l'opinion nationale et internationale en temps opportun. »
Les personnes interrogées ont déclaré que les forces armées maliennes avaient commis ces abus lors d'opérations militaires menées en réponse à la présence de groupes armés islamistes dans les villages de Ouenkoro, Séguéla, Sossobé et Thioffol, dans les régions de Mopti et de Ségou. Lors de ces opérations, à l'exception de celle de Thioffol, des témoins ont fait part de l'implication d'hommes étrangers armés, non francophones, qu'ils ont décrits comme « blancs », « Russes » ou « appartenant à Wagner ». Ces cas ne représentent qu'une fraction des abus perpétrés au Mali par les forces armées maliennes et les combattants étrangers qui leur sont associés depuis l'année passée.
« J'étais au marché quand les tirs ont commencé [et] j'ai vu trois hélicoptères militaires qui volaient à basse altitude, l'un d'eux était en train de tirer », a déclaré un homme de 28 ans qui se trouvait dans le village d'Ouenkoro le 23 mars. « Les gens ont fui dans toutes les directions. ...J'ai pris ma moto et j'ai roulé aussi vite que possible. J'ai vu deux personnes s'effondrer derrière moi, abattues par les hélicoptères. »
Le 3 février, de nombreux combattants étrangers « blancs » en uniforme ont lancé un assaut contre le village de Séguéla, qui s'est soldé par des passages à tabac, des pillages et l'arrestation de 17 hommes. Les corps de huit d'entre eux ont été retrouvés par la suite.
En décembre 2021, le gouvernement militaire du Mali a confirmé la présence d'instructeurs militaires russes au Mali dans le cadre d'un accord bilatéral avec la Russie, tout en niant la présence de combattants du groupe Wagner. Il existe néanmoins des preuves de plus en plus claires d'activités et d'abus commis au Mali par le groupe Wagner, une société de sécurité militaire privée sponsorisée par Evgueni Prigojine et lié à la Russie. Prigojine était un proche allié du président russe Vladimir Poutine jusqu'à ce que les tensions entre le ministère de la Défense russe et le groupe Wagner s'intensifient en Russie le 24 juin.
Le 1er mai, le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a reconnu dans un entretien accordé à une chaîne d'information italienne que le groupe Wagner « fournit des services de sécurité » au gouvernement malien. Dans une interview accordée le 26 juin au média russe RT, Lavrov a déclaré que des membres du groupe Wagner se trouvaient au Mali et « y travaillent en tant qu'instructeurs. Ce travail, bien sûr, se poursuivra ». Le 25 juin, le président russe Vladimir Poutine a déclaré que le groupe Wagner était entièrement financé par le Kremlin. « Je tiens à souligner et je veux que tout le monde le sache : la maintenance de l'ensemble du groupe Wagner a été entièrement assurée par l'Etat », a déclaré Poutine lors d'une réunion avec des responsables du ministère russe de la Défense, selon les agences de presse publiques TASS et Ria Novosti. « Depuis le ministère de la Défense, avec le budget de l'État, nous avons entièrement financé ce groupe. »
Dans sa réponse du 20 juillet à Human Rights Watch, le ministre malien des Affaires étrangères a déclaré que les forces armées maliennes «conduisent les opérations militaires de façon totalement autonome», et qu'aucune autre force étrangère ou milice pro-gouvernementale « ne participe aux opérations sur le terrain».
Yvan Guichaoua, un éminent analyste politique, spécialiste des questions portant sur le Sahel, a déclaré à Human Rights Watch qu'« en exigeant le retrait de la MINUSMA, les autorités maliennes se placent dans une relation sécuritaire exclusive avec Wagner, dont la façon de mener la guerre menace les civils et dont la fiabilité est discutable, comme l'ont démontré les récents événements en Russie ».
Le 25 février, le Conseil de l'Union européenne (UE) a imposé des « mesures restrictives supplémentaires » à l'encontre du chef du groupe Wagner au Mali, affirmant que « des mercenaires de Wagner ont été impliqués dans des actes de violence et de nombreuses violations des droits de l'homme ». Ces mesures restrictives, qui comprennent des gels d'avoirs et des interdictions de voyager, s'ajoutent aux mesures que le Conseil de l'UE a adoptées en décembre 2021 à l'encontre de personnes et d'entités liées au groupe Wagner, dont ce groupe lui-même.
