Afrique: La révolution des systèmes alimentaires - L'heure est au bilan et à l'action urgente

Amath Pathe Sene, Directeur général du Forum sur les systèmes alimentaires en Afrique (AGRF)
25 Juillet 2023
tribune

Ces deux  dernières décennies, les gouvernements africains ont œuvré considérablement pour la transformation des systèmes alimentaires de leurs pays. Dans les déclarations de Maputo et de Malabo, les objectifs  fixes demeurent ambitieux pour la transformation de l'agriculture en Afrique, mais jusque-là  les résultats ont été lents.

La récente mise en œuvre de la Zone de Libre-Echange Continentale Africaine (ZLECAf) représente une opportunité de supprimer les barrières commerciales et de renforcer le commerce intrarégional, offrant ainsi aux agriculteurs et à tous les autres acteurs des chaînes de valeur agro-alimentaires une forte incitation à augmenter la production locale et à transformer les systèmes alimentaires. Compte tenu du fait qu’au  moins une personne sur cinq en Afrique est victime de la faim et que la population devrait atteindre les deux milliards d'habitants d'ici 2050, C’est un impératif de prendre des  mesures immédiates pour garantir l'accès à une nourriture saine et suffisante pour tous. Dans ce contexte, le principal défi à relever reste  le financement  des systèmes alimentaires.

En juin 2023, des leaders du monde entier se sont réunis à Paris à l'occasion du Sommet pour un nouveau pacte financier mondial,organisé en réponse à un appel radical lancé par les dirigeants africains et le Premier ministre de la Barbade, Mia Mottley, pour repenser et restructurer le système financier mondial et  renforcer le soutien financier aux pays en cours de développement confrontés au surendettement, au changement climatique et à la pauvreté. Avec la question du service de la dette a  l'ordre du jour du sommet, la Banque mondiale a pris la décision de mettre en pause les remboursements de la dette des pays affectés par des événements climatiques extrêmes (seulement pour les nouveaux prêts, et non pas pour les prêts déjà octroyés). La Zambie a également conclu un accord avec ses créanciers bilatéraux officiels pour restructurer 6,3 milliards de dollars de sa dette bilatérale, qui représente un peu plus d'un tiers de sa dette extérieure publique totale, qui remonte à plus de 18 milliards de dollars (Trans 2023). Malgré l'insuffisance de l'accord pour réduire considérablement la charge de la dette de la Zambie, il permet à son gouvernement de recevoir un décaissement de 188 millions de dollars sur les 1,3 milliard de dollars en soutient accordés par le FMI en 2022. Pour les 21 pays d'Afrique menacés ou déjà en situation de surendettement (ONE.org s/d), il est impératif de réduire leur dette pour qu’ils puissent investir de manière significative dans leur secteur agricole, l'épine dorsale de nombreuses économies africaines, ainsi que dans les systèmes alimentaires en général.

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Parmi les autres importantes annonces, faites au cours du sommet, en matière de financement multilatéral, citons les progrès réalisés par le FMI en vue de mettre 100 milliards de dollars de droits de tirage spéciaux (DTS) à la disposition de pays vulnérables, permettant ainsi à plusieurs pays africains de disposer des liquidités dont ils ont tant besoin. A cela s’ajoute  les plans de la Banque mondiale et d'autres banques multilatérales de développement visant à mettre à disposition 200 milliards de dollars supplémentaires sous forme de prêts dans les cinq ans à venir. Cela montre qu'il vaut la peine de maintenir la pression sur les gouvernements et les organisations internationales pour qu'ils respectent leurs engagements et leurs promesses (Tran 2023).

Le Sénégal a également signé, lors du sommet de juin, son quatrième accord de partenariat pour une transition énergétique juste (JETP), cette fois-ci avec des pays du G7, qui fourniront un financement initial de 2,74 milliards de dollars pour des projets d'énergie renouvelable (Renew Africa 2023). Cet accord représente une nouvelle étape importante dans l'exploitation du potentiel d'énergie de notre continent, qui peut être utilisé pour propulser la transition vers des systèmes alimentaires durables. Durant la période précédant le sommet, l'appel en faveur d'un siège pour l'Union africaine au sein du G20 a également progressé.

