Ile Maurice: Nalini Ramasamy - Militer pour que la femme handicapée ne soit plus une citoyenne de troisième zone

Nos athlètes paralympiques ont récemment fait la fierté de Maurice en remportant des médailles au niveau international. Est-ce à dire que la personne handicapée jouit de ses pleins droits comme n'importe quel autre citoyen de notre île? Rien ne serait plus faux, selon Nalini Ramasamy, présidente de l'association Women with Disabilities, secrétaire de la Fraternité Mauricienne des Malades et des Handicapés et membre active de Voice of Disabled People International, qui précise que la femme en situation de handicap est encore plus à plaindre que son homologue masculin. Elle relève toutes les aberrations du système par rapport à la personne en situation de handicap et estime que les autorités ne font rien pour favoriser la véritable inclusion.

A bien voir, la quinquagénaire Nalini Ramasamy aurait toutes les raisons de déprimer. Un accident de travail la rend paraplégique alors qu'elle n'a que 26 ans et la vie devant elle. Si après une longue réhabilitation, elle arrive à se déplacer, elle doit s'aider d'une béquille. Sept ans après son accident qui a eu lieu en 1992, les neurologues allemands lui apprennent qu'elle a développé une maladie incurable à la colonne vertébrale et qu'à terme, elle ne marchera plus. Plutôt que de se morfondre et de s'apitoyer sur son sort, cette femme de tête préfère se mettre au service de la personne handicapée et en particulier de la femme en situation de handicap. «J'ai accepté ma nouvelle réalité. C'est stupide de lutter contre something you cannot change. It's not worth it.»

Mais, «il y a des jours où je n'en peux plus», s'exclame cette femme de 57 ans. L'expression de ce ras-le-bol ne vient pas de sa situation mais de celle de la 'surdité' des autorités face aux demandes de l'association qu'elle a fondée, la Women with Disabilities, parce qu'elle a réalisé que si la personne handicapée est généralement invisible aux yeux de la société mauricienne, la femme en situation de handicap l'est davantage. Ce réalité l'a frappée de plein fouet quand elle est devenue paraplégique.

Avant ce triste épisode, cette habitante de Belle-Etoile, qui a passé son enfance dans les appartements de la police à Vacoas du fait que son père, aujourd'hui retraité, était policier, était toujours débordante d'énergie. Après une scolarité à l'école Aryan Vedic puis à Notre-Dame de Lourdes, elle a intégré le collège Dr Maurice Curé où elle a bouclé son secondaire. Aimant expliquer les choses, elle s'est intéressée à l'enseignement au niveau primaire. Après avoir suivi un cours pendant deux ans auprès du Mauritius Institute of Education et avoir obtenu son certificat, elle a été envoyée à l'école de Chitrakoot à Vallée-des-Prêtres. Or, en sus d'avoir à changer trois autobus à l'aller comme au retour pour pouvoir faire la classe aux enfants, elle a réalisé que ses collègues instituteurs n'étaient pas intéressés à faire la classe mais surtout à donner des leçons particulières. Si bien que des parents lui mettaient la pression en lui reprochant de ne pas en donner aux leurs. Le monde à l'envers quoi ! Au bout d'un an, elle a jeté l'éponge et a opté pour un emploi qui ne soit ni sédentaire ni routinier.

Accident de travail Air Mauritius recherchant du personnel navigant commercial, elle a postulé et sa demande d'embauche est rejetée à...sept reprises avant d'être finalement acceptée. «Je suis rentrée par la grande porte, sans pistons.» Cet emploi est totalement à sa convenance, même si elle gagne moins que lorsqu'elle enseignait. «Faire du shopping à l'étranger ne m'intéressait pas. Moi, je voulais découvrir le monde et rencontrer de nouvelles personnes.» Elle ne s'absente jamais et est toujours affairée. «Je ne tenais pas en place. Mes collègues m'appelaient d'ailleurs Duracell comme les piles.»

