Après des dizaines de hameaux déplacés depuis 2014, impactant plus de 2000 personnes, Diogo, lieu d'exploitation du zircon, commence à reverdir grâce à la réhabilitation du site d'exploitation minière. L'expérience de la Grande côte opérations, une première du genre de la part d'une entreprise minière, soulage les populations de ce village de la commune de Darou Khoudoss, à 47 km de Tivaouane. Même si certains villageois veulent l'accélération du processus.
Le panorama est superbe. Vu d'en haut, ce sont des plantes qui poussent constituant une verdure plantée au coeur du désert de la zone des Niayes. Une vue aérienne ne permet pas de percer le mystère des gracieuses dunes de sable qui décorent l'immense espace, jadis forêt classée sous le contrôle du Service des Eaux et forêts. Il est 11h à Diogo, village situé dans la commune de Darou Khoudoss, à 47 km de Tivaouane. Il flotte un temps qui fait dégouliner les corps à coté d'une route cahoteuse qu'il faut emprunter pour accéder à cette bourgade, fief de la production de légumes et un des poumons de la culture maraichère et horticole du pays.
A peine entre-t-on dans l'usine de séparation des minéraux (Msp), l'on est étourdi par le fracas des machines bruyantes de l'engin spider chargé de transporter les containers. Sur le site minier exploité par la Grande côte opérations (Gco) depuis 2014, la lame rotative d'une drague s'enfonce dans l'eau sablonneuse à 6 m de profondeur pour aspirer la roche 24 heures sur 24. Au coeur d'un vent sec et bouillant de chaleur, étouffant l'horizon et le ciel, se déroule la phase de concentration des minerais de sable. La structure flottante à l'arrière de la drague recueille le sable humide et les concentre notamment par moyen de spirales. Cette usine flottante appelée Wcp récupère 1,5% de minéraux concentrés et restitue à l'arrière de l'usine les 98,5% du sable extrait ne comportant pas de sables minéralisés.
Sur la mine itinérante d'une concession de 106 km de long sur environ 4 km de large, la Gco produit principalement de l'ilménite, du zircon, du rutile et du leucoxène et les sables minéralisés sont essentiellement destinés aux marchés du bâtiment et de la décoration. Mais qui dit exploitation, parle inévitablement de dégradation de l'environnement. Cette entreprise, filiale du groupe français Eramet et dont l'Etat du Sénégal détient 10 %, procède désormais à la réhabilitation puis à la restitution de ses sites conformément aux dispositions de l'article 103 du Code minier de 2016. Lequel indique que « tout titulaire de titre minier procède obligatoirement à la réhabilitation des sites couverts par son titre minier ».
Des dizaines de hameaux déplacés, 560 maisons construites
En septembre 2022, 85 ha de terre ont été cédés au Service des eaux et forêts. Casque de chantiers, gilets verts, lunettes de soleil, au milieu du désert qui fait transpirer les corps à grosses gouttes, une dizaine de membre du Gie And Deggo montent des piquets et aménagent les espaces qui doivent accueillir le reboisement. «On fait des piquetages pour empêcher le vent d'emporter les arbres. On essaie de faire en sorte que la zone ne soit pas désertique. On connait l'importance de l'arbre dans la distribution de l'oxygène pour l'être humain. On cherche à permettre aux producteurs de revenir pour exploiter ces terres », explique Mansour Samb du Gie And Deggo précisant que le site concerné fait 23,3 ha.
Au-delà des produits horticoles, il est aussi planté de l'anacardier...durant l'exploitation. Pour exploiter cette zone, la Gco a déplacé des dizaines de hameaux pour 560 maisons construites en faveur de plus de 2000 âmes regroupées dans 4 villages dénommés Diourmel, Keur Korka, Foth et Thiakhmat. «Nous saluons les efforts de la Gco mais c'est lent. La réhabilitation doit aller plus vite. Nous avons besoin de ces terres parce que Diogo est un village de paysans », souligne Adama Ka, chef du village de Keur Korka, allongé dans sa vaste concession. «Nous avons besoin de lieu de palabres. Ici, tout est ensoleillé », abonde Ndèye Ka, femme de ménage.
La mine de Gco est particulière : à ciel ouvert, mobile, sans ajout de produits chimiques. Ainsi, l'entreprise a créé un petit bassin artificiel sur la dune pour que la drague puisse pomper le sable. Raison pour laquelle la mine avance d'une trentaine de mètres tous les jours. « On fait un pompage de sable, on récupère la partie qui est minéralisée, soit 1,5% de l'ensemble et le reste environ 98,5% du sable est rejetés immédiatement à l'arrière de notre activité. Quelques mois plus tard, les rejets de sable sont séchés, stabilisés et remodelés pour être dans la topographie, la forme la plus proche de celle dans laquelle on les a trouvés. Puis on active tout le process de réhabilitation, la replantation ou autres », explique Ndèye Fatou Niang, membre du département communication de la Gco. A Diogo, le désert laisse peu à peu la place à la verdure des plantes. Au grand bonheur des populations...
