Le traitement et la valorisation des déchets électroniques, néfastes à l'environnement et à la santé des populations permettent de récupérer des métaux précieux comme l'or, le cuivre, le palladium, le plomb et le nickel qui y sont contenus. Découverte d'une filière prometteuse capable de créer de l'emploi au Burkina Faso et de booster l'économie nationale.
Samedi 24 juin 2023, il est 9h05mn. Après la fine pluie qui s'est abattue sur le quartier sin-yiri à Ouagadougou, le soleil amorce sa course folle vers le zénith. Achilles Compaoré, un réparateur de téléphones portables a rejoint son atelier situé en face du site du Salon international de l'artisanat de Ouagadougou (SIAO). A la question de savoir comment se porte le marché de la réparation, il s'engouffre dans la brèche et évoque les difficultés liées à son métier. Dans les années 2 000, le marché se portait bien, dit-il, mais aujourd'hui c'est plutôt la vente de déchets électroniques (vieux portables et ordinateurs) qui fait vivre sa famille. « Les déchets me rapportent entre 100.000 et 150.000 FCFA/mois alors que je peine à avoir 50.000 FCFA/mois pour les réparations », compare-t-il. Avec ces gains, il a acheté deux motos à 750 000 FCFA l'unité et payé les études de ses enfants dont deux inscrits à l'Université. Quant à Jean-Marie Djiguemdé, lui, il est collecteur de déchets électroniques. Il consacre son temps à la collecte et à l'achat de vieux matériels électroniques qu'il classe par nature (cartes électroniques et caoutchouc). Ressortissant de Grand Samba dans la province du Passoré, il a débuté son activité en 2008 par l'achat de la ferraille auprès de collecteurs de quartiers avant de l'étendre aux déchets d'équipements électroniques et électriques (DEEE).
Il emploie une dizaine de personnes dont six permanents sur son site situé à la lisière du marché de Katr-yaar où les uns dépiècent, trient et les autres rassemblent et classent dans un container. « Je collecte les déchets électroniques et parfois les gens viennent des villages environnants de Ouagadougou avec les vieux appareils que nous achetons et revendons sur le marché national ». Selon Jean-Marie Djiguemdé, les déchets sont triés, classés par catégories et les prix vont de 2800 FCFA/kg à 17500FCFA/kg en fonction de la nature des déchets ajoutant que les cartes électroniques et les microprocesseurs des ordinateurs qui contiennent les matières précieuses sont les plus recherchés. Ainsi environs deux tonnes de DEEE sont collectés et vendus par an sur ce site de katr-yaar. Comme Achilles Compaoré et Jean-Marie Djiguemdé, ils sont nombreux les Burkinabè qui gagnent leur vie à travers les activités de collecte, de vente et de la transformation des déchets électroniques.
« 30 000 F CFA/kg »
L'Association burkinabè pour la promotion des emplois verts (ABPEV) fait de la collecte des déchets pour les exporter vers la France et la Belgique depuis 2010. Selon son directeur exécutif, Alassane Sanou, les déchets sont achetés auprès de collecteurs à Ouagadougou et à Bobo-Dioulasso. Les prix pratiqués par l'ABPEV varient en fonction du type de déchets et de la qualité. A titre illustratif, les cartes électroniques (CE) pauvres sont vendues à 7500f/kg, les CE moyennes à 8000f/kg et 17500f/kg pour les CE riches. Notre objectif au début, relève M. Sanou, n'était pas de faire du business mais de sensibiliser les acteurs notamment les réparateurs et les importateurs de vieux matériels communément appelé « France au revoir » sur l'impact de ses déchets sur l'environnement et la santé des populations. L'idée de collecte nous a été proposée par les réparateurs et les échanges au troc contre de petits matériels tels que les clés USB et autres. Cela, poursuit notre interlocuteur, avec l'accompagnement d'un partenaire français, en l'occurrence Orange France dans le cadre de sa responsabilité sociale dans le domaine de la téléphonie mobile. Ces déchets sont envoyés en Belgique et en France qui abritent de grandes usines de transformation et de valorisation de ces types de déchets en passant par les ports d'Abidjan-Dakar-Espagne. Il fait savoir que ces ordures arrivent en Belgique ou France avec un document de colisage indiquant les différentes quantités de déchets par nature. « C'est principalement les cartes électroniques qui sont très utiles car contenant les métaux précieux. Le prix de valorisation des déchets est fixé en fonction du cours de l'or sur le marché mondial », fait remarquer Alassane Sanou. De l'avis du premier exportateur de DEEE au Burkina Faso, de nouveaux acteurs, notamment des nationalités étrangères (Chinois, Nigérians, Turques...) ont fait leur apparition sur le marché national à la recherche de ces « ordures précieuses » si bien que l'on assiste à une surenchère. « Le prix du kilogramme de cartes électroniques est passé de 12.500 à 30.000 FCFA à cause de cette surenchère ».
