Ile Maurice: Joseph St Mart - «La vie n'est toujours pas rose après la marée noire»

interview

Trois ans après l'épisode Wakashio, la vie est loin d'être un long fleuve tranquille dans les régions les plus touchées. Les pêcheurs rament toujours. Entre problème de santé et baisse de revenus, le président de l'Association des pêcheurs et de plaisanciers du Sud-est fait le point.

Trois ans après le naufrage du «Wakashio», est-ce qu'il y a toujours des résidus, des traces de fioul dans le Sud ?

Trois ans après, la vie n'est toujours pas rose. Il y a eu beaucoup de dégâts et aujourd'hui encore nous subissons les contrecoups. Nous n'avons pas remarqué de traces de fioul mais par contre, il y a des impacts de cette catastrophe. Simple exemple, les fruits de mer se font rares. Il n'y en a plus comme avant. Que ce soit pour les ourites, les crabes, les palourdes ou encore les bénitiers. L'est et le sud du pays étaient pourtant réputés pour leurs fruits de mer. Pour ce qui est du poisson, je vais être franc, il y en a. Pwason alé-vini sa, mé travay la nepli kuman avan. Bizin travay boukou pou riyé aster. Avant par exemple, on pouvait facilement pêcher dix livres de homards mais aujourd'hui, il faut exposer 25 à 30 casiers pour pouvoir avoir cette même quantité.

Aviez-vous mis la main dans le 'cambouis' aussi ? Quels souvenirs en gardez-vous ?

Bien sûr, comme tous mes collègues pêcheurs. Quel souvenir est-ce que j'en garde ? Celle de la solidarité du peuple mauricien. L'île Maurice entière a répondu présent lors de cette catastrophe et tous ont mis la main à la pâte et ont aidé d'une manière ou d'une autre.

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Quelles sont les difficultés auxquelles font toujours face les pêcheurs de la région par rapport à cette catastrophe ?

Je ne sais pas si cela est lié au naufrage du Wakashio, mais les pêcheurs ont noté qu'il y a de plus en plus d'algues - sa gro gomon ver la - dans la mer. Elles sont présentes un peu partout et cela nous gêne dans nos activités. Il est difficile de pêcher dans ces conditions. Nous sommes de plus en plus fatigués. Il n'y a plus de place pour pêcher au filet ou encore poser nos casiers.

Qu'en est-il de la faune et de la flore ? Y a-t-il un retour à la normale ?

Plus ou moins. Pour ce qui est des mangroves, je trouve qu'il y a encore du chemin à faire. A certains endroits, ils sont dans un état déplorable faute de traitement. Allez faire un tour à Mahebourg, tout près du Fisheries Post et vous allez vous en rendre compte par vous-même.

On a également beaucoup parlé de l'impact sur la santé des hommes de la mer, qu'en est-il ?

Oui, c'est vrai. Beaucoup de pêcheurs ont connu des ennuis de santé mais pas que. Il en a été de même pour les habitants des endroits affectés et ceux qui avaient travaillé dans l'huile qui avait été déversée. Je connais même des personnes qui avaient été admises à l'hôpital à cause de cette catastrophe.

Quid les allocations, êtes-vous satisfait du montant perçu ? À combien s'élève-t-il ?

Nous avons eu Rs 10 000 mensuellement pendant 5 à 6 mois puis nous - environ 400 à 500 pêcheurs du Sud et de l'Est - avons perçu une allocation de Rs 113 000. Est-ce suffisant ? Non, étant donné qu'il y a également eu le Covid-19. Nous avons tenté de négocier, que ce soit avec le ministre Sudheer Maudhoo et les Japonais, mais on nous a fait comprendre que le problème avait déjà été résolu.

Il y a également l'aspect solidarité, cette entraide que nous avons vue lors de la catastrophe, les pêcheurs sont-ils toujours soudés ?

Oui, toujours !

Qu'attendez-vous aujourd'hui du gouvernement ?

Qu'il revoit l'allocation de mauvais temps. C'est vrai qu'il y a eu une augmentation dans le dernier Budget mais ce n'est pas suffisant. Par exemple, en hiver, il arrive que nous ne travaillions pas 10 à 11 jours par mois. Est-ce facile pour nous de joindre les deux bouts ? Nous aurions voulu avoir une discussion ouverte avec les autorités concernées.

Un épisode «Wakashio» (bis) est toujours possible semble-t-il. Avez-vous l'impression que les autorités ont tiré des leçons de cette tragédie ?

Le naufrage du Wakashio est la deuxième tragédie qui s'est abattue sur le Sud. Avant, il y a eu celle du MV Benita. Il aurait fallu déjà prévoir un plan d'action depuis l'épisode Benita déjà. Les autorités comme les garde-côtes sont plus présents aujourd'hui certes mais je ne sais pas quelles sont les autres mesures qui ont été prises pour empêcher un troisième naufrage.

Le trafic de drogue passe essentiellement par la mer. Etes-vous d'accord avec cette affirmation ?

Bé oui ! Toutes les semaines, la presse fait état du trafic de drogue entre Maurice et La Réunion. Les speedboats qui s'échouent à l'île soeur, il y en plusieurs. Pa zordi zour ki speedboats pé al laba... Al konpran.

Est-ce que vous avez été témoin de choses «louches», de transactions pas très nettes ?

Oui, pas plus tard que ce matin (NdlR, jeudi), monn trouv bann aksion bizar, mais on ne peut rien y faire. Nous lançons un appel aux autorités, leur demandons de faciliter notre travail en mer, qu'on puisse le faire sans frayeur. Alors que nous faisons un métier honnête. Un pêcheur a le droit de travailler entre le lever et le coucher du soleil et mon neveu a été arrêté parce qu'il était toujours en mer à 18 h 30. Il faut que les autorités se focalisent sur les choses plus importantes et urgentes.

Que pensez-vous de l'obtention de la carte professionnelle des pêcheurs ?

Les inscriptions ont eu lieu en mars, je ne souhaite pas trop m'étaler sur le sujet mais il y a des personnes qui attendent toujours depuis des années et ceux qui l'ont obtenue mais que l'on ne voit jamais en mer. Donc...

Conseilleriez-vous aux jeunes de faire ce métier ?

Oui. Il y a toujours des jeunes que ce métier intéresse. Moi-même, j'ai deux jeunes qui bossent actuellement avec moi. L'un d'eux connaît la mer depuis qu'il est tout petit. Ils ont cette envie d'apprendre, de persévérer et de réussir dans leur vie. C'est un métier qui demande beaucoup d'effort et il n'y a pas de honte à gagner sa vie honnêtement, à la sueur de son front...

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