RESTITUTION DES TERRES PAR LA GCO
Les réserves des producteurs maraichers
Même s'ils saluent la réhabilitation des terres exploitées par la Gco, les producteurs maraichers jugent le processus non inclusif. Pour l'accès à ces espaces, le Service régional des eaux et forêts de Thiès appelle les paysans à se tourner vers l'Etat.
Au Sénégal, la Grande côte opérations (Gco) est la seule entreprise minière qui réhabilite et restitue ses sites à la fin de l'exploitation. Une expérience salutaire d'après des producteurs maraichers de la zone. Mais encore faudrait-il que le processus soit inclusif, d'après le Secrétaire général de l'Association des producteurs maraichers de Fass Boye, village voisine de Diogo. «C'est une bonne chose. L'idée est pertinente. Mais la façon dont on fait la réhabilitation et la restitution ne nous agréé pas. Nous ne nous sentons pas concernés. Ces terres se trouvent dans la commune de Darou Khoudoss. Elles appartiennent aux populations, non au Service des eaux et forêts », déclare Moda Samb, par ailleurs 1er adjoint à la mairie de Darou Khoudoss. Pourtant, contacté, le maire de Darou Khoudoss, Magor Kane estime que la Gco a associé la mairie.
Commune du département de Tivaouane, Darou Khoudoss, de l'arrondissement de Méouane, un haut lieu de la production maraichère, polarise plus de 80 000 habitants pour une superficie de 520 km2. Moda Samb précise que Fass Boye est la première zone de carottes avec une production annuelle de plus de 32 000 tonnes tandis que Diogo est leader en termes de production de choux. Les paysans ont-t-il accès aux 85 ha restitués l'année dernière ? « En ce moment, ces terres ne peuvent pas être exploitées parce qu'il faut un temps pour que ces plantes murissent. L'environnement n'est pas adapté à la culture », répond le producteur Ibra Fall, également conseiller municipal. D'ailleurs, souligne Moda Samb, pour le moment, aucun producteur ne peut augmenter ses surfaces emblavées depuis l'évènement de la Gco. «On a besoin d'augmenter nos surfaces. Les champs que j'ai hérités de mon père sont trop petits mais le Service des eaux et forêts nous interdit d'augmenter la surface de nos terres », dit-il.
A ces récriminations, le Service régional des eaux et forêts répond que la zone en question fait partie du domaine national. «L'Etat peut autoriser des gens à développer des activités culturales dans un site donné. Maintenant, c'est l'Etat qui va apprécier quant à la restitution des terres aux populations », indique Colonel Youssoupha Diouf, Inspecteur régional des Eaux et forêts de Thiès. Interpelé sur l'absence de réhabilitation des sites par les Industries chimiques du Sénégal (Ics), le Colonel Diouf appelle les entreprises à suivre l'exemple de la Gco.
APPROVISIONNEMENT DU FONDS DE REHABILITATION DES SITES
La plupart des entreprises minières violent la loi
Malgré la législation, les entreprises minières continuent de dégrader l'environnement mais sont peu enclines à verser les taxes pour la réhabilitation des sites.
Sur 22 sociétés minières, seules les sociétés Pettowal mining company (Pmc) et Australian institute of geoscientists (Aig) ont reporté des dépenses environnementales pour des montants respectifs de 51 521 817 FCfa et 340 000 FCfa, d'après le rapport 2021 de l'Initiative pour la transparence dans les industries extractives (Itie). Par ailleurs, certaines entreprises ont approvisionné leurs comptes respectifs au niveau de la Caisse des dépôts et consignations. Il s'agit de Pettowal mining company (Pmc) avec 300 000 000 de FCfa, la Grande côte opérations (Gco) pour 274 130 357 de FCfa, la Société commerciale du ciment (Sococim) avec 81 430 000 de FCfa et Baobab mining and chemical Corp SA avec 80 000 000 de FCfa.
Ainsi, le total de Paiements garantie de réhabilitation est de 735 560 357 de FCfa. Pourtant, l'article 2 du décret n° 2009-1335 en date du 30 novembre 2009 portant création et fixant les modalités d'alimentation et de fonctionnement du Fonds de réhabilitation des sites miniers stipule que le titulaire du titre minier provisionne une caution équivalente à cinq fois le coût moyen annuel de réhabilitation à compter de la date de première production. De plus, le titulaire du titre minier provisionne annuellement le fonds à compter de la date de première production pour un montant équivalent au coût moyen annuel de réhabilitation. «Le montant de la caution constitue une garantie à première demande pour l'Etat. La provision versée chaque année à compter de la première production est destinée au financement des opérations de réhabilitation de l'année suivante», mentionne l'Itie.