Un jour qu'elle est programmée pour un vol sur Frankfort, Nalini Ramasamy a un pressentiment bizarre. «C'était la première fois que je ne voulais pas faire un vol. Je le disais d'ailleurs à ma mère mais comme je n'aime pas m'absenter, j'ai accepté.» Autre fait inhabituel, lorsqu'elle débarque à Plaisance, l'équipage est déjà au complet, soit 11 personnes. Elle est le 12e élément. Le chef de cabine ne sachant pas trop où la déployer, l'envoie aider l'équipage à l'arrière de l'avion, dans la classe économie. Quarante-cinq minutes avant l'atterrissage dans la ville allemande, l'avion passe dans un cumulus-nimbus. Le chef de cabine n'a que le temps d'avertir le public voyageur et de dire à l'équipage de regagner sa place. Nalini Ramasamy préfère rester derrière car elle sait qu'elle n'aurait pas eu le temps de rejoindre son siège qui se trouvait à l'avant. Si elle trouve une place, elle n'a pas le temps d'attacher sa ceinture. L'avion perd 8 000 pieds d'altitude en dix secondes. Elle est projetée dans l'air, sa tête heurtant le plafond de l'avion et en retombant, elle est projetée contre les équipements en métal se trouvant dans le galley. Une fois l'avion stabilisé, son corps n'est plus que souffrance. Pour avoir pris des cours de premiers secours lors de la formation initiale en tant qu'hôtesse, elle se rend bien vite compte, en ne pouvant bouger que la tête et les bras, qu'elle a eu la colonne vertébrale sectionnée.

« Il suffirait que le gouvernement amende l'article 16 de la constitution ayant trait à la discrimination et mette une virgule, suivie du mot disability, pour que les personnes en situation de handicap puissent être protégées.»

Héliportée à l'hôpital, après un examen d'imagerie à résonance magnétique, le chirurgien confirme qu'elle a eu la colonne vertébrale sectionnée en trois endroits et lui assène la terrible vérité : elle est paraplégique et ne pourra plus marcher. Nalini Ramasamy refuse ce diagnostic sans appel et déclare que même si elle doit ramper, elle le fera mais qu'elle arrivera à se déplacer. Elle subit deux opérations au cours desquelles des plaques et des vis en titane lui sont posées dans le dos et une greffe des vertèbres abîmées lui est faite. Pendant un mois, elle dort à peine tant mentalement, elle répète les exercices qu'elle fera pour pouvoir remarcher. Elle passe cinq mois en Allemagne et c'est dur pour elle car elle ne parle pas l'allemand. Les Dastur, qui sont responsables d'Air Mauritius en Europe, lui rendent visite et la font transférer au Stoke Mandeville Rehabilitation Centre à Aylesbury en Grande-Bretagne. Le personnel du centre fait tout pour qu'elle soit le plus autonome possible. Au bout de neuf mois, elle regagne Maurice et y découvre, avec stupeur, la véritable situation des personnes handicapées. «Les autorités parlent d'inclusion. Or, à Maurice, la personne handicapée n'est pas incluse. C'est à elle de s'ajuster au mainstream.»

Bâtiments publics inadaptés

Par exemple, poursuit-elle, les trois quarts des bâtiments publics n'ont pas de rampes pour faciliter le déplacement de la personne handicapée. «Un secrétaire permanent à qui j'en ai fait la remarque m'a dit : Ki ou lé, bisin kraz bâtiment là pou zot ? J'ai répliqué qu'il fallait des réaménagements et que je n'étais pas venue le voir pou manz badia ek boir dité.»

C'est Jacques Lim Kee, président de la Fraternité Mauricienne des Malades et Handicapés et dont le fils est son ancien collègue, qui l'invite à rejoindre cette association. Comme elle refuse de baisser les bras, elle y va et à un moment, l'association la délègue pour qu'elle aille assister à une conférence sur les femmes en situation de handicap au Kenya. Elle a six mois pour présenter un projet. Ayant vu que la femme en situation de handicap à Maurice est moins bien lotie que son homologue masculin, elle présente le projet de constitution de Women in Disabilities, organisation non gouvernementale qu'elle enregistre d'ailleurs à Maurice. Si au départ, elles sont une soixantaine de membres, à ce jour, Women in Disabilities ne compte qu'une trentaine de femmes en situation de handicap.

