Sénégal: Chavirement d'une pirogue de migrants clandestins - Une quinzaine de vies brisées sur les roches de Ouakam

Opération pour le repéchage de corps sans vie après le chavirement d'une pirogue au large de Dakar, ce lundi 24 juillet 2023
25 Juillet 2023

Une pirogue a échoué hier, lundi 20 juillet, au quai de pêche de Ouakam avec à son bord un nombre pour le moment indéterminé de candidats à l'immigration. Quinze membres de l'embarcation sont morts. Leur corps ont été repêchés par les équipes de la brigade des sapeurs-pompiers déployés sur place.

Alors que Dakar était plongé dans son sommeil, des jeunes dont le nombre est pour le moment inconnu, entamaient le voyage risqué vers les côtes européennes bravant l'océan et oubliant aussi les récits des nombreuses morts recensées ces derniers jours. Une course poursuite avec la marine nationale, les vagues déferlantes et la pénombre de la nuit auraient eu raison de leurs rêves, une quinzaine de candidats est morte.

La pirogue aurait heurté les roches avant de se renverser selon des affirmations. Leurs corps ramenés sur la berge sont recueillis par les sauveteurs. Les vidéos des opérations sont devenues virales sur les réseaux sociaux partagées sans aucun respect de la dignité humaine. Le quai de Pêche de Ouakam, arrosé par la première pluie hivernale qui se déversait tranquillement dans la capitale, est plus secoué par les incessants va-et-vient des gendarmes, des secouristes et des journalistes que de la fange formée un peu partout.

Depuis l'annonce de la mauvaise nouvelle, il ne désemplit pas. Le drame a eu lieu en pleine nuit. « Ce matin, aux environs de 3heures30 min, on nous a alertés pour un chavirement de pirogue aux larges de Ouakam à hauteur de la Mosquée de la divinité. Immédiatement, on a dépêché sur les lieux 2 équipes de plongeurs et quatre (4) ambulances. Les opérations ont aussitôt démarré. Sur les lieux, on a trouvé trois (3 corps) sans vie et deux rescapés avaient été évacués par les gendarmes », informe le commandant Martial Dione, du groupement secours et incendie n°1 de la région de Dakar.

Alors que les victimes se comptaient, l'activité continuait aux alentours. Les commerçants établis sur les lieux veillent sur leurs produits, d'autres constatent impuissamment le changement inattendu sur leur quotidien. Les vagues déferlantes viennent mourir sur une plage prise d'assaut par de nombreux curieux. Les Sapeurs-pompiers aidés par des personnes dévouées à la tâche continuaient eux le décompte macabre.

« De 7 heures à 10 heures, on a poursuivi les opérations de recherches. On a dénombré encore 12 autres corps sans vie, ce qui fait un total de 17 victimes dont 15 corps sans vie et deux rescapés. Tous les décès ont été évacués vers les structures sanitaires notamment l'hôpital militaire de Ouakam, Fann, Dalal Diam et le centre de santé de Yeumbeul », informe-t-il.

Mandoye Ciss, ancien maitre-nageur garde ses vielles habitudes. Chaque matin, nous raconte-t-il, il prend du plaisir à se jeter en mer, humer la brise marine qui accompagne l'arrivée du jour, avant de retrouver la plage. Ce lundi, sa balade matinale a été perturbée par l'image d'une pirogue inconnue des Ouakamois, accostée malgré elle sur la berge.

L'embarcation qui transportait les candidats malheureux a connu bien de traversées. Son état renseigne sur sa vétusté. « Tôt ce matin, en partant en mer, j'ai trouvé une pirogue qui a échoué à plage. Les jeunes qui se trouvaient sur surplace m'ont dit que c'est une embarcation qui voulait rejoindre l'Espagne », raconte-t-il.

Rien à ses yeux ne laissait imaginer un tel drame. Pourtant, le signal, il l'avait. Peut-être, il n'était pas trop imaginatif au point de penser à des candidats malheureux à l'immigration clandestine en voyant une cohue quittant la plage. « Entre 6 heures 30 min et 7 heures, en venant à la mer, j'ai croisé un groupe de jeunes, certains en pleurs, d'autres marchaient sans faire apparaitre le moindre signe de détresse. Je pensais à une opération de sécurisation des gendarmes», raconte-il.

Mamadou Seck, cinquantenaire, ancien pêcheur, n'a pas abandonné les filets même si sa relève est déjà assurée par une progéniture initiée au métier qu'il a exercé depuis toujours. Il est sorti de ses draps par un appel l'informant qu'un de ses fils est entre les mains des gendarmes car tentant l'aventure espagnole.

Un coup de fil incompréhensible d'autant plus qu'il avait fait le nécessaire pour accompagner ses enfants en partance pour une campagne de pêche. « Quelques minutes après avoir réveillé mes enfants pour qu'ils aillent en mer, j'ai reçu un coup de fil m'informant qu'un d'eux a été arrêté. Par la suite, on m'a dit qu'on la confondu avec une des personnes qui étaient à bord d'une embarcation en partance pour l'Espagne », dit-il.

Le décompte macabre de ce lundi, il s'en souviendra toujours. Mamadou Seck est scotché à l'image d'un adolescent mort noyé dont le corps ramené par les vagues assombrit ses pensées. « De nombreux corps ont été repêchés sous mes yeux. Ce qui m'a le plus marqué, c'est un garçon de 17 ans mort noyé. Il portait un sac à dos. Il a échoué là où se trouve ce chien », explique-t-il en pointant du doigt l'animal couché avec un regard figé à l'est, la tête tournée vers le sommet des minarets de la Mosquée de la divinité.

Les drames de l'émigration ne sont pas que des histoires sorties de l'imaginaire. Ils font partie du quotidien des Sénégalais. Nous sommes bien loin de 2005 ou le Sénégal pensait vivre ses pires années, mais la réalité est là, têtue, très têtue au point de remettre en question la position gouvernementale tendant à minimiser le retour du phénomène après que la presse espagnole a fait état de l'arrivée de 300 Sénégalais.

Les jeunes meurent dans l'Atlantique, emportés par les vagues. Comme pris par une force suprême, ils n'ont peur, de rien, l'Europe à tout prix ! Les larmes de familles éplorées sont minimes et peu décourageantes par rapport à l'espoir nourri par ces candidats au voyage périlleux. Voyager pour sortir sa famille de la misère, être le héros qui a épongé les larmes d'une mère fortement dévouée à son ménage, sont autant de raisons qui sont brandies pour expliquer ce risque. Ce qu'ils n'envisagent pas ou n'ont pas tout simplement pas cure, ce sont les rêves enterrés à jamais au fond de l'océan.

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