Ile Maurice: Trois ans après l Wakashio - La photo du visage tuméfifié du capitaine et des conversations VHF dévoilées

Le MV Wakashio : 3 ans plus tard. C'était le thème de l'émission de l'express hier mardi 25 juillet, dans le cadre du triste anniversaire de la pire catastrophe maritime de l'histoire de Maurice.

Dans la soirée du 25 juillet 2020, le vraquier japonais battant pavillon panaméen, qui était en route vers Tubarao, au Brésil, a dévié de sa trajectoire, l'équipage étant à la recherche d'un signal WIFI proche des côtes mauriciennes. Le mastodonte s'est finalement encastré sur les récifs de Pointe-d'Esny, avec à son bord 3 893 tonnes métriques de Very Low Sulphur Oil (VLSO). Quelques jours plus tard, soit le 6 août, environ 1 000 tonnes métriques de VLSO se sont déversées dans le lagon, provoquant une pollution marine sans précédent dans nos eaux.

Les invités Bruneau Laurette et Alain Malherbe ont, au fil de l'émission d'hier, fait des révélations, apporté des éclaircissements et soulevé des interrogations sur ce tragique incident qui, selon eux, aurait pu être évité. «Le drame du Wakashio est un blessing in disguise. La fibre patriotique, qui était un peu dans la léthargie, s'est réveillée (...)

C'est une catastrophe qui aurait pu être évitée s'il y avait eu des gens compétents et efficaces pour gérer cet incident», lance d'emblée l'expert maritime Alain Malherbe. Bruneau Laurette, expert en sécurité maritime, évoque pour sa part un dysfonctionnement dans la sécurité. «Cela démontre une énorme faille dans le système de gestion de la mer, au niveau de la police et de la sécurité intérieure du pays. Nous n'avons pas de gens compétents pour gérer tout cela.» Les deux experts analysent la situation après trois ans, tout en exhortant les autorités à prendre des mesures pour éviter une nouvelle tragédie écologique.

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Échouement délibéré

«Éna boukou bout ki manké», lâche Alain Malherbe, en analysant la trajectoire du vraquier japonais lorsque celuici quitte Singapour pour passer au nord, dans le détroit de Malacca, pour ensuite se diriger vers le Sud. «Le 17 juillet, le Wakashio tombe en panne pour la première fois non loin du détroit de Malacca. Il est resté immobile pendant 5 à 6 heures.»

C'est à Singapour que se fait le soutage par le pétrolier de British Petroleum qui lui fournit du VLSO. «C'est le 1er janvier 2020 que l'utilisation de ce nouveau produit entre en vigueur car il est supposément moins polluant. Il n'était pas encore homologué, étant toujours à l'étape d'essais. Il y avait l'aval de l'International Maritime Organization (IMO) avec la complicité des compagnies pétrolières pour transporter ce produit. L'IMO savait que ce produit était instable. Le Wakashio est le premier bateau dans le monde qui a eu un accident avec ce produit qui s'est déversé.»

Selon Alain Malherbe, le 21 juillet, l'affréteur Mitsui OSK Lines obtient les résultats d'analyses et découvre que le taux de soufre est «exagéré», qu'il pourrait «être hors de contrôle et causer des frictions...» L'expert maritime penche pour un échouement délibéré. «Ma conclusion, c'est que le capitaine du Wakashio savait qu'il y avait une bombe à bord et a changé le cap vers Maurice. Le 21 juillet, il modifie sa trajectoire vers le sud-ouest, et le 23 juillet, à 23 h 21, le bateau pénètre dans la zone économique exclusive (ZEE). De nombreux bateaux entrent dans notre ZEE, mais pas sur cette trajectoire. Et à 12 milles nautiques, la National Coast Guard (NCG) doit les appeler. Cela n'a pas été fait dans le cas du Wakashio.»