Au fur et à mesure qu'elle écoute les personnes en situation de handicap et en particulier les femmes, Nalini Ramasamy prend conscience de toutes les aberrations du système par rapport à leur vécu. La Voice of Disabled People International, qui englobe aussi la Fraternité Mauricienne des Malades et des Handicapés et Women with Disabilities, multiplie alors les plaidoyers auprès des décideurs pour que la personne handicapée soit non seulement consultée mais que ses demandes soient aussi entretenues. «On traite les handicapés comme des malades. Je suis handicapée oui mais je ne suis pas malade. Je me déplace, je conduis ma voiture. Pour que je puisse bénéficier d'un véhicule adapté à ma situation en hors-taxe, je dois passer devant un Board medical. La personne handicapée qui veut conduire et qui doit obtenir son Learner, doit être vue par un médecin légiste ! Vous vous rendez compte. Il s'agit avant tout d'une question de mobilité sociale, qui n'a rien à voir avec le médical. Sans compter que les autorités et même certains médecins utilisent un langage dénigrant en parlant de la personne en situation de handicap, la désignant comme autrement capable. Nous sommes autant capables que les personnes génériques.»

Elle ajoute que le ministère de l'Egalité des Genres n'invite jamais son organisation aux activités qu'il organise et que dans le passé, un ancien secrétaire permanent à ce ministère lui a carrément dit que «Disabilities are not my concern». Et que même dans le Protection from Domestic Violence Act, seules les femmes handicapées mariées et victimes de violence sont considérées et pas celles violentées par une personne dans la communauté. Nalini Ramasamy souligne aussi qu'il y a deux lois contradictoires par rapport à l'emploi de la personne handicapée. Le Training and Employment of Disabled Persons Act de 1996 demande à toute entreprise employant 35 personnes ou davantage de recruter une personne en situation de handicap. Or, souligne Nalini Ramasamy, l'Equal Opportunities Act vient accorder une dérogation à cet employeur «si le suitable accommodation» pour l'employé handicapé constitue un fardeau financier. «Which is which ? Et si la personne handicapée veut trouver un emploi dans le secteur public, elle doit passer l'entretien à la Public Service Commisssion. Or, ce bâtiment n'a pas de rampes pour que la personne handicapée puisse s'y rendre. Le bureau du Passeport and Immigration n'est pas accessible à la personne handicapée non plus. Je peux vous citer d'autres exemples de bâtiments pas adaptés. N'allons pas trop loin, lorsque vous vous rendez à l'hôpital, vous ne pouvez pas monter sur la couchette de consultation qui est très haute. Donc, le médecin vous laisse sur votre fauteuil roulant et vous examine au petit bonheur. Aucun équipement à l'hôpital n'est adapté à notre situation.»

Insensibilité et discrimination

Elle évoque aussi la discrimination dont les personnes handicapées font l'objet. Elle cite le cas d'un chargé de cours à l'université de Maurice qui a refusé une personne en situation de handicap dans sa classe ou encore celui d'un employeur qui a conseillé à la personne handicapée de rester chez elle le lendemain car il y avait un exercice de simulation de catastrophe dans le bâtiment. La discrimination est aussi pratiquée par le ministère de la Sécurité sociale, insiste Nalini Ramasamy. «Si vous êtes, par exemple, amputé juste au-dessus du genou, vous êtes considéré comme handicapé mais si vous l'êtes en-dessous du genou, le Board médical de la Sécurité sociale ne vous considère pas comme une personne handicapée. Les autorités disent qu'il y a 60 000 personnes handicapées à Maurice. Or, ils sont plus nombreux et seul un recensement en bonne et due forme pourra le dire. Lorsque vous avez 60 ans, vous perdez votre pension d'invalidité et votre Carer's Allowance. Vous ne percevez que la pension de vieillesse. De plus, vous n'êtes plus éligible pour un véhicule hors taxe. La Voice of Disabled People International a dû lutter pendant des années pour que les médecins employés par la Sécurité sociale rendent visite aux personnes en situation de handicap. Et ceux-là ne regardent que la tension artérielle et le diabète. Un médecin à qui je demandais un document pour me faire faire une prothèse pour mon pied, m'a conseillé d'aller à l'hôpital Victoria chercher un document et de le lui rapporter et à ce moment-là, il me réfèrerait à la section orthopédique pour obtenir une prothèse. Vous croyez qu'une personne handicapée et dans le besoin peut faire tout cela?»

