*"Le Franc congolais se déprécie de façon accélérée depuis bientôt trois mois pour atteindre le niveau d'un dollar allant de 2.400 à 2.700 Francs congolais en juillet 2023. Cette situation est due, d'une part, à l'environnement économique et géopolitique international, mais beaucoup plus aussi aux déséquilibres budgétaires importants et à l'absence d'une véritable politique monétaire indépendante nationale dans un contexte de dollarisation très aiguë de l'économie et forte pression sur les dépenses publiques, d'autre part. Cette situation pourra s'aggraver avec les dépenses sécuritaires et pré-électorales", soutient, dans une interview, le Dr. Noël Tshiani Muadiamvita. Décryptage.
Entretien
Les mesures de stabilisation annoncées par le Gouvernement sont-elles suffisantes pour renforcer la crédibilité de la monnaie nationale ?
Les mesures de stabilisation monétaire annoncées par le Gouvernement constituent un palliatif pour calmer la surchauffe sur le marché de change dans la mesure où l'injection des devises étrangères pourrait momentanément rétablir l'équilibre entre l'offre et la demande sur le marché. Mais, à mon humble avis, on ne règle pas définitivement un problème structurel avec des palliatifs temporaires. Ce qui fait que ces mesures palliatives ne sont pas vraiment convaincantes dans le court, moyen et long terme. Et le niveau des réserves de change ne représente qu'environ deux mois et demi de couverture des importations.
Ce niveau est très insuffisant dans la mesure où les interventions nécessaires sur le marché de change pourraient absorber ces réserves en quelques jours en cas d'une attaque sérieuse sur la monnaie nationale. Ce qui complique l'équation est la pression continue du Fonds monétaire internationale pour que la RDC continue à accumuler les réserves de change même pendant que la population est contrainte d'encaisser les coups à cause de la dépréciation monétaire et de la perte continue du pouvoir d'achat.
Le véritable problème est celui du réalisme dans la politique budgétaire et son corolaire dans la politique monétaire qui fait qu'au finish la planche à billet est utilisée pour financer le déficit budgétaire. Comme je l'ai dit depuis le début de cette année, le budget de 16 milliards est irréaliste et irréalisable.
Au 23 juin 2023, sur les prévisions toutes recettes confondues de $7,8 milliards, les réalisations sont de $4,2 milliards et le déficit budgétaire à mi-parcours de l'année de $3,6 milliards comme le montre ce tableau récapitulatif préparé par l'ODEP.
Au rythme actuel d'exécution budgétaire, l'année se terminerait avec des réalisations de $8,4 milliards et un déficit budgétaire de $7,2 milliards. Il est temps d'être réaliste avec ce budget de $16 milliards en revoyant les ambitions à la baisse à travers un budget rectificatif.
Comment le gouvernement peut-il financer un déficit budgétaire aussi énorme ?
La meilleure des choses est d'éviter les déficits budgétaires énormes en équilibrant les dépenses et les recettes publiques. Mais, très peu de pays vivent de cette façon sans dépenser plus que ce qu'ils ont comme recettes publiques. Devant les déficits budgétaires, l'on peut recourir à une des trois alternatives suivantes tout en sachant que chacune d'elle a des conséquences. Premièrement, le gouvernement pourrait puiser dans ses réserves internationales pour financer son déficit budgétaire. Ceci équivaut à puiser dans ses épargnes constituées pendant les années antérieures. Ici, il est essentiel que le niveau de ces épargnes soient suffisamment élevées pour qu'une telle utilisation n'allume pas les signaux rouges sur la situation financière du pays.
Dans le cas de la RDC, au 13 Juillet 2023, les réserves internationales s'élevaient à $5,09 milliards représentant 2,75 mois de couverture des importations, ce qui est encore trop faible car en dessous de six mois de couverture comme l'exigent les directives de la SADC.
Deuxièmement, le pays peut emprunter sur le marché financier national ou international s'il est crédible suffisamment. La tentative récente par le gouvernement de lever $30 millions à travers l'émission des obligations du trésor s'était soldée par un échec car il n'y avait eu que des souscriptions de l'ordre de $14 milliards, soit moins de 50 pour-cent du montant visé. Il faut noter qu'il est impossible de réussir l'émission des obligations du trésor en monnaie locale dans un pays où l'économie est dollarisée à 95 pour cent. Pour recourir à cette alternative, le recours à cette alternative doit se situer dans la stratégie globale d'endettement du pays pour ne pas aller au-delà des limites raisonnables d'endettement avec de graves conséquences sur sa capacité de remboursement et le rating par les agences de notation.
Troisièmement, le pays peut financer son déficit budgétaire en faisant recours à la planche à billets, c'est à dire en fabriquant de l'argent sans soubassement en termes de réserves de change ou sans soubassement en terme de production. Cette option est mortelle pour la population car, elle entraîne l'augmentation des taux d'inflation, la dépréciation monétaire, le renchérissement du coût de la vie et la perte du pouvoir d'achat de la population. Le tableau ci joint montre l'évolution de l'inflation annualisée et de l'indice national des prix à la consommation des ménages de la première semaine de Décembre 2022 (12,910 pour-cent et 12,888 pour-cent) à la deuxième semaine de Juillet 2023 (31,910 pour-cent et 23,483 pour-cent).