Selon Bruneau Laurette, chaque navire qui se trouve à 10 milles nautiques doit avertir le port qu'il pénètre dans notre zone territoriale. «À 5 milles nautiques, la NCG ne voit pas le bateau ? Lorsqu'il s'échoue également, personne ne le voit ? Moi je dis qu'il y a eu un naufrage volontaire.» Et Alain Malherbe de renchérir. «Le 25 juillet, à 11 h 10, le bateau entre dans le périmètre de détection AIS, là aussi on ne le voit pas ?» Il trouve inacceptable qu'à 17 h 45, alors que le bateau se trouve à 12 milles des côtes mauriciennes, aucun officier de la NCG, des postes de Grand-Gaube à Souillac en passant par Belle-Mare, Deux-Frères et Blue-Bay, n'a vu un bateau de 300 mètres de long. «Il s'écoule une heure quarante entre l'heure où le bateau entre dans la zone territoriale jusqu'à son échouement, personne ne l'a vu...»

Les failles du système

Selon Bruneau Laurette, au moment où un navire pénètre dans les eaux territoriales, la procédure veut qu'on envoie une équipe de commandos pour l'intercepter. «Cela peut être un cas de mutinerie à bord... Une fois qu'un bateau ne répond pas, il est considéré comme une menace.» De plus, selon la National Coast Guard Act, les MARCOS (Marine Commandos) ont le pouvoir de tirer sur le bateau s'il ne répond pas. «L'équipe de MARCOS aurait déjà dû réagir. Même aborder le navire et arrêter le capitaine. Cela n'a pas été fait pour le Wakashio.» Il déplore le fait que des simulations sont faites tous les ans, mais au moment d'une catastrophe, rien n'est fait. «Pour faire de la publicité, nous sommes forts, pour ce qui est de l'action nous sommes nuls.» Selon lui, un radar était opérationnel.

«Est-ce que la NCG a pris les mesures qu'il faut pour entrer en communication avec le bateau ? Du moment qu'il n'y a pas de communication, c'est mon devoir de l'intercepter vu qu'il est entré dans nos eaux. La NCG l'a dit elle-même que le temps d'intervention est de 15 minutes.» En guise de preuve, Bruneau Laurette explique que la première sortie de la NCG en mer «par enn ti bato» (NdlR, un FIB - Fast Interceptor Boat) a eu lieu entre le 27 juillet et le 29 juillet. «Quarante-huit heures après le naufrage», martèle-t-il. Selon lui, il faut des «tactical boats» afin d'affronter les aléas en mer, qu'elle soit déchaînée, houleuse ou calme. «Ces bateaux ne sont pas conçus pour aller vers des bateaux échoués. Car lors d'un repérage, il y a des risques. Sa bato-la pann paré pou sa intervansion-la.»

Bruneau Laurette s'élève également contre la sentence infligée au capitaine, Sunil Kumar Nandeshwar, qui a été condamné pour «endangering safe navigation» (NdlR, mise en danger de la sécurité de la navigation). «Ki sannla inn kondané pou maré nwar? Ils sont allés couler l'avant du Wakashio. Ils ont coulé le navire à cause de la drogue ou à cause de pièces à conviction pour ne pas faire le lien ? Tous les Mauriciens peuvent spéculer.» Bruneau Laurette estime que ceux qui ont fauté ne répondront jamais de leurs actes. «Tous les protagonistes dont les responsabilités sont engagées dans le Wakashio ne sont plus à Maurice.» Il cite, entre autres, le commandant de la NCG et celui de la Police Helicopter Squadron, qui sont de nationalité indienne. Il dit attendre le rapport de la Cour d'investigation afin de mettre en lumière des «untold stories (...) Il y a eu de nombreux rapports cosmétiques pondus par ceux qui n'ont pas étudié le dossier Wakashio en profondeur».

Communication incomprise

Selon les enregistrements VHF de Mahébourg du 25 juillet 2020 de minuit, le 26 juillet à 6 heures du matin, la NCG a commencé à prendre contact avec le Wakashio à 20 h 06, alors que le vraquier était déjà prisonnier des récifs depuis 19 h 25. «Ce rapport a révélé que la NCG n'a jamais appelé le Wakashio et ce n'est qu'après l'échouement que le capitaine demande une évacuation pour les membres d'équipage.

