Madagascar: Des successions à haut risque

Les Malgaches professent une morale utilitaire qui traduit la pensée fondamentale dominante à l'intérieur de la famille, du clan, du groupe ethnique, de l'État », écrit Lars Vig, missionnaire norvégien à Masindray-Antsirabe, dans la revue Nordisk Missions-Tidssknift (Aarhus, 1910). Toute considération doit céder devant elle, « même les sentiments les meilleurs, les plus nobles chez l'homme comme l'amour maternel ».

Les familles nobles les plus élevées, la famille royale et celles des princes vassaux, doivent se conformer aux exigences de cette morale. Ils doivent mettre fin à la vie de certains de leurs enfants à la naissance ou en cours de gestation. Ces familles ne doivent avoir plus de trois ou quatre enfants. Les corps des suivants sont enterrés au bord des fleuves réputés sacrés ou y sont jetés.

« D'après leurs croyances, ces cadavres d'enfants, comme en général, ceux des nobles, se transformaient en serpents dans lesquels leurs esprits, pensait-on, venaient habiter. » En aval du sud d'Ambohipotsy à Antananarivo, se trouve, à l'époque de la royauté, un étang où sont jetés les corps des enfants de la famille royale, mis à mort selon l'exigence de la morale utilitaire. Il finit par y avoir « beaucoup d'ongles » dans l'étang, d'où son nom Marohoho.

À l'heure actuelle, c'est devenu celui du quartier où se trouvait le plan d'eau. Lars Vig parle d'une pratique consacrée dans la classe noble des Andriamasinavalona, « qui voulait que le quatrième enfant restât en vie s'il était de sexe féminin, pourvu que les trois premiers fussent des garçons. Il en était de même si les trois premiers étaient des filles et le quatrième un garçon. Ceux qui naissaient, par la suite, devaient être tués ».

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Le missionnaire norvégien cite une famille qui appartient à la grande noblesse dans laquelle sont tués huit enfants nouveau-nés, et dans une autre, sept. Il affirme avoir connu les deux pères de ces familles. Plus tard, à un âge avancé, ils sont baptisés et se conduisent comme de bons chrétiens, le second décédant à 90 ans.

Pour expliquer cette « morale utilitaire » si cruelle, Lars Vig se réfère, comme à son habitude, à certains dictons : « Les taureaux ne sont pas frères, les nobles d'une même famille ne sont pas égaux. » ; ou « Plusieurs taureaux ne peuvent pas vivre dans le même enclos, ils se corneraient et se déchireraient... » Et il ajoute que c'est exactement ainsi, selon la tradition orale, que cela se passe dans les plus hautes famille de la noblesse.

A l'intérieur même de la famille royale, « on se disputait au sujet du royaume» et dans les familles des princes vassaux, « on se disputait au sujet des tenanciers (fiefs) ». Si cette classe de la noblesse a de nombreux descendants, beaucoup succomberaient dans les luttes internes à la famille. Car tous ne peuvent pas avoir des fiefs puisque ceux-ci peuvent, comme les autres biens hérités, être répartis entre les héritiers. « Cette répartition provoquerait des luttes et des frictions, puis l'affaiblissement causé aux familles nobles par les luttes intestines provoquées par le partage des tenanciers. » Les luttes de succession risquent d'être terribles parmi les Malgaches de la haute noblesse.

Cela peut être évité si le nombre d'enfants est limité, parce « peu nombreux sont ceux qui règnent ». Un(e) seul(e) peut devenir roi (ou reine). Et rares sont ceux qui deviennent des seigneurs vassaux. Les missionnaires nouvellement arrivés remarquent que les familles de la haute noblesse ont peu d'enfants, contrairement à celle des classes inférieures. Ils supposent alors que la raison en est que « la haute aristocratie avait succombé à la tentation d'une vie de débauche et d'immoralité à laquelle sa position sociale l'exposait ».

Lars Vig, lui, se rend compte que la noblesse n'est pas plus dégénérée que les autres classes sociales. Au contraire, « ses membres faisaient preuve, en tant que princes et chefs, de beaucoup de capacités et sont doués et intelligents ». Et de conclure : « Les plus grandes familles nobles possédaient de la vigueur. » Certains, hommes et femmes, qui en émanent, peuvent atteindre un âge avancé, de 70 à 90 ans, et conservent jusqu'à la fin leur vigueur « spirituelle ». S'ils ne se reproduisent pas plus qu'ils ne le font, cela est surtout dû à leur « morale utilitaire ».

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