Ce niveau très élevé des taux d'inflation soutient la position que la planche à billets est bel et bien en marche et que la dollarisation trouve encore toute sa justification dans un tel contexte d'environnement inflationniste qui érode chaque jour la valeur de la monnaie nationale.
Que penser de la mesure d'arrêter les paiements du trésor au guichet de la Banque Centrale du Congo ?
Si, aucun paiement du trésor ne peut plus être effectué au guichet de la BCC, c'est que l'Etat n'a plus confiance dans l'institut d'émission constitutionnellement mandaté pour garder & gérer les fonds publics, jouer le rôle de caissier de l'Etat et conduire la politique monétaire. Cela veut dire que l'Etat n'a pas vraiment confiance dans les dirigeants de la Banque Centrale du Congo désormais réduits à un rôle de façade.
La BCC étant constitutionnellement mandatée d'être le conseiller économique et financier du gouvernement ne peut être dépouillée de son rôle de caissier de l'Etat faisant des paiements du trésor public sans modification de la constitution et de la loi sur la BCC.
Qu'en est-il alors de la crédibilité de la Banque Centrale du Congo ?
Une Banque Centrale solide se construit par des décisions qu'elle et les autorités politiques prennent dans le sens d'asseoir son indépendance et renforcer sa crédibilité. Supprimer subitement le rôle d'agent payeur (caissier de l'Etat) détruit la crédibilité de la BCC.
La Banque Centrale du Congo doit être indépendante et responsable pour que la RDC ait une monnaie stable et crédible. Les marchés financiers constatent que le gouvernement prend des mesures pour stabiliser la monnaie comme si la BCC ne joue qu'un rôle de figurant consentant.
Quel est le problème avec les mesures et le contexte dans lequel ces mesures sont prises ?
Deux questions sont soulevées par le contexte dans lequel les mesures sont prises par le gouvernement. La première question a trait au statut de la Banque Centrale du Congo et aux relations entre la Banque Centrale du Congo et l'Exécutif national ou le gouvernement.
Lorsque la Banque Centrale est convoquée par la Présidence de la République au même titre que la FEC, les banques commerciales étrangères et le gouvernement (Ministère des Finances et du Budget), elle sort d'une telle réunion avec l'image d'une institution monétaire soumise jouant le rôle de figurant consentant au lieu d'être à l'avant-centre de la politique monétaire et de change, conformément à ses prérogatives constitutionnelles.
Il faut bien noter qu'une Banque Centrale soumise en période préélectorale est la pire des choses qui puissent arriver à un pays comme la RDC.
Dans la période préélectorale, le gouvernement et la Présidence de la République sont tentés de dépenser beaucoup d'argent pour faire plaisir à la population (électorat) et pour réaliser certaines promesses électorales afin de gagner la confiance du peuple auprès duquel les dirigeants sollicitent un second mandat à tout prix. La soumission de la BCC pendant cette période l'amènera à dépenser plus que ne pourra justifier la situation économique et financière du pays. Ceci conduit tout droit à la planche à billets que l'on peut nier publiquement, mais que l'on pratique en réalité avec des conséquences néfastes sur les taux de change, l'inflation et le pouvoir d'achat de la population.
D'où, je reviens à conclure qu'il n'y a bonne Banque Centrale que celle qui peut dire NON aux politiciens surtout en période préélectorale. Vous conviendrez avec moi qu'à regarder la Banque Centrale du Congo et son équipe dirigeante aujourd'hui, on n'est pas sorti de l'auberge ou du gouffre.
Cet avis est une question technique assise sur l'expérience de plusieurs années d'observation et d'analyse des performances des Banques centrales à travers le monde. Mon activisme sur ces questions n'est souvent pas compris par des gens qui ne sont pas des spécialistes du domaine et qui ont besoin d'être éduqués dans ce sens.
Qui est Noël K. Tshiani Muadiamvita ?
Professeur Noël K. Tshiani Muadiamvita est Docteur en Sciences Economiques avec spécialisation en Banques et Finances de l'Université de Paris IX Dauphine en France. Il est l'auteur de plusieurs livres parmi lesquels, la bataille pour une monnaie nationale crédible (Editions de Boeck en Belgique) ; Vision pour une monnaie forte (éditions de l'Harmattan à Paris) ; Building crédible central banks (Palgrave MacMillan à Hamphire au Royaume Uni) ; et Monnaie, Banques et Commerce Extérieur (Editions du CEPAS à Kinshasa). Sa thèse de doctorat a porté sur l'indépendance des banques centrales, la responsabilité et l'impact sur la politique monétaire : Application à la RDC.
Noël Tshiani Muadiamvita fut Directeur Résident à la Banque mondiale à Washington ; et un banquier commercial et d'investissements à la JP Morgan Chase à New York.
Dr Noël Tshiani Muadiamvita est Professeur dans plusieurs Universités où il enseigne l'économie monétaire, l'économie et les stratégies de développement, les finances, les banques et le commerce international.