La République démocratique du Congo (RDC) fait face depuis plusieurs décennies à des conflits armés, notamment dans sa partie est. Ces conflits ont déjà causé de massacres de civils et des violations graves des droits humains.
Plusieurs exactions sont commises envers les communautés, notamment des viols, l'usage des femmes à des fins de prostitution, l'enrôlement d'enfants au sein de groupes armés et autres. La majorité de ces crimes restent impunis et leurs auteurs courent toujours.
Faute de médecins légistes pour apporter des preuves pour des crimes commis dans le passé et qui nécessitent une expertise médicale légale, la justice militaire peine à mener des enquêtes. Pourtant, ce sont elles qui permettent de formuler les infractions et poursuivre les auteurs afin qu'ils payent pour leurs actes.
A ce jour, le nombre de médecins légistes certifiés en RDC est controversé. Selon certaines sources, le pays en compterait un seul, certifié par l'ordre national des médecins. Il s'agit du professeur et docteur Tshomba Hondo, qui a servi sous le drapeau et aujourd'hui à la retraite. Ce déficit d'experts en médecine légale favorise l'impunité, et ne permet pas l'application de la justice transitionnelle et la réparation pour les victimes.
Relever les défis
Afin de permettre à la RDC de relever ce défi, la MONUSCO a appuyé, du 17 au 19 juillet, l'organisation du tout premier colloque international sur la médecine légale placé sous le thème « Enjeux et défis de la médecine légale en RDC ». Une centaine de participants venus de divers horizons y ont pris part.
L'objectif majeur de ces assises était de mettre en place une stratégie nationale pour le développement et le renforcement des capacités nationales dans le domaine de la médecine légale.
Le professeur Tshomba Hondo a, dans son exposé, rappelé les bénéfices de la médecine légale dans l'application de la justice : « La médecine légale trouve sa raison d'être lorsque le juge recourt au médecin légiste pour résoudre un problème médical dans le cadre de la justice ».
En RDC, il existe également des initiatives privées qui essaient d'apporter un plus dans le domaine de la médecine légale et des enquêtes. Les participants les ont passées en revue. Ils ont fait allusion à l'Institut Facultaire de Droit et des Sciences Médico-Légales, IFDSML.
Cette insuffisance d'experts légistes a de lourdes conséquences. C'est le cas de la justice militaire qui peine à rassembler des preuves pour permettre aux magistrats instructeurs d'établir les faits et les responsabilités, a affirmé le professeur Raoul Kienge-Kienge, directeur de l'école de criminologie de Kinshasa.
En outre, maître Charles Omambo, l'un des panélistes, a fustigé le fait que la réquisition à des médecins exigée par des juges se fait souvent à l'aveuglette, sans aucun critère professionnel. Il a souhaité que des médecins soient spécialisés dans la pratique médico-légale clinique. « Cette médecine s'occupe des personnes vivantes, elle recherche les stigmates sur les corps pour que ceux-ci constituent la preuve des dommages causés. C'est la médecine appliquée au droit, plus précisément au droit judiciaire, pour éclairer les juges sur l'étendue et la réalité des dommages qui auraient pu être causés à un corps ».
Formation
Le professeur Jean-Marie Kayembe, recteur de l'Université de Kinshasa, a attiré l'attention de l'auditoire sur la formation : « Le pays a besoin d'une compétence qui doit être garantie par une formation et une qualification adaptées ». Ceci va permettre d'avoir des médecins légistes hautement qualifiés, avec comme conséquence immédiate le renforcement de la lutte contre l'impunité.
A l'issue des travaux, les participants dont les médecins et professeurs venus des universités de Lubumbashi, Kisangani, Bukavu, Ituri, ont élaboré une feuille de route, de laquelle découlent quatorze recommandations, entre autres : la mise en place d'un cadre légal pour l'exercice de la médecine légale par ordonnance présidentielle, la création d'une spécialisation rigoureuse en médecine légale, la création d'une formation pratique de courte durée pour combler le déficit en médecins et auxiliaires légistes.
Ces assises ont aussi bénéficié de la présence et de l'expertise des médecins légistes venus d'autres pays comme la Côte d'Ivoire, le Sénégal, la Guinée, le Burkina Faso et la Suisse. Rappelons que la MONUSCO a soutenu ce colloque dans la perspective des défis que le gouvernement de la RDC cherche à relever pour lutter contre l'impunité.
Le ministre de l'Enseignement supérieur et universitaire, Muhindo Nzangi, a plaidé auprès des professeurs des universités de la RDC afin qu'ils mutualisent leurs efforts pour que la médecine légale devienne une filière dans les universités du pays.
Eugene Kongnyuy, chef du Fonds des Nations Unies pour la Population (UNFPA), qui a pris la parole au nom de la Représentante spéciale du Secrétaire général de l'ONU en RDC, a réaffirmé l'engagement de l'ONU à la RDC : « La famille ONE UN va accompagner le gouvernement dans ses efforts pour la mise en place d'une stratégie nationale de la médecine légale afin d'assurer à la population congolaise les services d'une justice équitable ».