Le 27 juin, dans un communiqué de presse diffusé sous format audio, Prigojine a déclaré que « les forces de Wagner dans les pays africains et arabes ont travaillé exclusivement dans l'intérêt de la Fédération de Russie ».
Le 25 mai, le département du Trésor des États-Unis a imposé des sanctions à Ivan Maslov, le chef du groupe Wagner au Mali, « pour son implication dans les actions du groupe Wagner au Mali ». Le même jour, le département d'État américain a imposé des restrictions de visa à deux commandants militaires maliens, le colonel Moustaph Sangare et le major Lassine Togola, « pour leur implication dans des violations flagrantes des droits humains ». Le 27 juin, le département du Trésor des États-Unis a imposé des sanctions à Andrey Nikolayevich Ivanov, un dirigeant du groupe Wagner Group qui « a travaillé en étroite collaboration avec l'entité Africa Politology de Prigojine et de hauts responsables du gouvernement malien sur des contrats d'armement, des entreprises minières et d'autres activités du groupe Wagner au Mali », pour « avoir agi ou prétendu agir pour ou au nom, directement ou indirectement, de Prigojine ».
Human Rights Watch a précédemment documenté de graves abus commis lors d'opérations de contre-insurrection menées par les forces de sécurité maliennes et des combattants qui leur sont associés, supposés appartenir au groupe Wagner, depuis 2022.
Des groupes armés islamistes ont également commis plusieurs abus graves, notamment des exécutions illégales, des pillages et des destructions de biens civils.
« Les soldats nous considèrent comme des djihadistes, mais les djihadistes ont menacé d'imposer un embargo sur notre village si nous ne nous conformions pas à leurs lois », a déclaré un habitant d'Ouenkoro. « Les autorités de l'État ne sont pas ici pour nous protéger. Nous n'avions pas d'autre choix que d'accepter leurs ordres [des djihadistes]. Et maintenant, les soldats nous traitent comme des terroristes. Nous sommes entre le marteau et l'enclume. »
La plupart des hommes qui, selon les informations de Human Rights Watch, ont été tués, arrêtés ou ont fait l'objet de disparitions forcées appartenaient à l'ethnie peule dont de nombreux membres pratiquent l'élevage. Les groupes armés islamistes ont concentré leurs efforts de recrutement sur les communautés peules en exploitant les griefs qu'ils entretiennent à l'égard du gouvernement et d'autres groupes ethniques.
Toutes les parties au conflit armé au Mali, y compris les membres de groupes armés étrangers, sont tenues de respecter le droit international humanitaire. Le droit applicable inclut l'article 3 commun aux conventions de Genève de 1949 et le droit international coutumier. L'article 3 commun interdit le meurtre, la torture et les mauvais traitements de personnes en détention. Les personnes qui commettent des violations graves des lois de la guerre avec une intention criminelle se rendent responsables de crimes de guerre.
« Les autorités maliennes finiront par se rendre compte que le départ des Casques bleus affectera gravement la protection des civils et la surveillance des abus commis par toutes les parties », a déclaré Carine Kaneza Nantulya. « Le gouvernement malien devrait permettre à des experts indépendants de l'Union africaine, de la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples et de la CEDEAO de documenter l'évolution de la situation des droits humains sur le terrain, en collaboration avec la Commission Nationale des Droits de l'Homme. »
Pour lire des témoignages au sujet d'abus et d'autres informations détaillées, veuillez voir ci-dessous. Les noms des personnes interrogées n'ont pas été divulgués pour leur protection.
Conflit armé au Mali
Les hostilités se sont intensifiées dans tout le Mali depuis 2022, alors que les forces armées maliennes menaient d'importantes opérations de contre-insurrection contre le Jamaa Nusrat al-Islam wal-Muslimin (Groupe de soutien à l'Islam et aux musulmans, GSIM), affilié à Al-Qaïda, et l'État islamique dans le Grand Sahara (EIGS), un groupe rival. Le GSIM et l'EIGS ont fréquemment attaqué des civils. Selon l'Armed Conflict Location & Event Data Project (ACLED), un projet de collecte de données, d'analyse et de cartographie des crises, au moins 5 750 personnes ont été tuées lors de plus de 1 740 incidents dans les 10 régions du pays entre janvier 2022 et mars 2023. La violence, qui s'est étendue à d'autres pays du Sahel, dont le Burkina Faso, a exacerbé une crise humanitaire déjà grave, avec 8,8 millions de personnes en besoin d'aide et quelques 412 000 personnes forcées de quitter leur foyer.