Et on entend la NCG demander au capitaine de quelle aide il a besoin. Si les gardes-côtes ne comprennent pas quelque chose d'aussi élémentaire, où allons-nous ? Le capitaine dit que le Wakashio est un cargo ship, les gardes-côtes continuent de l'appeler un tanker. À 22 h 08, la NCG continuait d'appeler le Wakashio un tanker...» Il est d'avis qu'ils n'ont pas la formation adéquate pour communiquer avec des navires dans un jargon maritime. Bruneau Laurette souligne que les gardes-côtes s'attendaient à trouver deux navires échoués.

En effet, dans la transcription des enregistrements radio, on peut également lire qu'il y a une incompréhension de la part des gardes-côtes lors d'un appel sur un téléphone fixe. Une voix de fond affirme alors qu'il y avait deux navires échoués. «Éna enn navir 300 m x 50 m inn tasé dan Pointe-d'Esny avek enn cargo ship apel Wakashio. Li enn 300 m avek résif...»

Visage tuméfié du capitaine

Alain Malherbe révèle que c'est la famille du capitaine qui l'a contacté pour trouver un avocat pour le défendre. «Lorsque j'ai contacté feu Yousuf Mohamed, le capitaine a refusé ses services.» L'on se souvient que le 2 septembre, le défunt Senior Counsel avait déclaré que la décision de Sunil Kumar Nandeshwar serait le résultat de la pression exercée par «des forces occultes».

Hier, l'expert maritime a dévoilé une photo d'un visage tuméfié qui serait celle du capitaine prise par sa famille. Le lieu est inconnu. «C'est soit dans une cellule ou dans un poste de police. La photo m'a été envoyée par sa famille lors d'un appel zoom.» Bruneau Laurette tient à préciser que ce n'est pas une photo du capitaine «kinn gagn piké avek enn mous zonn. Il a le visage boursoufflé, regardez ses yeux. On comprend pourquoi il fallait le faire partir. Est-ce qu'il aurait mis certaines personnes en difficulté ?» s'emporte-t-il.

Un commandant mauricien à la NCG

Pour Alain Malherbe, la NCG dispose de toute la logistique, notamment d'une flotte de patrouilleurs et d'avions (NdlR, Dornier). «Je ne les ai jamais vus patrouiller dans la région est... Tant que la NCG ne comprend pas qu'il faut fonctionner comme il faut, tant que le gouvernement ne nomme pas un Mauricien à la tête de la NCG, il y aura toujours des problèmes.»

Pour Bruneau Laurette, il faut investir dans des remorqueurs puissants ou établir une collaboration régionale. «Pourquoi faut-il continuer à louer ?» Alain Malherbe estime que si la Mauritius Ports Authority (MPA) n'achète pas de remorqueurs, c'est à cause de raisons politiques. Il rappelle que lors de l'échouement de l'Angel 1, l'Ionian Sea Fos, qui était amarré au port jusqu'en 2021, avait demandé un abattement portuaire qui n'était pas suffisant. «Ils sont restés pendant dix ans pour qu'on ait un sentiment de sécurité. Ils avaient demandé un tarif préférentiel pour bénéficier de leur service. La MPA a préféré les laisser partir.»

Des réclamations non payées

Ivann Bibi, qui a rejoint le plateau, a fait ressortir que ceux affectés par la marée noire, notamment les plaisanciers et les marchands de plage, n'ont toujours pas obtenu leur indemnisation pour avoir été au chômage technique. «Ils ont accepté le remboursement de Rs 113 000 mais n'ont toujours rien reçu trois ans plus tard...»

Les plaisanciers toujours en attente d'une compensation

Les jours se suivent et se ressemblent pour les plaisanciers. Ces derniers attendent toujours leur compensation suite à l'échouage du MV Wakashio. Le Premier ministre adjoint continue de faire la sourde oreille, déplore Prem Beerbaul, président des plaisanciers de l'île. «Le ministre de la Pêche a déjà offert des compensations aux pêcheurs qui n'ont pu travailler pendant cette période depuis plus d'un an, et c'est tant mieux pour eux. Mais qu'en est-il de nous ?» Il ne comprend pas pourquoi Steven Obeegadoo, qui est non seulement ministre du Tourisme mais aussi Premier ministre adjoint, n'a pas encore pu leur donner cette compensation. «On dirait qu'il n'a pas les mêmes capacités que le ministre de la Pêche...»

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