Centrafrique: Référendum constitutionnel - Un vote pour une refondation ou pour une présidence à vie?

President Faustin Archange Touadéra

Les Centrafricains sont appelés aux urnes ce dimanche 30 juillet 2023 pour se prononcer sur la nouvelle Constitution proposée par le président Faustin-Archange Touadéra. L'opposition appelle au boycott et dénonce une « mascarade illégale » visant à pérenniser le pouvoir du chef de l'État. La victoire du « oui » ne faisant aucun doute, ce sera donc la participation qui sera scrutée pour évaluer la légitimité de la réforme et de ce nouveau texte qui alimente nombre de polémiques à Bangui.

C'est la saison des pluies sur Bangui. Des craquements soudains déversent parfois pendant des heures des torrents d'eau qui rendent la conduite entre les cratères des rues de la capitale centrafricaine digne d'une épreuve olympique de canoë-kayak. Mais le ciel qui peut leur tomber sur la tête n'est pas suffisant pour doucher l'enthousiasme des supporters du président Faustin-Archange Touadéra.

Ce vendredi après-midi, ils se sont retrouvés dans un stade de 20 000 places pour le dernier meeting de la campagne du « oui » au référendum constitutionnel du 30 juillet 2023. L'absence du chef de l'État, qui était annoncé, mais qui n'était pas rentré d'un déplacement à Saint-Pétersbourg pour le sommet Russie-Afrique, n'a pas entamé leur confiance.

En tribune, Arnaud, un jeune homme portant la casquette blanche du « oui », se dit certain que ce nouveau texte sera un instrument de « paix et de stabilité ». C'est le discours partagé autour de lui. La confiance envers le chef de l'État masque souvent une connaissance très partielle du contenu du texte. Trois rangs derrière, Estelle a « la foi ». Elle a fait la campagne à Bimbo, en périphérie de Bangui, et assure que toutes ses connaissances soutiennent le président et se déplaceront dimanche. Elle souligne notamment un cadre plus protecteur pour les femmes centrafricaines contre les violences basées sur le genre.

Pour Héritier Doneng, aucun doute, cette nouvelle Constitution sera la base « de la refondation » du pays. Depuis un an et demi, le directeur de cabinet du ministre de la Jeunesse et des Sports assure la mobilisation en faveur du projet. Selon ses détracteurs, c'est lui qui distribue des « petits billets » en amont des « manifestations spontanées ». Il n'en a cure, il a porté les mesures phares qui tendent toutes vers un renforcement du pouvoir présidentiel. Il y voit le moyen d'une gouvernance « efficace, au service du développement ».

Par exemple, la fin du contrôle parlementaire sur les accords miniers, désormais du seul ressort de l'exécutif - ce qui alimente la crainte d'opacité, de bradage des ressources et de corruption - est, selon lui, « un atout qui va renforcer les capacités à procéder, dans un laps de temps plus court, à la mise en valeur de nos matières premières stratégiques, pour le décollage économique et social ».

Touadera, « façon Bokassa » ?

En ville, seul le « oui » s'affiche, placardé sur les panneaux de la capitale par le MCU (Mouvements coeurs unis) du chef de l'État, ou sur les banderoles des partis alliés au sein de la majorité présidentielle. Il faut dire qu'il n'y a pas de campagne pour le « non », l'opposition ayant choisi la stratégie du boycott face à ce qu'elle qualifie, au mieux, de « mise en scène », au pire, de « forfaiture », n'ayant selon elle pour seul but que de permettre un maintien au pouvoir de Faustin-Archange Touadéra. Un « président à vie façon Bokassa, un empereur dans les habits d'un président », dénonce l'ancien Premier ministre Martin Ziguélé, porte-parole du Bloc républicain pour la défense de la Constitution (BRDC), la principale plateforme d'opposants formée l'an dernier pour contrer les volontés révisionnistes des partisans du chef de l'État.

Le texte propose une rupture radicale avec la Constitution du 30 mars 2016, fruit du « forum de Bangui », instrument de consensus de la sortie de la guerre civile qui a permis l'élection, par deux fois, du « mathématicien de Boy Rabe », le quartier à Bangui de celui qu'on surnomme également « FAT ».

Un septennat sans limitation et un compteur « remis à zéro »

L'article 67 du projet mis au vote ce dimanche propose ainsi de remplacer le quinquennat renouvelable une fois par un septennat renouvelable sans limitation. Si ses promoteurs affirment que le chef de l'État « n'a jamais dit qu'il souhaitait rester et que ce n'est pas le sujet central », ils reconnaissent, comme le directeur de campagne et premier vice-président de l'Assemblée nationale, Evariste Ngamana, que la victoire du « oui » remettra « le compteur à zéro », et autorisera le locataire du palais de la Renaissance à briguer un troisième mandat lors de la présidentielle prévue à la toute fin de 2025.