En août 2022, la France a retiré le dernier de ses 2 400 soldats du Mali, mettant fin à une opération de contre-insurrection qui a duré neuf ans. Les relations entre les deux pays se sont détériorées suite aux deux coups d'État militaires au Mali, en 2020 et 2021. Après le coup d'État de 2021, l'Union africaine et la CEDEAO ont suspendu le Mali en tant que membre de leurs organisations respectives.
En février, les autorités maliennes ont ordonné au responsable des droits humains de la MINUSMA, Guillaume Ngefa-Atondoko Andali, de quitter le pays en l'accusant d'« actions déstabilisatrices et subversives ».
Le 16 juin, le ministre des Affaires étrangères, Abdoulaye Diop, a demandé au Conseil de sécurité des Nations Unies de retirer « sans délai » la force de maintien de la paix de l'ONU et a rejeté un rapport de l'ONU publié le 12 mai, accusant les troupes maliennes et les combattants du groupe Wagner d'avoir tué plus de 500 personnes - la plupart exécutées sommairement - au cours d'une opération militaire à Moura, dans le centre du Mali, en mars 2022. Le gouvernement a dénoncé ce qu'il considère comme « l'instrumentalisation et la politisation de la question des droits de l'homme ».
Le 19 juin, les autorités maliennes ont annoncé qu'elles engageraient des poursuites pour espionnage contre les auteurs du rapport de l'ONU sur le massacre de Moura. Le procureur de la République, Ladji Sara, a déclaré dans un communiqué que les auteurs du rapport sont « tous coauteurs ou complices des crimes d'espionnage et d'atteinte au moral de l'armée de terre ou de l'aviation ».
Dans sa réponse du 20 juillet à Human Rights Watch, le ministère malien des Affaires Etrangers et de la Coopération international a qualifié l'approche de Human Rights Watch en matière de collecte de preuves de " biaisée" et a regretté " la légèreté dans le recoupement des faits allégués et le déséquilibre dans les conclusions qui en découlent ". Le ministère a également noté que les forces armées maliennes sont "professionnelles", formées aux droits de l'homme et au droit international humanitaire et "agissent dans le strict respect des droits de l'homme et du droit international humanitaire". Le ministère a conclu en déclarant que le gouvernement du Mali « demeure ouvert à la poursuite du dialogue avec l'ensemble des partenaires qui oeuvrent de bonne foi pour la défense et la promotion des droits de l'homme. »
Thioffol, région de Mopti, 18 décembre
Le 18 décembre, des soldats maliens ont tué illégalement quatre civils, dont trois femmes et une fille, et ont blessé deux autres femmes, dans et autour de Thioffol, un hameau peul situé dans le village de Boulikessi. Un combattant islamiste et trois civils qui se trouvaient près de lui, dont un homme âgé, ont également été tués lors d'un échange de tirs avec des soldats maliens.
Human Rights Watch a mené des entretiens avec trois témoins de l'attaque, et un proche de trois des personnes tuées.
Un témoin a déclaré que vers 10 heures, un véhicule militaire malien avec au moins six soldats maliens, qui faisait partie d'un grand convoi, avait croisé un groupe de cinq hommes, dont un combattant islamiste, assis sous un arbre à la périphérie de Thioffol. Le combattant islamiste a tiré sur le véhicule militaire et les soldats ont répondu en ouvrant le feu et en tuant le combattant et trois des civils. Un témoin, un éleveur de Thioffol, a déclaré :
J'étais avec trois amis sous un arbre non loin du village, quand un homme est arrivé en moto. J'ai remarqué qu'il transportait plein d'armes et de marchandises sur sa moto. Lui-même était armé. Nous nous sommes assis avec lui et nous avons appris qu'il était un djihadiste du Burkina Faso. ... Soudain, le djihadiste ... est monté dans l'arbre. Il nous a dit que des soldats arrivaient. Un véhicule militaire est arrivé juste devant nous. Le djihadiste a sauté de l'arbre, a pris son arme et a tiré sur les soldats qui ont riposté. Ils [les soldats] ont tué le combattant et mes trois amis. J'ai couru aussi loin que je pouvais et je me suis caché.
