Depuis avril 2023, le Soudan connaît une nouvelle explosion de violence, opposant les Forces de soutien rapide (FSR) du général Hemedti à l'armée régulière du général et chef de l'État, Abdel Fattah al-Burhan. Les FSR ont succédé aux milices Janjawid qui, au service du régime d'Omar el-Béchir, avaient semé la terreur au Darfour lors de la guerre de 2003-2004. Ali Mohamed Abd-el-Rahman [aussi connu sous le nom d'Ali Kushayb, NDLR], ancien chef du groupe paramilitaire est actuellement jugé par la Cour pénale internationale (CPI) à La Haye pour crimes contre l'humanité et crimes de guerre.
« Les Janjawids, comme nous le savons bien dans notre pays, sont un groupe de tribus arabes qui se déplacent à dos de chameau ou de cheval et qui possèdent des armes, raconte un témoin lors du procès. Ils tuent, ils pillent les marchés, s'en prennent à des gens de différentes tribus et différentes origines ethniques. » On les appelle « les cavaliers du diable ». Ils ont répandu la terreur sur le Darfour, pour mater une insurrection.
Au printemps 2003, la guerre civile connaît un tournant. Des rebelles ont défait les forces gouvernementales à l'aéroport d'Al Fasher. En conséquence, le Conseil de sécurité national à Khartoum élabore un plan d'urgence. Un plan criminel, selon l'accusation, comme l'a raconté aux juges le procureur Edward Jeremy : « Ce plan d'urgence précisait que la police ainsi que les forces de réserve, comme les CRF, ne disposaient pas de suffisamment d'éléments pour combattre les rebelles, et c'est sur cette base qu'une décision a été prise pour recourir aux tribus arabes dans le conflit. » Dans le prétoire, le procureur présente un document écrit en arabe et frappé d'un « top secret ». Puis, il lit certaines des directives : « Premièrement : créer des forces semi-régulières provenant des tribus arabes. »
Selon l'expert Alex de Waal, dès le XVIIIe siècle, les tribus qui ne possédaient pas de Dar [pas de terre, NDLR], seront les plus combattantes, comme les Rezeigat du nord du Darfour, à laquelle appartient le chef de guerre Moussa Hilal : « C'est un groupe qui ne disposait pas de terre dans le cadre du régime traditionnel. C'était, pour ainsi dire, un groupe qui recherchait un lieu pour s'installer, qu'il appellerait son "chez-soi". »
Moussa Hilal est l'un des plus célèbres chefs Janjawids. « Sa milice, qui est devenue la brigade de renseignement frontalière, a été la première et la plus importante milice et également la plus crainte des groupes Janjawids », poursuit Alex de Waal.
« Toutes ces milices sont des Janjawids »
L'un des témoins appelés à la barre de la Cour, un avocat soudanais aujourd'hui en exil, a expliqué aux juges le fonctionnement de cette brigade. Placé sous le programme de protection des témoins, il a déposé sous pseudonyme et sa voix a été déformée : « À cette époque, le gouvernement voulait avoir la mainmise sur ces milices et il leur a donné le nom de "renseignement frontalier" afin de codifier l'organisation de ces milices arabes. Ensuite, cette entité ou cette milice a été démantelée et a été rebaptisée du nom de soutien rapide. Toutes ces milices, ce sont des Janjawids. »
Selon l'expert Alex de Waal, c'est l'appareil sécuritaire soudanais qui dirige et ordonne les combats depuis Khartoum. « Un groupe de militaires de haut rang et des membres des forces de sécurité, qui travaillaient ensemble depuis de nombreuses années, même avant le coup d'État, tenaient le commandement général. Et quelle que soit leur position - à la sécurité nationale, au ministère de l'Intérieur, au ministère de la Défense, au cabinet du président, dans l'appareil du parti - ils communiquaient de manière collective avec ceux qui exécutaient leurs instructions au Darfour. »
Vingt ans après cette guerre, la créature du gouvernement soudanais, la milice Janjawid, s'est transformée en entreprise militaire lucrative. Mais cette fois, ceux qu'on appelle aujourd'hui les Forces de soutien rapide (FSR), les descendants des Janjawids, sont devenues l'ennemi de l'armée régulière. Il y a 20 ans, le gouvernement lui-même avait parlé de la guerre comme d'un raccourci vers l'enfer.