Dans le quartier huppé de Makepe, dans le nord de la ville de Douala, une odeur pestilentielle emplit l'atmosphère. Touchant les populations, une décharge publique déborde jusque dans la rue.
Casquette bleue sur la tête, grosses chaussures couvertes de boue, Parfait Moudiki déverse une brouette pleine d'ordures ménagères. Depuis plusieurs semaines les immondices de ce centre de stockage temporaire et d'une soixantaine d'autres ne sont plus évacués vers leur destination finale: le centre d'enfouissement des déchets de Douala, en périphérie est de la capitale économique debla République du Cameroun.
A Douala, c'est essentiellement dans le centre-ville que l'on retrouve des poubelles publiques. Malgré cela, certains jettent leurs bouteilles, leurs ordures ménagères à côté et non à l'intérieur.
Malgré les efforts de la Ville de Douala, les déchets restent très présents dans les rues de la capitale économique du cameroun. La gestion des déchets est un défi de taille à relever pour moderniser la ville.
Le spectacle des décharges temporaires a pris des proportions inédites. Pourquoi a-t-il l'air d'être pour la plupart abandonnée à elle-même dans l'amoncellement des déchets, des détritus et des loques humaines en pleine désespérance ? Qu'a-t-il en son sein pour accumuler tant de pourritures et de nuisances, tant de personnes et de populations livrées aux maladies endémiques et aux épidémies de toutes sortes ?
"Le retard dans l'évacuation des immondices pose un vrai problème de santé publique" car "les décharges sont des foyers de microbes", met en garde le Dr Evina Anselme. "Évacuer ces immondices, c'est soigner en amont, au lieu d'attendre que les gens tombent malades", dit ce médecin généraliste.
Les gestionnaires des centres de transfert de déchets assistent impuissants au débordement de leurs décharges. "C'est une poubelle publique, il n'y a pas moyen d'interdire aux gens de venir y jeter les ordures. On n'avait jamais vu ça. Mais à peine trois mois [après] que les autorités ont repris l'affaire, ça capote", se plaint le superviseur du centre de l'hygiene et la salubrité, dans la ville de Douala.
Mais la mauvaise gestion des déchets de la capitale ne se résume pas un problème de moyen ou de personnels. " Le vrai gros problème: c'est le comportement des gens. C'est une question d'éducation« , s'accordent à dire Emmanuel Moundi et Haman Ndedi."Souvent, quand on installe des nouvelles poubelles, elles sont très rapidement volées" , se désole Evina Alexandre, opérateur économique dans la ville. Les dépôts d'ordures sont chose commune: le long des murs, des plages, dans des fossés.... Et ces tas finissent souvent par être brûlés.
Seule perspective durable: la sensibilisation environnementale. Une autre mission que se donne l'ONG Douala Propre. " Certaines équipes font du porte à porte, dans des quartiers, pour expliquer l'importance de jeter ses déchets dans les poubelles, mais c'est très fastidieux", reconnaît Moukodi Flavien, responsable de l'ONG.
Les enfants doivent être sensibilisés à ces questions dès le plus jeune âge , insiste t-il. " Il y a une cinquantaine d'années, Douala n'était pas aussi sale".
Les habitants de Douala des années 50 se souviennent de l'époque où il faisait bon vivre dans la capitale économique de la République du Cameroun.
Dans les années 50, 60, Douala était propre et le régime en place imposait des sanctions aux populations délinquantes. Il s'agissait d'un travail d'intérêt général d'embellissement et d'assainissement de la ville. « Doul ». Les Camerounais d'une cinquantaine d'années et plus n'ont rien oublié de l'époque où leur capitale économique portait ce surnom.
Selon Yves Ngome Komé, sociologue à l'université de Douala " La ville était très propre. Il n'y avait pas d'eau qui suinte de partout. La ville était présentable ! " " N'allait pas à Bonapriso qui veux, les motos ne polluaient pas des quartiers comme Bonanjo", poursuit ce sociologue âgée de 70 ans. Les gens de Douala vivaient comme les petits blancs, et même les Européens qui venaient se sentaient à l'aise ! Il y avait des poubelles partout, des services étaient chargés de ramasser les déchets et on ne pouvait pas jeter les ordures par terre. »
A Douala,il n'est pas étonnant de découvrir en bordure de la route ou même en pleine chaussée, un véhicule en panne abandonné depuis des mois.... Tout le monde devait nettoyer sa cour, souvenirs de Martin Dika, historien retraitée. " Le nettoyage de la concession se faisait le samedi. Tout le monde devait nettoyer son terrain, le trottoir, prendre sa houe ou sa machette pour couper l'herbe des quartiers, des espaces verts. La circulation était interdite, tous les marchés étaient fermés mais les vendeurs devaient nettoyer leur emplacement".
Kouam Simon, installé au quartier New Bell dans les années 50 précise : "On devait suivre les ordres, au risque d'être réprimandé, d'avoir une amende ou d'être pris pour un opposant. " Les populations accompagnaient l'Etat qui puisait lui aussi dans les impôts pour entretenir de la ville." poursuit t-il
Des sacrifices qui en valaient la peine, assure Kouam Simon. " Comme c'était vraiment propre, il n'y avait pas la recrudescence de malaria, pas de fièvre typhoïde ", rappelle ce commerçant à la retraite. Surtout, des agents désinsectisaient pour éradiquer les moustiques, vecteurs du paludisme.
" De petits avions bombardaient la ville. Mes amis et moi ça nous faisait peur à cause du bruit, mais voir cette fumée blanche nous faisait rire ! ", s'amuse Moussa, 76 ans, boutiquier d'origine sénégalaise installé au quartier Congo depuis les années 70
Pour beaucoup, Douala représentait également le challenge entre plusieurs équipes du championnat national de football. Union de Douala, Oryx, Dynamo, Léopard.. Ces équipes ont fait de Douala une ville pétrie de grands talents de football Martin Dika, Yves Ngome Kome, Moussa et bien d'autres, souffrent d'une profonde nostalgie, d'un vague à l'âme qu'ils partagent même avec les jeunes. Car « Doul» fait partie de l'histoire ancienne. Pire, on la surnomme désormais « Douala Caca ».
Le tableau : dans de nombreux quartiers, les constructions de fortune pullulent, les déchets ménagers s'enfouissent dans le sol et des flaques d'eau boueuses et nauséabondes favorisent la propagation de maladies telles que le paludisme et le choléra.
Il est temps que les pouvoirs publics remettent de l'ordre dans cette ville. Si les anciennes politiques d'assainissement de la ville ont porté leur fruit en leur temps, pourquoi ne pas revenir sur ses points positifs ?
Il est aussi temps de "dépolluer" nos mentalités de leurs effluves d'indifférence et d'irresponsabilité, en vue de construire un cadre d'existence dont chaque personne serait responsable.
Nos villes sont les miroirs de nos mentalités. Nous les changerons quand nous aurons pris la peine de changer les structures profondes de ces mentalités.