Les autres véhicules du convoi militaire - constitué d'au moins 12 camionnettes et 4 motos, avec plus de 100 soldats, selon les témoins - ont ensuite atteint Thioffol. Les témoins ont indiqué que les soldats ont fait du porte-à-porte à la recherche de combattants islamistes et ont pillé des maisons. Un soldat a fait irruption dans une maison et a tiré à bout portant sur les femmes et les filles qui s'y trouvaient, tuant trois femmes et une fillette de 7 ans, et blessant au moins deux autres femmes.
Une mère de sept enfants, âgée de 45 ans et qui se trouvait dans la maison, a été blessée au pied. Elle a déclaré que les soldats avaient menacé les femmes et les filles qui se trouvaient à l'intérieur, avant de leur tirer dessus :
Un [soldat] nous a demandé : « Où sont les hommes ? » Nous avons répondu qu'ils étaient partis faire paître les animaux. Il nous a répondu : « Si nous avions trouvé vos hommes, nous les aurions massacrés ». Il nous a ordonné de sortir, pendant que d'autres soldats volaient nos bracelets en argent, nos ustensiles de cuisine et nos bidons d'eau. ... [Alors] que les soldats commençaient à partir, l'un d'eux a fait demi-tour, s'est positionné au seuil de la porte et a ouvert le feu. Quatre d'entre nous sont mortes sur le coup, dont une jeune fille. Les soldats ont tiré une première puis une seconde salve de balles.
Une autre femme, âgée de 32 ans, qui se trouvait dans la même maison et a aussi été blessée, a déclaré :
Le soldat se tenait devant la porte. Il s'est mis à genoux et a commencé à tirer. J'ai été blessée au pied gauche, mais quatre autres personnes sont mortes. Lorsque les soldats sont partis, nous nous sommes occupées des corps et les avons préparés pour l'enterrement.
Les trois survivants et un proche de trois victimes ont fourni l'identité des huit civils, âgées de 7 à 72 ans, qui ont été tués.
Séguéla, région de Ségou, 3 février
Des villageois ont déclaré que le 3 février, des dizaines de combattants « blancs » en uniforme militaire, accompagnés d'au moins un soldat malien, ont mené une opération dans le village de Séguéla, à la recherche de combattants islamistes. Au cours de l'opération, des combattants ont pillé des maisons et des magasins, passé des personnes à tabac et arrêté 17 hommes. Le 21 février, des villageois ont retrouvé les corps de huit des personnes arrêtées le 3 février près de Doura, dans la région de Ségou, à environ 65 kilomètres de Séguéla. On ignore toujours où se trouvent les neuf autres hommes.
Human Rights Watch a interrogé cinq personnes qui ont été témoins de l'opération militaire, dont deux qui ont trouvé les corps près de Doura, et a vérifié une vidéo filmée le 21 février montrant ces corps.
Les habitants ont déclaré qu'il était de notoriété publique que le GSIM opérait dans les environs de Séguéla. Cependant, des témoins de l'opération militaire ont affirmé qu'il n'y avait pas de combattants islamistes à Séguéla à ce moment-là. « La présence des djihadistes est réelle. Ils exigent que nos femmes soient voilées, qu'on coupe nos pantalons... mais cela ne fait pas de nous des djihadistes », a déclaré un habitant de 50 ans. « Les djihadistes sont armés, nous ne pouvons pas les chasser. Mais ce jour-là, il n'y avait pas de djihadistes dans les parages. »
Les villageois ont déclaré que des combattants étrangers avaient atterri à Séguéla à bord de trois hélicoptères, vers 9 heures du matin, et qu'ils avaient fait du porte-à-porte pendant plus de cinq heures, en faisant sortir les hommes des maisons pour les rassembler devant la mosquée du village. « Il n'y avait pratiquement que des soldats blancs, des soldats Wagner, qui ont dirigé toute l'opération », a déclaré un homme. « Ils étaient lourdement armés, masqués, portaient des uniformes de camouflage et parlaient une langue que nous ne comprenions pas, mais qui n'était pas du français. »
Des témoins ont déclaré que les combattants en uniforme les avaient rassemblés et les avaient frappés avec divers objets. « Les militaires m'ont attrapé par le cou et m'ont poussé vers le sol », a déclaré un homme. « Ils ont fait de même avec d'autres personnes. Ils nous ont frappés avec une barre de fer. J'ai été frappé dans le dos et sur les fesses. »
Un autre témoin a déclaré :
J'ai été frappé à plusieurs reprises par des soldats [blancs] qui se servaient d'un bâton en caoutchouc. Les militaires communiquaient avec nous par signes. Certains nous donnaient l'ordre de nous asseoir, d'autres de nous lever, certains indiquaient « bougez », d'autres « restez ». Certains d'entre nous ne respectaient pas leurs instructions parce qu'on ne comprenait pas ce qu'ils voulaient, et alors les soldats nous frappaient encore plus fort.