Nalini Ramasamy, qui n'a pas la langue dans sa poche, dit être mal perçue par certains fonctionnaires, voire par certains ministres, en raison de son franc-parler. «Quand on dit les choses comme elles sont, ils n'apprécient pas. Ce sont les fonctionnaires génériques qui décident pour les personnes handicapées et nous n'avons pas voix au chapitre», affirme-t-elle en précisant que bon nombre de personnes en situation de handicap craignent de voir leur pension supprimée si elles évoquent publiquement leur situation et de ce fait, elles préfèrent se taire et subir en silence. Elle cite aussi le cas des personnes souffrant d'un handicap auditif, qui n'ont droit qu'à un bulletin d'informations télévisées condensé en langue des signes une fois par semaine et rien à leur intention quand il y a un cyclone en approche de l'île. «Quant aux personnes non-voyantes à Maurice, elles ne sont recrutées que comme réceptionnistes alors qu'en Inde, par exemple, il y a 123 emplois listés que les personnes non-voyantes peuvent faire.»

Elle rappelle que le gouvernement a signé, en 2007, la United Nations Convention on the Rights of Persons with Disabilities (UNCRPD) et l'a ratifiée en 2010 mais que bon nombre de points figurant dans cette convention ne sont pas appliqués. «Maurice a soumis un Country report en 2012 et trois ans plus tard, les autorités ont été très critiquées pour son contenu. En 2019, la Voice of Disabled People International a soumis un rapport alternatif où nous sommes venues rétablir la vérité relativement à tout ce que les autorités ont dit. En 2020 et en plein Covid-19, les autorités ont soumis un autre rapport où tout est bon et favorable à la personne handicapée à Maurice et ceci, sans consulter les organisations non gouvernementales et les personnes handicapées alors que c'est une des obligations de l'UNCRPD. Vous comprenez mieux pourquoi nous sommes exclus de toutes les fonctions publiques.»

Ce qu'il faudrait, ajoute-t-elle, c'est la volonté politique de faire bouger les choses en faveur de la personne handicapée. «A chaque 3 décembre (NdlR : Journée mondiale des personnes handicapées), les autorités ressortent de leur chapeau le Disability Bill qui serait en préparation. Or, nous n'avons eu qu'une seule réunion à ce sujet avec les autorités et depuis, nous ne voyons rien. Pas une ligne. C'est un secret d'État. Les autorités ne s'occupent que de l'élite chez la personne handicapée. Or, il suffirait que le gouvernement amende l'article 16 de la Constitution ayant trait à la discrimination et mette une virgule, suivie du mot disability, pour que les personnes en situation de handicap puissent être protégées.» Et comme Maurice n'a pas signé le protocole optionnel de l'UNCRPD, un particulier ou une organisation se sentant lésé, ne peut saisir les Nations Unies pour se plaindre. «Il n'y a pas de monitoring, pas de consultations. Il n'y a pas de centre de réhabilitation à Maurice qui apprenne aux personnes devenues handicapées à vivre de façon autonome. A Maurice, après un accident, on devient redundant. Mo espere ki avan mo morr, mo trouve total inclusion des personnes handicapées dans sa pei la....»

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