Niger: «L'argument sécuritaire ne peut pas justifier un coup d'État»

interview

Dans la nuit du 26 au 27 juillet 2023, d'autoproclamés membres du Conseil national pour la sauvegarde de la patrie ont annoncé avoir mis fin au régime du président nigérien. « Ce coup d'État est une grande surprise » aux yeux du Docteur Amad Hassane Boubacar. Pour cet enseignant et constitutionnaliste à l'Université de Niamey, Mohamed Bazoum « n'a pas un bilan négatif en termes sécuritaire au point de justifier une remise en cause de l'ordre constitutionnel ». Entretien.

RFI : Docteur Amad Hassan Boubacar, au Niger, un groupe de hauts gradés militaires a annoncé dans la nuit du 26 au 27 juillet 2023 avoir renversé le président Mohamed Bazoum, au nom du Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP). Tout d'abord, est-ce que ce coup d'État est une surprise ?

Amad Hassan Boubacar : À vrai dire, ce coup d'État est une grande surprise puisque personne n'a vu venir un coup d'État dans le contexte actuel du Niger. Les raisons sécuritaires qui avaient justifié le coup d'État dans notre voisinage, notamment le cas du Burkina Faso en particulier, ne se justifiaient pas. Parce que dans le « pays aux trois frontières », comme on le dit, le Niger est en tout cas l'un des pays où, sous la direction du président Bazoum, on a fait des efforts pour contenir cette question d'insécurité. Même si de plus en plus, ces derniers temps, il y a des attaques un peu récurrentes au niveau de la région de Tillabéri. L'argument sécuritaire, de mon point de vue, ne peut pas justifier un coup d'État.

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Un flou entoure également le sort du président Bazoum. Est-ce qu'on sait où et dans quelles conditions il se trouve ?

Jusque-là, le président Bazoum Mohamed est détenu dans son palais, sa résidence, au niveau de la garde présidentielle. Mais le président Bazoum échange avec ses proches. Il n'est pas interdit d'accès à son téléphone avec son entourage, sa famille et il se porte bien. Ils sont en sécurité. Le seul problème, c'est qu'il n'est pas libre de ses mouvements. Il est toujours détenu dans l'enceinte de sa résidence présidentielle.

Parmi les putschistes, on a vu cette nuit un officier de l'armée de l'air, le colonel-major Amadou Abdramane. Il a lu la déclaration des putschistes. À son côté, le chef d'état-major adjoint de l'armée de terre. Il y avait aussi le haut commandant en second de la gendarmerie. Ces hommes sont-ils des seconds couteaux ? Ou est-ce qu'ils ont réellement du soutien dans les différents corps de l'armée ?

Le communiqué, justement, du Conseil national pour la sauvegarde de la patrie dit parler au nom de toutes les forces qu'ils ont ralliées pour éviter des affrontements. Ce qui est sûr, [...] c'est qu'aujourd'hui, ou en tout cas hier, une partie justement de l'armée n'était pas du tout avec le mouvement de force qui a été entamé par la garde présidentielle. Même si, aujourd'hui, on a suivi un communiqué du chef d'état-major des armées faisant état du ralliement du commandement de l'armée à cette déclaration du Conseil national pour la sauvegarde de la patrie.

Qu'en est-il du général Tchiani, le commandant de la garde présidentielle qu'on disait être derrière cette mutinerie ? Est-ce qu'on a des nouvelles ?

Ce qui est évident, c'est que ce mouvement d'humeur a commencé justement au sein de la garde présidentielle et la garde présidentielle était sous le commandement du général Tchiani, même s'il n'est pas apparu sur les images. Mais son numéro 2, son adjoint, est bel et bien apparu sur les images. Donc, pour l'instant, on n'a pas de ses nouvelles pour savoir exactement si c'est lui qui est derrière ça. Mais il faut quand même le rappeler : ce mouvement a commencé au sein de la garde présidentielle. Et c'est par la suite que les autres forces loyalistes ont dû faire allégeance.

Est-ce que l'on en sait un peu plus sur leurs revendications ? Dans leur intervention, ils ont évoqué la dégradation des conditions sécuritaires. Est-ce un argument surprenant, selon vous ?

Tout à fait. Il n'y a pas de revendication en tant que tel, d'abord, y compris pour la garde présidentielle. On n'a pas une information officielle. Ce ne sont que des rumeurs qui font état d'une revendication plus ou moins personnelle. Parce que selon les informations, le général Tchiani devrait quitter la tête de la garde présidentielle ou le président Bazoum devrait le changer et c'est ce qui aurait occasionné ce mouvement d'humeur. Mais, dans le communiqué, l'argument qui a été avancé, c'est la détérioration des conditions sécuritaires, mais également la mal gouvernance économique et sociale. Donc ce sont pratiquement les deux arguments qui, aux yeux des putschistes, justifient cette remise en cause de l'ordre constitutionnel.

Alors que ce sont justement les deux points sur lesquels le président Bazoum s'est engagé.

Tout à fait. Je pense que, aujourd'hui, on peut reprocher autre chose au président Bazoum. Pendant les deux ans et demi de sa gouvernance, le président Bazoum a quand même fait beaucoup d'efforts en termes de sécurité. C'est un homme de terrain. Il est allé pratiquement sur toutes les zones d'insécurité lui-même pour voir les conditions dans lesquelles les forces de défense et de sécurité interviennent. Il a été à Diffa, à Tillabéri, au Nord... C'est vraiment un homme de terrain où, à chaque fois, il fait le point. Et la doctrine militaire a changé en termes de lutte contre les terrorismes sur le terrain, ou même avec les alliés avec lesquels les forces de défense et de sécurité menaient des opérations conjointes. Je pense qu'il y a des résultats qui sont engrangés. Il n'a pas un bilan négatif en termes sécuritaire au point de justifier une remise en cause de l'ordre constitutionnel.

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