Des témoins ont déclaré que des combattants avaient pillé des maisons et des magasins et emporté de l'argent, des biens et des objets de valeur. « Deux soldats blancs sont entrés dans ma maison, l'ont fouillée et ont emporté tous les bijoux de ma femme », a déclaré un homme.
Un homme de 45 ans a déclaré :
J'étais au marché dans un magasin quand j'ai vu arriver deux soldats blancs. L'un d'eux a pointé son arme sur nous pendant que l'autre pillait la boutique. Il a pris tout ce qu'il a pu, notamment les 2 millions de francs CFA [3 300 dollars US] qui appartenaient au propriétaire de la boutique. Trois autres soldats blancs sont arrivés et ont commencé à piller d'autres boutiques avec frénésie.
À la fin de l'opération, les combattants ont arrêté 17 hommes. Les villageois ont donné des détails sur l'identité des personnes détenues et ont précisé qu'elles appartenaient toutes à l'ethnie peule, sauf une qui appartenait à l'ethnie bambara, et qu'elles étaient âgées de 27 à 82 ans. Ils ont déclaré que les combattants n'avaient pas expliqué les raisons de ces arrestations, au-delà de ce qu'ils pensaient être de vagues accusations, selon lesquelles ces hommes étaient membres de groupes armés islamistes ou avaient collaboré avec eux. « Ils ont sélectionné 17 hommes qu'ils soupçonnaient d'être des djihadistes ou leurs complices », a déclaré un témoin. « Ils ont sélectionné des individus au hasard, y compris des hommes très âgés. »
Le 21 février, un groupe de villageois de Séguéla a retrouvé les corps de 13 hommes, dont 8 des personnes arrêtées le 3 février à Séguéla, dans une zone désertique près de Doura. Deux personnes qui étaient sur place ont déclaré que toutes les victimes avaient été ligotées et semblaient avoir été tuées par balle, y compris quatre dont la gorge avait par ailleurs été tranchée.
L'un des villageois a expliqué :
Quatre corps avaient été égorgés au point que les têtes étaient presque complètement coupées. Leurs pieds étaient ligotés. C'était difficile à regarder et l'odeur qui émanait des corps était âcre, des animaux avaient manifestement déjà commencé à ronger les corps. Nous avons identifié huit corps qui étaient ceux de nos amis et proches, arrêtés le 3 février à Séguéla. Nous n'avons pu identifier les cinq autres corps en raison de leur état de décomposition avancé, mais nous soupçonnons qu'il doit s'agir des autres personnes arrêtées dans notre village, le même jour.
Les deux hommes ont déclaré qu'ils ne pouvaient pas emporter les corps avec eux, car ils craignaient d'être arrêtés par des militaires. On ne sait toujours pas où se trouvent les autres hommes arrêtés à Séguéla le 3 février.
Sossobé, région de Mopti, 6 mars
Cinq villageois ont décrit une opération aéroportée menée par des membres des forces armées maliennes associés à des combattants « blancs » le 6 mars dans le village de Sossobé, au cours de laquelle des hommes en uniforme ont tué cinq civils, pillé des biens et passé plusieurs villageois à tabac. Des combattants affiliés à Al-Qaïda sont présents à Sossobé et dans ses environs, selon les habitants.
