Depuis les nouveaux rapprochements entre l'Afrique et la Russie, certains illuminés font le procès à l'Afrique d'un simple changement de bourreaux. Ce type de réflexion qui relève d'une légèreté intellectuelle affligeante, suggère soit de la naïveté, soit de la connivence.
Tout d'abord, cette réflexion est insultante parce qu'infantilisante, comme si l'Afrique ne pouvait pas réfléchir par elle-même, en ayant pour seule aptitude le changement de maître. Les africains qui tiennent ce genre de propos ne font que reprendre servilement le narratif de l'impérialisme occidental, qui a malheureusement bien réussi son lavage de cerveaux en laissant croire que les africains étaient des incapables, et donc des éternels assistés. Cette insulte à nos intelligences est de trop, et surtout déplorable quand elle est reprise docilement par des africains. La profonde déstructuration du continent africain par l'esclavage et la colonisation a durablement affecté nos peuples qui ne savent plus qui ils sont, et qui ont assimilé le mensonge multiséculaire de leur infériorité. Les africains ont bien compris ce qu'ils ont subi avec l'Occident, et ne sont pas prêts à d'autres formes de soumission.
L'autre grave erreur que ces illuminés font, c'est qu'ils confondent les postures des laquais de chefs d'États africains aux aspirations des peuples. Ce n'est pas parce que certains dirigeants africains se soumettent à l'Occident que les peuples cautionnent. Les dirigeants africains qui prennent leurs ordres à Paris, Washington et Londres, le font au nom de leurs ambitions personnelles et au mépris de leurs peuples.
Faire un procès à l'Afrique sur son rapprochement avec la Russie est un non-sens complet. Aucune nation ne pouvant vivre en autarcie, l'Afrique affaiblie par des siècles de spoliation et de traumatismes, a besoin d'alliances stratégiques pour se relever. Quand vous êtes dans une relation où votre partenaire s'arroge le droit exclusif de faire et défaire les règles du jeu à sa guise et selon ses caprices, quand dans cette relation vous êtes violés, falsifiés, mutilés, insultés, méprisés, spoliés et humiliés depuis des siècles et sans interruption, le bon sens suggère que vous alliez voir ailleurs, parce que, quoiqu'il arrive, cet ailleurs ne sera jamais pire. La Russie n'a jamais esclavagisé ni colonisé l'Afrique. D'un point de vue historique, la Russie a toujours été aux côtés des pays africains lors des luttes d'indépendance. En termes de présent, la Russie confirme sa différence avec l'Occident hégémonique en réalisant des partenariats gagnant-gagnant dans divers secteurs. On peut l'observer au Mali, où depuis que l'appui militaire russe est effectif, les résultats contre le terrorisme sont de très loin plus éloquents au bout d'à peine un an, que les simulacres de sécurisation du territoire que la force (ou plutôt la farce) française Barkhane a enregistré en plus de dix ans. Laquelle France joue comme à son habitude les pompiers-pyromanes, quand on se souvient que c'est elle qui a installé l'insécurité au Sahel en déstabilisant la Libye. Plusieurs autres exemples sur la spécificité du partenariat Afrique-Russie peuvent être cités. Pour ce qui est de la projection vers le futur, il serait insensé pour tout africain raisonnablement constitué de continuer de croire aux fables d'un quelconque intérêt dans les relations avec l'Occident.
A la faveur de l'actualité, il est évident que l'effondrement du modèle occidental est en mode accéléré et irréversible. Le PIB des BRICS est d'environ 31,5% contre 30,7% pour le G7. La population des BRICS représente plus de la moitié de la population mondiale, ce qui a une signification pertinente en termes de main d'oeuvre, de parts de marché, et donc d'avenir commercial. Les BRICS sont en train de mettre sur pied leur propre banque centrale et leur propre monnaie, ce qui va inéluctablement entraîner le déclin du dollar, et donc celui de toute la "civilisation" occidentale. Parlant de civilisation, les BRICS n'ont pas emboîté le pas à la déperdition des valeurs morales qui accélère la chute actuelle de l'Occident. L'Afrique et les BRICS ont encore en commun le sens de l'ordre naturel, loin du libertinage pervers des sociétés dépravées que plébiscite l'Occident.
Non, faire le choix de la Russie comme nouvelle orientation des relations internationales dans un monde qui se dessine multipolaire ne relève pas d'un changement dans la continuité de la soumission. Les africains sont matures et déterminés à ne pas retomber dans la même escroquerie intellectuelle dans laquelle l'Occident les a piégés depuis sept siècles. Nous avons retenu la leçon, et les marques indélébiles des oppressions ininterrompues ne laissent aucune chance à l'amnésie, même partielle. Sur les traces de ceux qui ont payé de leurs vies pour la liberté totale du Continent, nous sommes confortés dans la nouvelle orientation d'une Afrique debout, grâce à des leaders de plus en plus éclairés, qui remplacent progressivement mais sûrement ces marionnettes de l'Occident qui nous servent de dirigeants. La libération du Continent est un processus irréversible, et servir de serpillère à l'Occident n'est plus une garantie de maintien au pouvoir. Après le Mali et le Burkina Faso, le cas récent du Niger est édifiant. Ce qui a commencé en Afrique comme révolutions va se propager partout où des dirigeants africains s'entêteront à ne pas lire les signes des temps.