Missa Assumpta Wendyam Sawadogo a soutenu sa thèse en 2022 à l'Université Norbert-Zongo (UNZ) sur le thème :« Effets de la valorisation des déchets d'équipements électriques et électroniques sur le développement durable au Burkina Faso ». Elle a identifié cinq types d'acteurs clés dans la filière DEEE au Burkina Faso qui sont : les ménages (consommateurs), les importateurs de matériels « France au revoir », les ferrailleurs, les collecteurs (ABPEV) et les réparateurs de téléphones portables. Au cours de nos travaux de recherches pour la thèse, explique Mme Sawadogo, en faisant la collecte des données auprès de 414 acteurs à Ouagadougou, Bobo-Dioulasso et Koudougou, nous avons constaté que ces derniers brassent des millions par an. « A titre d'exemple en 2021, parmi ces 414 personnes un collecteur a reçu 9.000 000 FCFA de bénéfice sur la vente des DEEE suivi par un trieur qui a réalisé un chiffre de 5.000.000 FCFA, 3.000 000 F CFA pour un acteur dans le brulage contre 2.500.000 F CFA de bénéfice pour un acteur dans la réutilisation », illustre-t-elle. Cela à travers quatre modes de valorisation : certains collectent les DEEE pour les revendre, d'autres font le tri des déchets et les classent par nature. A côté d'eux, il y a ceux qui les brûlent pour en extraire les matières précieuses et ceux qui réutilisent ces matières dans la conception d'objets d'art et autres.
« CERVAM et métaux précieux »
Pour une gestion responsable des DEEE, des chercheurs ont mis en place au sein de l'UNZ le Centre d'expertise pour la récupération et la valorisation des métaux (CERVAM). Il a été créé par un consortium d'universités du Burkina Faso (Joseph -Ki-Zerbo, Thomas-Sankara, Nazi-Boni) et de la Belgique (Université libre de Bruxelles, Université de Moons) et l'Association burkinabè pour la Promotion de l'Emploi vert avec l'appui de l'Académie de recherches et d'Enseignement supérieur (ARES) de Belgique. Le CERVAM a développé une méthode de traitement permettant de récupérer les métaux précieux (or, argent, palladium, cuivre et nickel) en utilisant des procédés et techniques respectueux de l'environnement. Selon Dr Moussa Bougouma enseignant-chercheur, en chimie physique et électrochimie à l'UNZ et coordonnateur Sud du projet, le CERVAM utilise la technique de la solvométallurgie, une méthode faisant intervenir des nouveaux solvants eutectiques profonds(SEP). Ces solvants obtenus à partir des aliments pour bétail, urée et des liquides ioniques ne comportent aucun danger pour l'environnement. Selon lui, tout commence par le traitement physique des DEEE qui consiste à un déchiquetage (réduction en de particules de moins de 20mm), et au broyage après la collecte, la séparation et le démantèlement. « Ces composantes sont ensuite séparées en fractions magnétiques et en particules non magnétiques. Nous utilisons ensuite des méthodes électrochimiques dans une solution pour obtenir des concentrées de métaux précieux », explique-t-il avec fierté. Le directeur de l'école doctorale Sciences et technologie de l'UNZ précise qu'il existe d'autres procédés classiques utilisés pour l'extraction des métaux. Malheureusement, déplore Dr Bougouma, ce sont des méthodes qui utilisent des solutions telles l'alcaline, le mercure, le cyanure, etc. très toxiques pour dissoudre les métaux contenus dans les déchets afin de les récupérer comme cela se fait dans les mines. De l'avis de Dr Missa Assumpta Wendyam Sawadogo, sur le plan économique, les DEEE constituent une mine d'or capable de booster l'économie du pays si ces déchets sont traités et valorisés. Elle soutient que les études ont montré que les DEEE contiennent 50 fois plus de métaux que le minerai.