Des témoins ont déclaré que les soldats faisaient du porte-à-porte, fouillaient et pillaient les maisons. « J'étais chez moi avec ma femme et mes trois enfants lorsque trois soldats blancs sont arrivés », a déclaré un éleveur de 50 ans. « Ils ont fouillé la maison et cassé notre armoire avec la crosse de leurs fusils. Ils ont pris les bijoux de ma femme et 40 000 francs CFA [environ 67 dollars US]. » Un homme de 45 ans a déclaré : « Les soldats nous ont fouillés et ont volé les 240 000 francs CFA [400 dollars US] qui se trouvaient dans ma poche. »
Selon des témoins, les soldats ont regroupé au moins 200 hommes devant la mosquée du village et en ont passé au moins deux à tabac parce qu'ils avaient essayé de s'enfuir. « Les soldats blancs ont tabassé deux personnes qui étaient assises à côté de moi », a déclaré un villageois. « Ils les ont frappés à coups de bâtons en bois, si fort que les bâtons se sont brisés. » Un autre homme a déclaré : « Les soldats les ont sauvagement frappés, à plusieurs reprises, à tel point que j'ai cru que les deux hommes étaient morts ».
Les villageois ont déclaré qu'après le départ des soldats, eux-mêmes et d'autres habitants de Sossobé avaient retrouvé les restes de cinq hommes qui, selon eux, avaient été tués par les soldats pendant l'opération. Ils ont donné des détails sur l'identité de ces cinq personnes, dont quatre appartenaient à l'ethnie peule et une à l'ethnie Bozo. « Nous avons retrouvé quatre corps à une centaine de mètres au sud de Sossobé, tous face contre terre, ce qui nous a fait penser qu'ils avaient été tués alors qu'ils cherchaient à prendre la fuite », a déclaré un homme. « Deux d'entre eux avaient des blessures par balle à la tête, les autres dans le dos. Nous les avons enterrés dans quatre tombes. »
Un autre homme a déclaré :
Parmi ceux qui avaient été regroupés avec nous devant la mosquée, il y avait un jeune homme d'ethnie Bozo. Il était tellement effrayé qu'il s'est mis à crier : « Je ne suis pas un djihadiste ! Je ne suis qu'un pêcheur ! » Cela a irrité les militaires, qui l'ont emmené vers leurs hélicoptères. Quand les soldats sont partis, nous avons retrouvé son corps avec plusieurs blessures par balle, près de l'endroit où les hélicoptères avaient atterri.
Des témoins ont déclaré que les soldats avaient arrêté 21 hommes, tous membres de l'ethnie peule, et les avaient emmenés à bords des hélicoptères. « Vers 14 heures, les soldats ont commencé à sélectionner plusieurs personnes », a déclaré un homme de 50 ans. « Ils ont pointé du doigt 21 hommes qu'ils ont qualifié de "terroristes". » Un autre homme a déclaré : « Deux soldats blancs leur ont attaché les mains avec du ruban adhésif, leur ont bandé les yeux et les ont emmenés ». On ne sait toujours pas où se trouvent ces personnes actuellement.
Ce n'était pas la première fois que des soldats procédaient à des exécutions illégales et à des arrestations arbitraires à Sossobé. Trois témoins ont déclaré que le 30 décembre 2022, des dizaines de combattants « blancs » et de soldats maliens avaient mené une opération aéroportée à Sossobé à la recherche de combattants islamistes, au cours de laquelle ils ont tué un homme de 46 ans et un homme de 55 ans souffrant d'un handicap psychosocial (trouble de la santé mentale) et arrêté neuf autres personnes.
Ouenkoro, région de Mopti, 23-24 mars
Huit villageois ont déclaré que le 23 mars, des dizaines de soldats maliens et étrangers « blancs », accompagnés de miliciens pro-gouvernementaux appartenant à l'ethnie bambara ou dozo, ont mené une opération dans le village de Ouenkoro au cours de laquelle ils ont tué au moins 20 civils, dont une femme et un enfant âgé d'environ 6 ans, pillé des biens, passé plusieurs personnes à tabac et arrêté 12 hommes. Ouenkoro se trouve dans une zone où il le GSIM est connu pour mener des opérations et des attaques.
Selon des témoins, vers 10 heures du matin, au moins deux hélicoptères militaires ont ouvert le feu sur le marché de Ouenkoro où se trouvaient des centaines de marchands et de villageois, avant l'arrivée de soldats. « J'étais au marché quand j'ai vu des hélicoptères militaires nous tirer dessus », a déclaré un homme de 55 ans. « Les gens se sont enfuis. Je me suis caché derrière une maison et j'ai vu des soldats blancs envahir le marché, tirer, pénétrer dans les maisons et arrêter les gens. »
Des témoins ont déclaré que les hélicoptères étaient recouverts d'une toile de camouflage couleur sable, utilisée par l'armée malienne.