Selon le dernier rapport de l'Itie, seules 9 sociétés ont payé des taxes environnementales pour un montant de 524 868 778 FCfa, d'après les déclarations de la Direction de l'environnement et des établissements classés et la Directions des eaux et forêts, chasse et conservations des sols (Defccs).
GUILLAUME KUREK, DIRECTEUR GENERAL DE GRANDE COTE OPERATIONS
«On va restituer plus de 200 ha cette année»
Directeur général de la Grande côte opérations (Gco), Guillaume Kurek nous a reçu dans son bureau pour expliquer le chantier de la réhabilitation. L'entreprise française, seule au monde dans l'exercice au Sénégal, compte accélérer le processus de restitution des terres dans cette zone maraichère.
Où est en la Gco avec a réhabilitation de ses sites ?
L'activité de Gco a commencé en 2014, on est à notre 9e année. On tourne à un niveau industriel avec une certaine certitude qui fait que l'entreprise n'est viable que depuis 2017. De 2014 à 2017, il a fallu faire face à beaucoup de challenges techniques pour réussir à faire fonctionner le process lui-même. Notre mine est itinérante, se déplace de 20 à 40 mètres tous les jours. On redépose un sable qui n'a subi aucune transformation où on a juste retiré le 1,5% de sable minéralisé, une proportion très faible. En minant le sable, on utilise de l'eau, donc un a créé un sable plus humide. Il va falloir quelques mois pour que le sable sèche complètement et soit dans son état naturel avec une topographie travaillée et identique à son état initial. Une fois que le terrain est sec, on reprend l'amendement et on fertilise de nouveau le terrain avec la contribution des communautés. On fait régénérer de l'engrais au niveau des sols. On a des Gie qui sont impliqués pour la mise en place de ces engrais. Au niveau de la pépinière, il y a la préparation de ce qui va être le nouveau couvert végétal. Là aussi, ce sont des Gie qui nous aident à préparer les futurs plants qu'on va réintroduire. Il va falloir quelques années pour que les plantes arrivent à maturité. Là où Gco est dans une dimension assez exceptionnelle, au sens innovant et rare du terme, c'est qu'on a mis en place, en septembre 2022, le tout premier processus de restitution de terres complètement réhabilitées après valorisation minière. Cela veut dire que les terres exploitées en 2014, 2015, 2016, les premières surfaces ont été complètement réhabilitées et ont pu être constatées par les Eaux et forêts comme rendues dans un état amélioré par rapport à l'état initial en termes de densité du couvert végétal, de qualité en biodiversité. Les espèces qui ont été utilisées ont été faites de manière inclusive avec les populations. C'est pourquoi on a des anacardiers qui n'existaient pas forcément ici. On a restitué des terrains en seulement 6 ans d'activité, c'est quelque chose qui est inédit au Sénégal et dans le monde.
Aujourd'hui, la Gco a restitué combien d'hectares ?
On a restitué 100 ha sur la première séquence de restitution. On va réengager une séquence de restitution cette année qui va être plus de 200 ha. Sur les 5 premières années du dispositif, ce sont plus de 1000 ha qui seront restitués. Gco est un projet minier phare du Plan Sénégal émergent, plus gros investissement privé des 10 dernières années avant les investissements qui sont en cours ou dans les plateformes pétrolières et gazières. La Gco, c'est 800 millions de dollars d'investissement, 2000 emplois, un pari fou d'exploiter un gisement parmi les plus pauvres du monde. C'est un pari d'oser faire un investissement sur un gisement aussi pauvre. Aujourd'hui, cette société est devenue la 6ème contributrice à l'économie du Sénégal en tant que société minière d'après le rapport de l'Itie. Cela va encore se développer. On est devenu 4eme producteur mondial de sable minéralisé avec les 3 premiers qui sont d'une autre dimension mais on est quand 4eme. Donc, le Sénégal est le 4eme producteur mondial de sable minéralisé. Aujourd'hui, la Gco fait partie des meilleures entreprises du monde en termes de compétence de gouvernance.
Des populations s'inquiètent de la lenteur du processus de réhabilitation. Allez-vous accélérer le processus ?
Systématiquement, ces griefs s'éteignent à partir du moment où les gens viennent nous voir pour toucher du doigt ce qu'on fait. Depuis des années, nos responsables disent qu'au sortir d'une journée de visite, les gens sont reconnaissants de ce que l'on fait au quotidien. Ils nous disent qu'ils n'avaient pas la bonne vision de ce que l'on fait. Nous faisons souvent des journées portes ouvertes pour montrer comment on fonctionne. Sur l'aspect rapidité, on aimerait tous revitaliser les choses en quelques mois. Après, il faut laisser mère nature faire son travail. La Gco parle de 1000 ha qui vont être restitués en quelques années. On ne peut pas arroser 1000 ha. On n'a pas la volonté non plus d'impacter la ressource en eau.