Le bilan global  sur  les systèmes alimentaires

Des pays du monde entier sont en train de participer au tout premier bilan mondial de l'Accord de Paris, qui vise à examiner les progrès accomplis dans la réalisation d'objectifs climatiques essentiels. Les résultats principaux du bilan devront être présentés lors de la Conférence des Nations unies sur les changements climatiques (COP28), prévue à la fin de cette année aux Emirat Arabes Unis. Il ne sera pas surprenant qu’une des grandes conclusions de ce processus soit que le monde, y compris la plupart des pays d'Afrique, ait  encore un très long chemin à parcourir pour atteindre les objectifs de l'Accord, surtout en ce qui concerne la réduction des émissions, l’atténuation et l’adaptation aux changements climatiques, et la mise en place d'un financement adéquat pour les pays en développement.

Entre-temps, un autre moment important de « global stock-taking », cette fois axé sur les systèmes alimentaires, se passe cette semaine, du 24 au 26 juillet de cette année, le Premier moment de bilan des systèmes alimentaires de l’ONU 2023 à Rome, en Italie, dans le cadre du suivi du Sommet des Nations Unies sur les systèmes alimentaires 2021. Convoquée par le Secrétaire général de l’ONU, cette réunion vise à créer un espace propice pour que les pays passent en revue les engagements d'action pris lors du Sommet, partagent les expériences réussies et les premiers signes de transformation, et maintiennent l'élan pour une accélération et une action audacieuses afin de renforcer la résilience des systèmes alimentaires (FAO, n/d). Le Pôle de coordination des Nations Unies sur les systèmes alimentaires a élaboré un modèle que les pays peuvent utiliser pour structurer le bilan des progrès réalisés dans le cadre de leurs engagements et de leurs systèmes alimentaires en général.

Si l’ Afrique prends les devants, elle peut  mettre à profit les processus de révision des déclarations et des engagements susmentionnés pour accélérer la transformation de nos systèmes alimentaires. Il est bien connu que les secteurs de l'agriculture et de l'alimentation sont parmi ceux qui contribuent le plus aux émissions de gaz à effet de serre. Pourtant, il est également vrai que des investissements adéquats dans la transition vers des systèmes alimentaires durables, résilients et inclusifs feraient de l'agriculture une partie clé de la solution. En fait, sans cette transition, il sera impossible d'atteindre de nombreux objectifs mondiaux. D'où l'importance de maintenir la pression sur les pays développés pour qu'ils tiennent leurs promesses de transférer aux pays en développement les ressources dont ils ont besoin pour augmenter de manière durable la production et la fourniture de denrées alimentaires à leur population en croissance rapide.

Récemment, nous avons constaté à quel point les choses peuvent se détériorer rapidement en Afrique en cas de crise. La pandémie de COVID-19 et le conflit actuel entre la Russie et l'Ukraine mettent en évidence la vulnérabilité des systèmes alimentaires africains aux chocs extérieurs. Les prix des engrais ont triplé dans certains pays africains en raison du conflit, affectant les coûts de la production alimentaire, tandis que l'inflation mondiale a entraîné une hausse des prix des denrées alimentaires, en particulier, mais pas exclusivement, ceux des denrées alimentaires importées. Cette situation vient s'ajouter à la facture alimentaire annuelle de plus de 35 milliards de dollars US qui met encore plus de pression sur les réserves de change des pays africains et détourne des ressources indispensables à l'investissement dans les systèmes alimentaires de la région.

Le contexte africain est donc marqué par des paradoxes : l'insécurité alimentaire est en hausse dans la région malgré des millions d'hectares de terres fertiles non cultivées. L'explication de cette situation est assez complexe, car la réalité sur le terrain varie considérablement d'un pays ou même d'une sous-région à l'autre, mais les obstacles communs auxquels les agriculteurs , les chaines de valeurs alimentaires et les pays africains sont confrontés sont, entre autres, les niveaux élevés de vulnérabilité à la variabilité et aux événements climatiques et aux conditions de croissance défavorables ; le sous-investissement ou la sous-capitalisation de la technologie et de l'innovation, de l'information et de l'infrastructure ; les marchés fracturés, et un manque général de capacité à faire face aux principaux risques posés par le changement climatique. Pourtant, la technologie et les connaissances nécessaires pour améliorer l'efficacité de l'utilisation des terres et les niveaux de productivité existent déjà : par exemple, dans une région où la grande majorité des agriculteurs dépendent des précipitations, la mise en œuvre de systèmes d'irrigation peut augmenter l'efficacité de l'utilisation des terres et la productivité agricole de 50 %. Malgré cela, le sérieux manque d'accès au financement empêche les agriculteurs, les Petites Moyennes Entreprises (PMEs) et les gouvernements de tirer parti d'une myriade d'opportunités inexploitées en matière d'investissement et d'innovation - une autre situation paradoxale qui afflige le continent.