Human Rights Watch a obtenu deux listes de victimes, l'une comportant 20 noms et l'autre 22, compilées par des survivants et habitants d'Ouenkoro, mais n'a pas été en mesure de confirmer le nombre exact de décès.
Des témoins ont déclaré que, bien que des combattants islamistes passent régulièrement par Ouenkoro pour y faire des achats sur son marché, il n'y avait pas eu d'échange de coups de feu entre soldats et combattants islamistes le jour de l'opération militaire, et que les soldats avaient tiré depuis des hélicoptères et au sol, sur des personnes qui couraient se mettre à l'abri. Des témoins et personnes ayant participé aux enterrements ont déclaré avoir trouvé les corps des personnes tuées éparpillés en divers endroits, notamment sur le marché et à l'entrée du village.
Un homme de 39 ans qui a aidé à enterrer les corps au cimetière du village les 24 et 25 mars a déclaré avoir trouvé « quatre corps sur le marché et d'autres autour du village », avec différents types de blessures. « Ceux [du marché] étaient clairement déchiquetés et éclatés », tandis que les « autres avaient des blessures par balle dans le dos ou à la tête ».
« J'ai pu compter au moins 20 corps », a déclaré un autre homme. « Nous les avons enterrés individuellement, chacun dans une tombe. »
Au moins un corps a été retrouvé carbonisé. « J'ai vu les corps de trois personnes, dont celui de mon oncle de 84 ans, qui a été complètement brûlé près de sa grange et de ses greniers », a déclaré un éleveur de 34 ans. « Les deux autres corps sont ceux d'un commerçant de 57 ans et d'un homme du village de Douren. Ils ont tous les deux étés abattus. »
Selon des témoins, les soldats ont fait du porte-à-porte, ont fait sortir les hommes et les ont regroupés devant la mosquée du village, où ils les ont frappés avec divers objets et les ont accusés de collaborer avec les combattants islamistes. « Deux soldats blancs sont entrés chez moi, ont pointé leurs armes sur moi et m'ont emmené en direction de la mosquée », a déclaré un homme. « En chemin, ils ont arrêté et tabassé tous les hommes qui cherchaient à s'enfuir. »
Un autre homme a déclaré :
Les soldats blancs ne m'ont pas frappé à cause de mon grand âge. Mais ils ont passé à tabac presque tous les autres. Ils leur donnaient des coups de poing, des coups de bottes, des coups de bâton. Ils ont également interrogé les gens sur la présence de djihadistes. Et quand les gens répondaient qu'ils ne savaient pas, les soldats les frappaient encore plus fort.
Les soldats qui ont participé à l'opération ont également détruit et pillé des biens civils. Un homme qui a fui Ouenkoro pendant l'attaque et y est retourné le 28 mars a déclaré :
Au marché, au moins trois magasins ont été vandalisés et pillés. Dans l'un d'entre eux, les soldats ont volé toutes les serviettes et un panneau solaire. Dans deux autres [magasins], ils ont emporté tous les produits, même le riz, le sucre et les boissons. J'ai également vu une grange et un grenier complètement brûlés.
Des villageois ont déclaré que le 23 mars, des soldats avaient arrêté au moins 12 hommes à Ouenkoro, âgés de 45 à 82 ans, la plupart d'entre eux appartenant à l'ethnie peule. Le lendemain, ils les ont emmenés vers une destination inconnue. Human Rights Watch a examiné une liste de noms de personnes qui ont été arrêtées, compilée par des parents et d'autres habitants de Ouenkoro.
Human Rights Watch a appris que des combattants « blancs » et des soldats maliens avaient emmené les personnes qui avaient été arrêtées dans un camp militaire situé dans la ville de Sofara, dans la région de Mopti, et qu'ils avaient eu recours à la torture et à d'autres mauvais traitements pour forcer les détenus à avouer leur affiliation ou leur complicité avec des groupes armés islamistes. Human Rights Watch a précédemment documenté des allégations d'exécutions sommaires, de disparitions forcées et de détentions au secret de la part de membres des forces de sécurité gouvernementales à l'intérieur et à proximité du camp de l'armée malienne à Sofara.