C'est-à-dire que la teneur en métal dans les déchets électroniques est 50 fois plus élevée que dans la mine. Avec le mode de traitement du Centre de Koudougou, 1kg de cartes-mères d'ordinateurs permet de récupérer 543 grammes (g) d'argent, 278g d'or et 262g de palladium. Sur cette base et tenant compte des cours mondiaux des métaux précieux elle a calculé ce que les quantités de déchets rassemblés par les 414 acteurs rencontrés pendant sa thèse auraient pu leur apporter en numéraires si ces DEEE étaient traités selon la méthode du CERVAM. « Avec 29 116kg de déchets de téléphone collectés en 2021, on aurait récupéré 13 918g d'argent, 7 570g d'or et 68 280g de palladium pour un coût de 1.238.535.069 FCFA ». S'agissant des déchets issus des ordinateurs, ajoute-t-elle, ce sont au total 4675 kg qui ont été collectés pour des quantités de métaux précieux correspondantes estimées à 2539g d'argent, 1300g d'or et 1225g pour le palladium pour une valeur de 61.450 020 FCFA. Ce qui fait un montant cumulé (téléphones + ordinateurs) de 1.299.985.089 FCFA pour les 417 acteurs. Suivant la méthode d'extrapolation linéaire des quantités de DEEE calculées sur la base de séries temporelles, la quantité totale de DEEE produite au Faso est estimée à 1 075 tonnes en 2022 avec une prévision de 1150 tonnes en 2023. 75% de ces déchets proviennent de la capitale.
« Création d'emplois »
La valorisation de ces ordures pourrait apporter une manne financière qui va renflouer les caisses de la mairie de Ouagadougou aux dires du coordonnateur du projet Moussa Bougouma. « Les chercheurs ont pour vocation de créer et de mettre leurs innovations au service du développement », a-t-il précisé. Le directeur de la Salubrité publique et de l'Hygiène de la commune de Ouagadougou, Saïdou Nassouri est dans cette dynamique lorsqu'il affirme que la commune de Ouagadougou suit avec beaucoup d'intérêt l'évolution de la technique de récupération des métaux précieux à partir de la transformation de déchets électroniques et électriques mise en place au CERVAM à l'université de Koudougou. Il confie que la mairie de Ouagadougou, à travers la direction de la Salubrité publique et de l'Hygiène, travailles en étroite collaboration avec les chercheurs du CERVAM.
Vu les quantités énormes de déchets générées dans la ville de Ouagadougou, la commune doit trouver son compte surtout qu'en plus des ressources financières, il y a la création d'emplois se convainc M. Nassouri. Il note que les DEEE sont des déchets spécifiques qui ne font pas obligatoirement parties des ordures solides provenant des ménages que la direction de la salubrité doit gérer. Avant d'ajouter que ses services le font parce que ces déchets se retrouvent un peu partout alors qu'ils contiennent des substances chimiques qui ne sont pas bien pour l'environnement ni pour la santé humaine.
Dans la commune de Koudougou, il n'y a pas une façon spécifique de gérer les DEEE. « Les déchets électroniques sont enlevés avec les ordures ménagères et conduits juste aux dépotoirs ou des gens viennent enlever ce qu'ils veulent », confie Djibril Tondé responsable du service d'Hygiène et assainissement à la mairie de Koudougou. Bien que basé dans cette ville, les services de la salubrité ignorent tout de la trouvaille du CERVAM. M. Tondé révèle qu'une société de téléphonie mobile de la localité a demandé une fois que son service vienne enlever du vieux matériel (ordinateurs) et qu'ils étaient allés les incinérer. L'ABPEV envisage déjà la mise en place d'une usine de traitement et de valorisation des DEEE sur place au lieu de continuer à les exporter avec les contraintes liées au transit.
Dans ce sens, laisse entendre le directeur exécutif de l'association, en collaboration avec l'Institut International d'ingénierie de l'eau et de l'environnement (2IE) trois étudiants ont travaillé sur le projet. A la direction générale de la préservation de l'environnement la question des déchets électroniques et électriques est un casse-tête. Pour le directeur par intérim de la prévention des pollutions et des risques environnementaux Abou Traoré, les déchets provenant des téléphones portables, des ordinateurs, des réfrigérateurs des plaques solaires et les batteries contiennent des matières dangereuses telles que les polychlorobi- phényles (PCB) et les polybromodiphényléthers (PBDE) qui sont des substances chimiques hautement toxiques cancérigènes.