Autres éléments fortement contestés, l'interdiction de la binationalité par l'article 10, et la définition de ce qu'est un « Centrafricain d'origine », termes plusieurs fois utilisés dans le texte. Le tollé provoqué, notamment au sein de la communauté musulmane, a contraint la direction de la campagne du « oui » à proposer in extremis des amendements le 27 juillet, à trois jours du vote. Le « Centrafricain d'origine » serait donc la personne née de parents détenant la nationalité centrafricaine, même si ceux-ci ne sont pas nés de parents eux-mêmes Centrafricains, comme le proposait une première version.

Un concept « xénophobe » pour Martin Ziguélé, qui ne manque pas de rappeler les effets de la politique de « l'ivoirité » dans le délitement de la Côte d'Ivoire des années 1990-2000. Une « manipulation de l'opinion », répond Evariste Ngamana, qui dénonce la circulation de « faux textes » pour monter le sujet en épingle. De même, pour le premier vice-président de l'Assemblée nationale, l'interdiction pour les binationaux de concourir aux élections est une simple mesure « de souveraineté, pour éviter les conflits d'intérêt », alors qu'au moins deux figures de l'opposition, Anicet-Georges Dologuelet et Crépin Mboli-Goumba, détiennent un second passeport, comme par ailleurs de très nombreux cadres du pays, ministres inclus. « Ce texte est éminemment crisogène », synthétise Gervais Lakosso, une des figures de la société civile locale, vent debout contre cette constitution « conçue dans l'opacité puis dévoilée dans l'urgence ».

Les soutiens du président poussent la réforme depuis un an et demi

Annoncé le 30 mai dernier par le chef de l'État, le vote porte sur un texte qui n'a été publié que le 10 juillet, alors que selon de nombreuses sources, il a été rédigé voici plusieurs mois. Ce référendum est en effet la concrétisation d'une année et demie d'efforts des autorités. Les opposants ont un temps cru pouvoir résister, mais la mise à la retraite de la présidente de la Cour constitutionnelle, Danièle Darlan, fin octobre 2022, un mois après que l'instance a retoqué une première tentative de modifier la loi fondamentale, a eu raison de leurs espoirs.

Danièle Darlan a par la suite confirmé au New York Times ce qu'elle nous avait confié quelques mois plus tôt dans le secret de ce qui était encore son bureau à la Cour, à savoir la visite d'émissaires russes dès mars 2022, venus la sonder sur la perspective d'une nouvelle Constitution.

Sans le soutien de l'ONU, le gouvernement se tourne vers le Rwanda et Wagner

Car si le référendum est organisé, les autorités le doivent à leurs deux alliés qui en assurent le déploiement et la sécurisation : le groupe Wagner et l'armée rwandaise. En effet, la force onusienne Minusca, malgré les accusations parfois portées à son encontre, a officiellement refusé toute assistance à ce vote « hors de son mandat », que les partenaires internationaux n'ont pas financé. Malgré les promesses de l'Autorité nationale des élections, la réalité de sa tenue hors des centres urbains est incertaine, à une période pluvieuse où les pistes sont impraticables, sans oublier les menaces des groupes armés dans plusieurs régions.

S'il ne peut compter sur les bailleurs de fonds et les casques bleus, le président Touadéra bénéficie en revanche du désintérêt, de la lassitude, ou de la mansuétude des autres partenaires du pays. Tandis que les États-Unis tentent de le convaincre de mettre fin aux contrats liant le pays à Wagner, l'ambassade américaine à Bangui s'est contentée de demander un « processus ouvert, transparent, libre et équitable » pour la modification de la constitution. Des termes qui rejoignent ceux employés par l'ambassadrice française auprès des Nations unies, lors d'une récente réunion du Conseil de sécurité.

Ces derniers mois, l'ambiance a été au dégel, à petits pas, entre Bangui, Paris et Washington. Est-ce parce que le budget de l'État est exsangue, faute d'appui international ? Ou est-ce une stratégie de celui que certains surnomment désormais le « boulanger » de Bangui ?

Alors que la victoire du « oui » ne fait aucun doute, l'engouement des Centrafricains pour le vote donnera un indicateur du degré de popularité du président Touadéra, et de légitimité de cette nouvelle République.

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