Par conséquent, les gouvernements africains et le secteur privé doivent urgemment mettre en place des politiques qui s'attaquent aux liens faibles entre les systèmes alimentaires et le secteur financier afin d'accélérer les investissements publics et privés dans des systèmes alimentaires productifs, nutritifs, inclusifs et résistants au climat. La créativité et l'innovation sont en effet essentielles pour transformer nos systèmes alimentaires en systèmes capables de nourrir le continent de manière durable et de créer des opportunités d'emplois décents pour nos jeunes et nos femmes dynamiques.

Dans ce contexte, le prochain Forum Africain sur les Systèmes Alimentaires  2023, qui se tiendra début septembre à Dar Es Salaam, en Tanzanie, représente une opportunité  de faire le bilian sur les progrès accomplis dans la transformation des systèmes alimentaires en Afrique et de redéfinir l’agenda continental avant la COP 28.

Du 4 au 8 septembre, le sommet rassemblera des experts, des entreprises et des délégués de premier plan venus de toute l'Afrique et du monde entier pour évaluer la situation des secteurs agroalimentaire et agricole africains et définir collectivement des stratégies décisives et des actions urgentes pour permettre au continent de se redresser et de reconstruire ses systèmes alimentaires.

Comme le souligne le thème du sommet de 2023 "Rélancer, Régénérer, agir : Les solutions africaines pour la transformation des systèmes alimentaires", l'objectif est de s'assurer que le continent africain continue à assumer son rôle de leader dans la relance rapide et la transformation des systèmes alimentaires. Le sommet sera l'occasion de présenter les dernières solutions, innovations et meilleures pratiques africaines, y compris les technologies de régénération des ressources naturelles. Le sommet servira de plateforme de rassemblement pour promouvoir la production d'aliments en quantité suffisante, d'origine locale et plus nutritifs, tout en améliorant la manière dont ils sont produits, en particulier dans un contexte de changement climatique.

L'un des points essentiels du sommet de cette année sera la participation des femmes et des jeunes dans la transformation des systèmes alimentaires, en mettant l'accent sur leur engagement dans l'évaluation des progrès accomplis et l'établissement de nouveaux partenariats pour accélérer la réalisation de ces objectifs. En Afrique sub-saharienne, les femmes fournissent en moyenne 40 % de la main-d'œuvre dans la production agricole, ce qui montre l'importance de leur rôle dans le secteur agricole et les systèmes alimentaires. Toutefois, pour reconnaître et renforcer la place des femmes et leur contribution à l'alimentation et à l'agriculture, il est urgent d'améliorer considérablement leur accès aux ressources, aux connaissances, à la formation, aux opportunités d'affaires et aux marchés. En outre, l'Afrique étant un continent de jeunes, avec 60 % de la population âgée de moins de 24 ans et environ 12 millions de jeunes entrant sur le marché du travail chaque année, il existe une opportunité significative de mettre à profit l'énergie, la créativité et l'esprit d'innovation des jeunes et leur donner un rôle important dans la transformation les systèmes alimentaires du continent. Ce sont les fondements de programmes nationaux réussis, tels que l’inititiave tanzanien "Building a Better Tomorrow - Youth Initiative for Agribusiness" (BBT-YIA). L'initiative BBT-YIA donne la priorité aux investissements dans l'éducation, la formation et l'accès aux ressources financières et non financières pour les femmes et les jeunes, leur permettant de devenir la force motrice d'une croissance agricole durable et inclusive en Afrique.

Également lors du sommet cette année, l'Agribusiness Dealroom renforcera sa capacité de mettre en relation les entrepreneurs et les gouvernements avec des investisseurs, des fonds et des prestataires de services techniques, et de faciliter l’accès au financement et au soutien technique pour faire progresser l'innovation et les plans de transformation nationaux.

Le sommet de cette année promet d'être une étape cruciale dans le parcours de l'Afrique vers la sécurité alimentaire et la prospérité commune. J'espère vivement que vous vous joindrez à nous pour ce moment passionnant dans la recherche de solutions pour accélérer la transformation du système alimentaire de l'Afrique.

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