Il ajoute qu'elles font partie des polluants organiques persistants (POP) et s'ils se retrouvent à des endroits non indiqués, peuvent être de facteurs de pollution et de dégradation de l'environnement. D'où la nécessité de gérer les DEEE de manière écologique. « Les mauvaises méthodes de traitement (brûlage à ciel ouvert) de ces déchets entrainent la pollution de l'air, de l'eau et du sol voire une contamination de la chaine alimentaire. Le CO2 émis a aussi des effets sur les changements climatiques », prévient l'environnementaliste.
« Contaminer la chaine alimentaire »
Au sujet de l'importation de matériels électroniques « France au revoir » qui inondent la ville de Ouagadougou le département en charge de l'environnement se défend : « Le Code de l'environnement du Burkina Faso dit que tout déchet en provenance de l'étranger est présumé dangereux et le ministère ne peut donc délivrer des autorisations pour l'importation de vieux appareils hors d'usage. C'est donc sous le couvert d'importation de matériel neuf que ces « France au revoir » arrive sur le marché national ». Les acteurs sont unanimes sur les avantages d'une bonne gestion des DEEE et ont le regard tourné vers le Centre d'expertise pour la récupération et la valorisation des métaux de l'université Norbert-Zongo de Koudougou.
Le CERVAM, soutient M Nassouri, va faciliter la réorganisation et la structuration d'une nouvelle filière dédiée aux DEEE au Burkina Faso. Cela à travers la sensibilisation des populations sur les richesses contenues dans ces ordures spécifiques.
De son avis, si les populations savent qu'avec un vieux portable ou ordinateur l'on peut se faire de l'argent la collecte des DEEE va s'organiser systématiquement comme c'est le cas avec le plastique. « Les gens collectent les déchets depuis les villages environnants pour venir nous revendre à Ouagadougou », affirme Jean-Marie Djiguemdé installé à Katr-yaar. Alassane Sanou de l'ABPEV pense que cette nouvelle filière prometteuse va susciter un intérêt des Banques et créer des emplois verts. Les sociétés minières aussi pourraient faire recours à la méthode d'extraction des métaux proposée par l'UNZ. En effet, selon le coordonnateur de l'équipe de recherche Dr Bougouma, cette méthode n'a aucun impact négatif sur l'environnement.
Aussi, fait-il savoir, le coût de production de l'or dans les DEEE est moins cher que dans le minerai. « 1kg d'or extrait dans les mines traditionnelles coute 38 000 dollars US (environ 20 millions FCFA) contre 1591dollars US (environ 800.000 FCFA) pour la même quantité d'or extraite dans les DEEE », précise-t-il. Si l'on ajoute toutes ces dépenses à l'investissement pour l'impact environnemental et qu'on fait un rapport qualité/prix, la méthode du CERVAM est non seulement respectueuse de l'environnement mais, elle est de loin la plus économiquement rentable et il y a de quoi s'intéresser à cette niche que constituent les déchets électroniques foi du directeur de l'école doctorale. Au ministère de l'Environnement, de l'Energie de l'Eau et de l'Assainissement, au-delà des aspects économiques, c'est la préservation de la santé des populations et l'environnement qui réjouit le plus.
« La bonne gestion écologique des DEEE permet d'éviter la pollution de l'eau, l'air et le sol, de lutter contre la dégradation de l'environnement », insiste Abou Traoré. Jusque-là, regrette-t-il, la transformation et la valorisation des déchets électroniques au Burkina Faso était faite dans l'informel utilisant des méthodes diverses parfois dangereuses. Alors que ces ordures ont plusieurs composantes dont les métaux lourds (cyanure, mercure) toxiques qui peuvent contaminer la chaine alimentaire si ces déchets sont mal gérés. La promotion de l'énergie solaire au Burkina Faso est source de DEEE et la méthode du CERVAM, selon ses experts permettra également de boucler le cycle de vie des équipements solaires qui deviennent des ordures.
Sur la valeur sociologique du déchet électronique, Missa Assumpta Sawadogo a fait un constat selon lequel, certains utilisateurs ont développé un attachement sentimental avec leur premier téléphone et/ou ordinateur au point qu'ils les conservent et refusent de s'en débarrasser. Elle estime qu'il faut une sensibilisation pour changer les mentalités et convaincre ces personnes que leurs vieux appareils transformés et valorisés sont plus utiles que conservés dans un magasin. Au CERVAM, il est prévu la création d'une cellule de transfert de technologie pour sa vulgarisation au profit des acteurs.